Le Hamas se manifeste de nouveau... au Liban. Mercredi, les Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du mouvement islamiste palestinien, ont annoncé avoir lancé des dizaines de roquettes Grad sur deux sites militaires dans le nord d’Israël à partir du Liban-Sud, alors que les violences s’intensifiaient entre le Hezbollah et l’armée israélienne sur ce front. Un retour sur scène fracassant alors que le Hamas faisait, depuis un certain temps, profil bas. Du moins publiquement.
La raison officielle avancée pour justifier cette opération de grande envergure, c’est qu’elle a été effectuée « en riposte aux massacres sionistes contre les civils dans la bande de Gaza et à l’assassinat » du numéro deux du Hamas, Saleh el-Arouri, et de six de ses compagnons, visés en plein cœur de la banlieue sud de Beyrouth, le 2 janvier dernier, selon un communiqué du mouvement.
Monter les enchères
L’explication de cette opération pourrait cependant se trouver ailleurs. D’autant que la formation n’avait plus revendiqué d’opérations à partir du Liban depuis pratiquement novembre dernier.
Le contexte d’abord : alors que les négociations menées notamment par le Qatar pour parvenir à une trêve de plusieurs semaines à Gaza semblent s’enliser, la « réapparition » militaire du Hamas au Liban serait destinée à mettre la pression dans une tentative de conforter sa position sur la table des pourparlers en cours. Une manière de dire que le mouvement ne lâche rien et reste décidé à poursuivre ses opérations militaires. « Il semble que les négociations à Doha n’ont mené jusqu’ici nulle part. Le Hamas fait aujourd’hui monter les enchères », décrypte Karim Bitar, politologue.
Une seconde raison à rechercher serait l’escalade récente à laquelle a recouru Israël en élargissant le périmètre de ses frappes au Liban. Lundi dernier, pour la première fois depuis la guerre de 2006, des raids israéliens ont visé la région de Baalbeck, dans la Békaa, ce fief chiite situé à environ 100 kilomètres de la frontière. Un développement qui aurait poussé le Hamas, en concertation avec le Hezbollah, à revendiquer le tir des 40 roquettes Grad. « Le Hamas n’agit que sous la houlette du Hezbollah. S’il s’est abstenu ces derniers temps de parrainer des opérations militaires, c’est probablement parce que le parti chiite faisait l’affaire. D’autant que les affrontements étaient plutôt confinés à une certaine ampleur », commente Souheil Natour, membre du comité central du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP).
D’ailleurs, l’on ne saura jamais exactement si c’est le Hamas qui a effectivement tiré ces missiles ou plutôt le Hezbollah, dans la mesure où les deux formations se partagent, depuis le début des opérations, un jeu de rôles. Sauf que cette fois-ci, le parti chiite a clairement voulu accorder le crédit au Hamas. De source proche du Hezbollah, on apprend ainsi que les roquettes tirées le 14 février dernier contre Safed, une base militaire au nord d’Israël, étaient « assurément l’œuvre du Hamas » et non du Hezb. Cette opération n’avait toutefois été revendiquée par aucune des deux formations pro-iraniennes.
À prendre également en compte le fait que la marge de manœuvre du Hamas n’est pas toujours aisée en présence notamment de l’armée libanaise, même si celle-ci n’est pas déployée en force à la frontière sud. « Si l’armée peut à la limite coordonner, dans une certaine mesure, son action avec le Hezb, elle ne peut le faire avec les Palestiniens qui sont prohibés de lancer des actions à partir du Liban », commente une source anonyme proche du parti de Hassan Nasrallah. Elle fait allusion aux déclarations ministérielles successives qui légitiment la « résistance » mais non l’action des factions palestiniennes présentes au Liban.
Ressusciter « l’unité des fronts »
Le retour sur scène du mouvement palestinien serait par ailleurs lié aux menaces proférées par l’État hébreu d’attaquer Rafah – zone limitrophe avec l’Égypte – où sont réfugiés un peu plus d’un million de Palestiniens ayant fui les bombardements à Gaza. Le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyé, a d’ailleurs donné le ton mercredi. Dans un message préenregistré et diffusé lors d’une conférence de presse à l’Institution internationale d’al-Qods à Beyrouth, il a appelé les pays arabes « à affronter l’ennemi et à freiner son élan en vue de le dissuader d’envahir Rafah ».
« C’est l’aspect symbolique de l’opération, qui serait une sorte de rappel de la part du Hamas qu’il détient des missiles qu’il peut utiliser en temps voulu », estime M. Natour. Au-delà de la symbolique, ce serait plutôt une tactique porteuse de plusieurs messages. Tout d’abord, il s’agirait de rappeler que « si l’État hébreu devait prendre la décision d’élargir la guerre contre le Liban, le principe de “l’unité des fronts” est toujours de mise », souligne M. Bitar.
Israël sait désormais que le Hezbollah est réticent à élargir le front. Il sait également que son parrain iranien veut tout autant l’éviter, mais aussi les États-Unis qui déploient tout leur arsenal diplomatique pour empêcher un tel scénario. Des points de vulnérabilité que le parti chiite tenterait de camoufler. « Le Hezbollah est en train de répondre en démontrant qu’il a beaucoup de cartes en main. C’est une manière de dire que même si le Hamas est en train de prendre des coups à Gaza, il peut les rendre à partir du Liban », décrypte Michael Young, rédacteur en chef de Diwan.
Ce serait ainsi une manière de renflouer le Hamas, pour dire que les promesses proférées par l’État hébreu d’anéantir ce mouvement ne sont que des slogans creux, le mouvement ayant des tentacules et une marge de manœuvre ailleurs. « Plus le Hamas s’affaiblit à Gaza, plus il faut s’attendre à une manifestation de plus en plus musclée du mouvement au Liban-Sud », analyse Riyad Kahwaji, un expert militaire. « Lorsque la guerre à Gaza se terminera et une fois que l’infrastructure du mouvement islamiste sera complètement détruite, le Hezbollah va transposer la guerre au Liban-Sud », poursuit-il.
Des prédictions d’autant plus inquiétantes selon les analystes qu’Israël semble disposé à en finir une fois pour toutes avec ce qu’il considère être « l’abcès » du Liban-Sud, par la force à défaut d’un règlement diplomatique qui tarde à venir. Karim Bitar craint dans ce cadre que les fortes pressions exercées sur le cabinet de guerre israélien pour attaquer le Liban ne finissent par aboutir. D’où la tentative de l’« axe de la résistance » de rétablir un certain équilibre des forces.
commentaires (11)
Ils sont revenus pour essayer surpasser l'OLP dans la destruction du Liban, certes avec la connivence de certains libanais, aujourd'hui les barbus.
Zeidan
19 h 17, le 01 mars 2024