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Perverses asymétries

Ces vétustes immeubles qui s’effondrent trop souvent sur leurs occupants ne font-ils pas songer à un Liban s’en allant en pièces détachées sous la double agression de la mal-gouvernance et des intempéries régionales ? Et pour parachever le tableau, nos routes inondées à la moindre averse n’évoquent-elles pas irrésistiblement la dérive d’un pays qui part à vau-l’eau ?


Qu’il s’agisse de gérer notre triste quotidien ou la situation explosive à la frontière sud, c’est de la même et affolante inexistence que font preuve nos responsables. Ils veulent faire accroire qu’ils sont trop plongés dans la haute politique, trop occupés à nous épargner les affres d’une guerre dévastatrice, pour avoir encore à s’encombrer de nos misères économiques ou sociales. Ils s’en tiennent en somme à l’asymétrie des urgences ; l’ennui toutefois, c’est que pour eux la haute politique se limite à guetter quelque salvatrice initiative extérieure, tel le paysan attendant de voir tomber la bienfaisante pluie. Dès lors, Beyrouth mise essentiellement sur ce quintette international, dont les concertations – jalonnées de mornes périodes d’hibernation – reprenaient hier à Beyrouth au niveau des ambassadeurs.


L’objectif initial de ces délibérations – à savoir l’élection d’un président de la République– se double désormais, en haute priorité, de la pacification de la région frontalière. Or pour l’un et l’autre de ces dossiers, et pour impressionnant que soit le club groupant les États-Unis, la France, le Qatar, l’Égypte et l'Arabie saoudite, il est évident que toute solution praticable et durable requiert nécessairement l’assentiment de ce partenaire invisible, mais fort présent et influent sur le terrain, ne serait-ce que par procuration, qu’est la République islamique d’Iran. À défaut d’une claire issue militaire de toutes les guerres induites par l’assaut contre Gaza, seul un recours aux sondages et contacts clandestins, en un mot à la crypto-diplomatie, serait donc de taille à surmonter cette même et singulière asymétrie, que l’on retrouve de manière plus frappante encore sur le champ de bataille.


L’anomalie commence par la totale disproportion des forces en lice : d’un côté une armée israélienne surpuissante, peu regardante de surcroît sur les pertes infligées aux populations civiles, et de l’autre côté un chapelet de milices libanaises, irakiennes ou yéménites agissant pour le compte de l’Iran. Benjamin Netanyahu s’est juré d’anéantir le Hamas, mais il sait fort bien que maints de ses prédécesseurs avaient témérairement promis le même sort, qui à l’OLP de Yasser Arafat et qui au Hezbollah : sachant fort bien pourtant que même sévèrement étrillées, même décapitées le cas échéant, ces formations conservaient la même capacité de renaître de leurs cendres. Or tous ces impénitents et tonitruants bavards n’ont fait en réalité qu’offrir à l’adversaire l’occasion non seulement de se relever des coups les plus durs, mais d’en tirer matière à non moins tonitruante victoire : de victoire à caractère même divin, comme le soutenait Hassan Nasrallah au lendemain de sa guerre de l’été 2006. Rien qu’en parvenant à survivre, et sans égard là non plus aux pertes humaines et destructions matérielles endurées par son environnement immédiat ou non, la milice peut déjà considérer qu’elle a gagné. Ses parrains de Téhéran peuvent pavoiser de même. Mais le Liban, lui ?


Si le Hezbollah se détache nettement du lot des protégés de Téhéran, c’est parce que cette milice s’est d’ores et déjà imposée à Israël, comme d’ailleurs aux États-Unis, en tant qu’incontournable protagoniste (le plus souvent invisible mais toujours bien présent) dans toute négociation. Ce fait, initié dès les années 1990, a été amplement constaté lors de l’accord sur la délimitation de notre frontière maritime avec l’État hébreu ; sans l’ombre d’un doute se confirmera-t-il dans l’éventualité d’un règlement final de la question de la frontière terrestre, que projetterait d’aborder le médiateur américain Amos Hochstein.


Ce n’est pas avec le seul État libanais failli – un État résigné à la tumultueuse existence d’un État dans l’État – que les faiseurs de paix devront, tôt ou tard, parlementer au grand jour. Et il se trouvera des bonnes âmes pour se pâmer devant un aussi bel exemple de… symétrie !

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Ces vétustes immeubles qui s’effondrent trop souvent sur leurs occupants ne font-ils pas songer à un Liban s’en allant en pièces détachées sous la double agression de la mal-gouvernance et des intempéries régionales ? Et pour parachever le tableau, nos routes inondées à la moindre averse n’évoquent-elles pas irrésistiblement la dérive d’un pays qui part à vau-l’eau ?...