Nabih Berry a su reprendre l'initiative dans le dossier présidentiel. Dans un discours prononcé jeudi soir, le président de la Chambre a renoué avec son rôle traditionnel de parrain d’un dialogue national qui devrait paver la voie à l’élection d’un président de la République, dix mois après la fin du mandat de Michel Aoun. S’il a pris le soin de ne pas mentionner son candidat – et celui du Hezbollah – Sleiman Frangié dans son allocution, comme pour confirmer sa prétendue neutralité, il a tendu une importante perche à l’opposition. M. Berry s’est dit en faveur de la tenue d’un dialogue qui réunirait les chefs de groupes parlementaires à l’hémicycle pendant une durée limitée à sept jours, suivi de « séances électorales ouvertes et successives ». Théoriquement, l’offre devrait être alléchante pour l'opposition, notamment chrétienne soutenue par Bkerké, qui n’en finit pas de l’accuser de bloquer la tenue de la présidentielle en s’abstenant de convoquer la Chambre à des séances ouvertes et successives, comme le stipule la Loi fondamentale. Mais à la surprise générale, les anti-tandem chiite n’ont pas saisi la patate chaude. Une position qui, dans la forme, est loin d’avoir l’effet d’une surprise. Car les protagonistes de l’opposition ont toujours refusé de dialoguer avec le Hezbollah et ses satellites autour de la présidentielle. À leurs yeux, une telle démarche n’aurait qu’un seul objectif : les convaincre de rallier la cause de Sleiman Frangié dont ils veulent à tout prix empêcher l’élection. Mais pourquoi ce veto catégorique alors que le dialogue comme promis par Berry serait un tremplin vers l'ouverture du Parlement dont seul celui-ci détient les clés ? Ces questions demeurent à ce stade sans réponses, les intéressés se contentant de leur position de principe traditionnelle. De son côté, Nabih Berry a réussi en quelque sorte à se laver les mains du blocage de l’échéance, imputant la responsabilité aux opposants qu’il est parvenu à mettre au pied du mur.
Quant à Gebran Bassil, il semble être le seul conforté dans sa position. Conscient que c’est de lui que dépend aussi bien le sort de la candidature de Sleiman Frangié que la bataille de l’opposition face au Hezbollah, il se permet de se livrer à un subtil jeu d’équilibriste : tout en assurant le maintien de son soutien à l’opposition et son candidat déclaré Jihad Azour, il lance des fleurs à Nabih Berry, son plus grand adversaire mais en même temps l’allié le plus constant du Hezbollah avec lequel il est actuellement en pleines négociations. « Ce que nous avons entendu du président Berry est bon et positif », a déclaré M. Bassil lors d’un dîner du CPL à Koura quelques heures seulement après le discours de Nabih Berry. Et de rappeler que le CPL a toujours plaidé pour un dialogue limité dans le temps et principalement axé sur la présidentielle. « Notre condition donnée aux Français pour participer au dialogue était qu'une fois ce dialogue terminé, et quel que soit son résultat, il doit y avoir soit un consensus consacré par une séance électorale au Parlement, soit nous accepterons le jeu de la concurrence démocratique lors de séances électorales successives », a ajouté le leader du courant aouniste, estimant que « si les choses se passent ainsi, nous aurons un président en septembre ».
L'initiative de M. Berry a suscité une réaction également positive dans les rangs des sunnites. Jusqu’ici, ces derniers ont voté pour un slogan en attendant les conditions propices pour la tenue d’un dialogue axé sur la présidentielle, loin de la logique de défi. « Nous sommes pour le dialogue pour décanter l’horizon politique », affirme à L’Orient-Le Jour Nabil Badr, député sunnite de Beyrouth. « Il faut surtout que le dialogue, indépendamment de ses résultats, soit suivi de séances ouvertes », dit-il. « Le discours de Nabih Berry a montré que notre sit-in à la Chambre a porté ses fruits », se félicite de son côté Melhem Khalaf, député de la contestation qui campe avec sa collègue Najate Aoun au sein du Parlement depuis janvier dernier pour presser dans le sens d'un déblocage.
« Le Parlement ne t’appartient pas »
Sauf que tous les opposants ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, Nabih Berry ne fait qu’exercer « un chantage » pour convaincre ses adversaires de son candidat et les pousser à un dialogue dont le résultat serait similaire aux expériences passées. Ce que l’opposition a refusé d'accorder à l'émissaire français Jean-Yves Le Drian, elle ne le concédera pas à un Nabih Berry qu'elle accuse de tous les maux constitutionnels. « Nous avons déjà essayé de jouer la carte du dialogue, sans succès. Pour nous, l’heure n’est pas à la soumission aux conditions du camp adverse, mais à une bataille démocratique qui devrait se dérouler à la Chambre », estime Élias Hankache, député Kataëb, dans une déclaration à L’OLJ. Quelques heures plus tôt, le chef de ce parti, Samy Gemayel, a formulé une des plus virulentes réactions au discours du président de la Chambre. «Votre suggestion est un aveu de votre violation volontaire de la Constitution. L'application de la Loi fondamentale ne doit pas être utilisée comme moyen de chantage. Le Parlement ne vous appartient pas, il appartient au peuple libanais », a-t-il écrit sur le réseau X (ex-Twitter), à l'adresse de Nabih Berry.
Les Forces libanaises de Samir Geagea, plus large groupe parlementaire de l’opposition, ont également rejeté catégoriquement l’offre de Nabih Berry, avec des termes virulents. « Le lien établi entre le dialogue et la tenue de séances électorales est en soi une entorse à la Constitution, a déclaré vendredi la députée Sethrida Geagea, députée FL. « La Constitution que M. Berry nous invite à bien lire n’évoque pas l’entente, mais l’élection démocratique. » « Que Nabih Berry arrête de nous donner des leçons et se mette à jouer son rôle. Il ne peut pas nous proposer un dialogue, alors qu’il est responsable avec ses alliés du blocage de la présidentielle », renchérit Gayath Yazbeck, député FL de Batroun. Et de se montrer catégorique : « Pas de dialogue autour de la présidentielle en dehors de la Constitution. » Que fera donc le camp anti-Hezbollah pour riposter à l'attaque berryste ? Les réponses seraient peut-être à trouver dans le discours du chef des FL, Samir Geagea, attendu dimanche.
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"Mais pourquoi ce veto catégorique alors que le dialogue comme promis par Berry serait un tremplin vers l'ouverture du Parlement dont seul celui-ci détient les clés ? " Grosse erreur de votre part car le dialogue proposé est une entorse a la constitution. Le tandem cherche a établir une situation ou la constitution n'est plus qu'un torchon et que les seules lois sont les leurs. La constitution a été suffisamment bafoué depuis 1990 a ce jour et beaucoup l'ont payé de leur vie ou de leur personne. Depuis 2005, l'opposition au Hezbollah a tout essayé pour arrondir les angles pour arriver a un résultat sans guerre et effusion de sang, Ils ont répondu avec des assassinats, des blocages et pour finir par la banqueroute du pays. Je trouve scandaleux que des journalistes se posent encore la question du pourquoi le refus de discuter avec le Hezbollah rejetant la faute sur les souverainistes. Pour moi c'est un pas vers la trahison.
Pierre Christo Hadjigeorgiou
10 h 37, le 04 septembre 2023