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Culture - Exposition

Des objets trouvés dans la Seine aux capsules temporelles de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige

Depuis le 31 janvier, la crypte archéologique de l’île de la Cité à Paris reçoit une exposition aussi insolite que fascinante : « Dans la Seine, Objets trouvés de la préhistoire à nos jours ». À l’issue du parcours, deux sculptures de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas racontent les sédimentations accidentées du passé... à la verticale.

Des objets trouvés dans la Seine aux capsules temporelles de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige

Une vue de l’œuvre de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, "Time Capsules" - Crypte archéologique ©Pierre Antoine - Paris Musées - Musée Carnavalet

En foulant le parvis de la cathédrale Notre-Dame à Paris, on ne se doute pas forcément de la présence tangible d’un passé englouti et plurimillénaire sous nos pieds. Dans la crypte archéologique de l’île de la Cité, se dressent les vestiges des remparts construits en 308 pour défendre Lutèce, qui devient alors une ville militaire où s’installe l’armée romaine. Comme dans toutes les constructions de l’île au 4e siècle, des blocs sont des remplois, ils proviennent de bâtiments qui ont perdu leur fonction à la fin de l’antiquité, tels que le forum, les thermes dits de Cluny, l’amphithéâtre, ou encore les deux principales nécropoles. À cette époque, la rive gauche est en partie abandonnée, et elle fournit des matériaux de construction : des traces de leur origine restent apparentes. La crypte contient également des vestiges des thermes antiques, en activité jusqu’au 5e siècle.

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C’est dans ce cadre magistral que s’invite la Seine et son histoire, avec l’exposition réalisée par Valérie Guillaume et Sylvie Robin. Elle constitue un portrait du fleuve parisien, à partir d’une série d’objets recueillis dans son lit ou sur ses berges. Issus de recherches ou de collectes, ils rappellent les interactions entre l’homme et le fleuve depuis la préhistoire. Accompagnée d’une iconographie variée et de restitutions numériques, l’exposition réunit plusieurs chercheurs en archéologie et rassemble près de 150 objets qui racontent les Parisiens des bords de Seine. Ces objets, tombés, jetés, perdus ou déplacés par les courants, sont présentés de manière chronologique et épistémologique, puisqu’ils sont l’occasion d’expliquer les méthodes scientifiques utilisées dans l’interprétation et la datation des vestiges.

Défense partielle de Mamouth présenté dans l'exposition "Dans la Seine, Crypte archéologique de l'île de la Cité. ©Pierre Antoine - Paris Musées - Musée Carnavalet.

Pour commencer, la défense partielle d’un mammouth laineux, une espèce qui a disparu du continent eurasien il y a 10 000 ans. Autre curiosité, des prélèvements de bois archéologique, sous la forme de sections de troncs de chênes. L’analyse dendrochronologique de l’un d’eux indique la date de la construction de la rue principale, le cardo maximus, dans l’île de la Cité. Si la déesse Sequana, associée à la Seine dans le monde romain, est tombée en quenouille, les nombreux ex-voto en métal ou en bois, qui sollicitent la grâce de la déesse guérisseuse, témoignent de l’étendue de sa popularité, notamment à partir de du règne de l’empereur Auguste, lorsque le culte de l’eau se généralise. Plus loin, une figure de chevalier, du XVe siècle, son épée à la main, serait l’un des premiers soldats de plomb, utilisé comme jouet par les enfants, que l’on connaît. Face aux vestiges des thermes, des objets destinés à la coiffure, des pinces à épiler ou cure-oreille, ainsi qu’une bague dont l’intaille représente un scorpion, un motif connu dans les provinces orientales et africaines de l’Empire romain, pour protéger des morsures et des maladies. Pour dialoguer avec un parcours temporel vertigineux, les œuvres contemporaines de Yan Tomaszewski, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.

L'exposition constitue un portrait du fleuve parisien, à partir d’une série d’objets recueillis dans son lit ou sur ses berges. ©Pierre Antoine - Paris Musées - Musée Carnavalet.

« Ces deux sculptures se retrouvent sur le site même qu’elles dévoilent ! »

L’exposition Dans la Seine a d’emblée créé un effet d’écho stimulant dans la poétique de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. « C’est Sylvie Robin et Julien Avinain qui nous ont proposé ce projet, or nous avions déjà travaillé avec ce dernier pour notre projet au long cours, Unconformities/Discordances, qui a exploré les sous-sol de plusieurs sites parisiens, comme celui du Louvre, des thermes de Cluny… », précise Joana Hadjithomas. Depuis 2016, ceux qui sont également cinéastes récupèrent, avant qu’ils ne soient détruits, des carottages extraits de forages d’exploitation des sous-sols. Avec l’aide d’archéologues, de géologues et d’historiens, ils sculptent ces sédimentations pour raconter l’histoire enfouie des villes. Ce travail, qui a déjà été mené à Paris, Athènes et Beyrouth, leur a valu le prestigieux prix Marcel Duchamp, en 2017. « La crypte est un musée, et ce lieu est incroyable. Nous avons été autorisés à faire des prélèvements sur place, et à utiliser des carottages réalisés pour les travaux en cours sur le site de la cathédrale et de son parvis. Il nous a même été possible d’emprunter certains éléments archéologiques pour nos compositions. Lorsque la crypte a été découverte, dans les années 60, des alcôves et certaines parties du sous-sol ont été révélées, elles sont interdites au public. Pour réaliser nos recherches, nous avons pu les emprunter, et passer par d’anciens tunnels, ou par les anciens égouts de Paris, pour se retrouver sous la cathédrale ! », ajoute Khalil Joreige.

