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Nos Lecteurs ont la Parole

Un désir insatisfait

On ne parle jamais assez de ce sentiment singulier qu’on ressent après avoir passé un an ou plus à l’étranger, dans un pays où on ne connaît personne. C’est comme un retour à la réalité ; une renaissance dans un monde profane qui continue à avancer, qu’on soit absent ou pas. C’est comme si tout ce qu’on a vécu n’était qu’un long rêve insaisissable qui n’appartient plus, désormais, aux chapitres de notre vie ; c’est comme si on a été rapatrié, mais pas vraiment, puisqu’on a quitté ce qui était devenu notre maison pour une autre. C’est comme si la vacuité de notre vie ici apparaît en deçà d’une insipide médiocrité.

La nostalgie. Ce sentiment humain, ce sentiment de vouloir retourner au passé, cette tristesse qui m’envahit par cette impuissance à le faire, et l’angoisse face au passage du temps qui m’éloigne de plus en plus de ces années perdues, désormais, dans l’étoffe du temps.

La nostalgie, cet « intime » de l’être, qui est reconnue comme un « désir insatisfait », se perpétue même à travers mes rêves. Ce désir déchu du retour ne sera jamais assouvi. Parce que dans la vie, c’est ainsi. Certes, c’est injuste. La vie nous sépare de gens qu’on aime et de gens qui nous aiment ; de gens auprès de qui on s’est construit, pour des raisons qu’elle est la seule à connaître. Elle nous éloigne d’endroits où nous avons grandi, évolué, changé, appris ; elle soustrait avec chaque instant un souvenir en plus de la trame de notre vie. Bref, elle est vraiment une énigme que l’on sonde, que l’on scrute, où tout gronde.

J’aimerais juste un jour regarder toutes ces années en rétrospective et dire que je suis si fière d’avoir vécu tout cela, d’avoir vécu avec des autres, « dans des autres », une cargaison de souvenirs dignes d’être exhumés, un peu plus chaque jour. Et même s’il faut tirer un trait sur son passé, aller de l’avant, ouvrir une nouvelle page sans s’attarder sur ce qui ne fait plus partie d’aujourd’hui, j’aimerais bien me rappeler ces doux souvenirs, mais en souriant. J’aimerais bien profiter de chaque moment, sans penser à l’idée qu’un jour, je serai nostalgique pour aujourd’hui aussi.

Quelle souffrance étrange, de mourir de nostalgie pour quelque chose qui n’est plus, quelque chose qu’on ne vivra plus jamais, pour quelque chose qui a fini en cendres. Âpre et étrange souffrance.

En effet, je sais que la nostalgie n’a pas forcément une connotation péjorative, or, jusqu’ici, je l’ai définie comme le deuil d’un passé révolu, un sentiment déboussolant à travers lequel se désinhibe une tristesse pour des moments passés. C’est parce que je crois que dans la nostalgie existe intrinsèquement le deuil, le deuil de tout ce qui un jour fut, notre plus belle histoire, celle qu’on suppose raconter à nos enfants. Le deuil d’un ancien moi, parce qu’on ne sera plus jamais cette personne qu’on a été avec eux, dans cet endroit, pendant cette période précise de la vie. On ne sera plus jamais cette version de nous-mêmes ailleurs ; jamais nous ne serons envahis par le même sentiment au même degré.

Jamais on n’ingérera cette même joie en nous ; jamais cette larme sur nos joues ne prendra le même élan ;

jamais ce rire ne résonnera aux mêmes éclats ; jamais quelqu’un ne remaniera ces mêmes mots pour nous calmer de cette même manière ;

jamais nos destins ne se croiseront encore une fois ; jamais nous ne serons dans cette même pièce, mouillés par l’écume d’une mer d’amour, à échanger des rires, des mots embaumés de douceur et de tendresse ;

jamais on n’existera en union, on n’existera pour toujours hors l’un de l’autre.

Mais la nostalgie, c’est peut-être et inconsciemment un refus du changement. On a du mal à accepter que les choses ont changé, qu’elles vont toujours changer, et qu’on ne vivra jamais exactement le même moment encore une fois.

Encore une fois, j’aimerais chérir ces gens que je croyais être éternellement présents.

Encore une fois, les tenir un peu plus fort contre moi et aux creux de mes bras, de mon cœur.

Encore une fois, leur dire que je les aime, qu’ils m’ont beaucoup appris ; qu’ils m’ont appris que l’enfer, ce n’est pas les autres. Qu’ils m’ont appris que l’amour, le vrai, ne fait pas de bleus.

Encore une fois, entendre le son de leur voix que je commence à oublier.

Encore une fois, les voir juste en face de moi, à quelques mètres, à se regarder dans les yeux.

Encore une fois, goûter à la saveur de ces moments uniques au monde, fondre ces cœurs éloignés et pourtant si proches.

Encore une fois, badiner ensemble, moi et ces personnes qui ont édifié la personne que je suis devenue.

Encore une fois, respirer l’air de cette chambre, de cet endroit, de ce cocon, de cette petite pièce, parce que la nostalgie ne se vit pas seulement par rapport aux gens qui meurent, mais aussi et surtout par rapport à des personnes qui sont toujours là, même souvent, par rapport à un lieu qu’on a quitté et auquel on ne pourra jamais revenir.

Encore une fois, mettre les pieds dans cette pièce.

Encore une fois, parler avec eux.

Encore une fois, tout revivre.

L’éternel retour dans l’espace d’une même vie.

Piètre naïveté, d’avoir cru que les choses ne périront jamais. Tout périt, avec le temps, avec moi, sauf les souvenirs, les souvenirs de ce que j’ai été, un jour, les souvenirs de qui j’ai été, le souvenir de ce qu’ils étaient, pour toujours, comme des remous incessants qui sillonnent derrière le fardeau de la mémoire ; des souvenirs qui ont fini par se macérer dans mon sang, par devenir une partie intégrante de moi, de qui je suis, de ce que je suis.

Et si je ne devais dire qu’une chose, je dirais qu’à force de vivre, je découvre quelque chose à la fois d’apaisant et d’angoissant : il faut aller de l’avant, peu importe ce que cet avant signifie ; peu importe les effets que ce saut induira.

Étrange souffrance…

Haya AL-ZEIN

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

On ne parle jamais assez de ce sentiment singulier qu’on ressent après avoir passé un an ou plus à l’étranger, dans un pays où on ne connaît personne. C’est comme un retour à la réalité ; une renaissance dans un monde profane qui continue à avancer, qu’on soit absent ou pas. C’est comme si tout ce qu’on a vécu n’était qu’un long rêve insaisissable qui...

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