Les deux sculptures de Joreige et Hadjithomas présentées reprennent le principe du carottage, sous la forme de Time Capsules. ©Pierre Antoine - Paris Musées - Musée Carnavalet.

Les deux sculptures présentées reprennent le principe du carottage, sous la forme de Time Capsules. « Le carottage consiste en l’introduction d’un cylindre de 10 cm de diamètre dans le sol, qui va extraire les sédiments. Cela permet de traverser des périodes archéologiques jusqu’à la géologie, et différentes strates historiques. Lors d’une rencontre avec Philippe Fayad, dont c’est le métier, on s’est rendu compte que cela faisait écho à nos pratiques aussi bien au niveau de la narration que de la représentation. On récupère donc ces carottages sur plusieurs lieux du terrain, et c’est un peu comme avec les rushes d’un film : il y en a énormément. Et ensuite on fait un montage, guidés par des géologues et des archéologues », poursuit-il.

L’approche pluridisciplinaire des deux artistes qui s’expriment par la photo, la vidéo, le performance, l’installation ou le cinéma, se retrouve dans leur démarche. « Avec la coopération des scientifiques, nos Time Capsules respectent l’histoire d’un lieu qui a été étudié et excavé, sur le parvis de la cathédrale. On voit comment on passe du bitume contemporain, à une dalle en béton des années 60, lorsque l’État y construit un parking souterrain, puis à l’époque romaine, et même gauloise, aux premières traces d’occupation, et à la géologie, avant la présence humaine, au moment où l’île émerge. Même si nous travaillons avec des scientifiques, notre approche est plus esthétique et poétique, tout en révélant des histoires souterraines et latentes. Ce qui est très intéressant, c’est que ces deux sculptures se retrouvent sur le site même qu’elles dévoilent ! », souligne la cinéaste.

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« Même les remparts peuvent devenir poussière »

« Ce travail a été fait à partir de sédiments trouvés sur place, réaménagés, et fixés avec une résine expérimentale, pour les rendre visibles, donner à voir ce qu’il y a sous nos pieds, et incarner différentes narrations possibles », complète Khalil Joreige. Une réflexion souterraine sous-tend ce travail, autour de la notion de choix. « On réfléchit sur l’histoire, les traces, ce que l’on garde de l’histoire, et sur le fait que tout choix archéologique est lié à une volonté de mettre en avant telle période plutôt qu’une autre : il y a une dimension politique. On interroge ainsi la façon dont on écrit l’histoire. On peut aussi l’envisager comme un palimpseste de civilisations. Il y a un cycle de destruction, de reconstruction, et de régénération. Chacune se reconstruit avec les pierres de la civilisation précédente », constate Joana Hadjithomas.

Ainsi, la représentation linéaire du temps est remise en cause par cette mise en scène verticale du passé. « Les sédimentations ne sont jamais linéaires, il suffit de différentes actions, ou points de rupture, pour que la succession chronologique soit perturbée et que des temporalités éloignées se rencontrent », surenchérit Khalil Joreige. Les deux suspensions mettent en lumière certains matériaux, qui semblent paisiblement flotter, au-dessus des vestiges des thermes. L’emplacement correspond à l’endroit où un phénomène géologique est particulièrement visible, pour mieux accompagner la réflexion sur le temps et l’ancrage de l’homme dans son espace. « La crypte a été fermée après l’incendie de la cathédrale Notre Dame et pendant le covid. Trois ans plus tard, on a découvert que suite à un choc climatique, les pierres des remparts romains et des thermes sont en train de s’effriter. On peut distinguer à leurs pieds une poudre très fine : on a essayé de rendre visible ce phénomène dans notre installation, qui parle de la fragilité des musées, des espaces d’art, qui sont le miroir de ce que nous ressentons. Mêmes les remparts peuvent devenir poussière», conclut sobrement Joana Hadjithomas.

L’exposition Dans la Seine, et ses sculptures suspendues, sont prévues pour au moins un an, avant que ne débute la restructuration du parvis, ce qui laisse le temps de se laisser surprendre par les caprices d’un fleuve et de ses rives.

En foulant le parvis de la cathédrale Notre-Dame à Paris, on ne se doute pas forcément de la présence tangible d’un passé englouti et plurimillénaire sous nos pieds. Dans la crypte archéologique de l’île de la Cité, se dressent les vestiges des remparts construits en 308 pour défendre Lutèce, qui devient alors une ville militaire où s’installe l’armée romaine. Comme dans...

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