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Moyen-Orient - Analyse

Entre Gaza et Doha, les divergences internes du Hamas

Deux entités distinctes régissent le Hamas : son bureau politique au Qatar et sa branche opérationnelle à Gaza.

Une affiche montrant Abou Obeida, le porte-parole du Hamas, dans le camp de réfugiés palestiniens de Mar Elias à Beyrouth, le 6 février 2024 (Photo ANWAR AMRO / AFP)

Derrière sa façade monolithique, le Hamas est régi par deux entités distinctes, son bureau politique au Qatar et sa branche opérationnelle à Gaza, une dualité dont le fonctionnement opaque complique les négociations sur un cessez-le-feu. A Doha, le dirigeant officiel, Ismaïl Haniyeh, converse ouvertement avec les autorités qataries. Yahya Sinouar, cerveau présumé de l'attaque du 7 octobre contre Israël, dirige pour sa part le groupe à Gaza avec, à son service, sa branche militaire, les brigades al-Qassam. Il se terre pour échapper à la mort que lui promet l'armée israélienne.

Une situation que les chancelleries - Etats-Unis, Qatar et Egypte en tête - doivent intégrer pour obtenir un cessez-le-feu dans la guerre qui oppose depuis le 7 octobre Israël au Hamas à Gaza. Une source proche des négociations a ainsi expliqué à l'AFP que chaque proposition envoyée au bureau politique du Hamas devait être transmise à Gaza. "Chaque modification signifie des échanges dans les deux sens", a ajouté cette source, sous couvert d'anonymat. Inévitablement se pose la question de qui a l'ascendant sur l'autre. Et la logique du terrain l'emporte sur la politique. 

Pour la revue CTC Sentinel, de l'Académie militaire américaine West Point, "la direction basée à Gaza est devenue plus importante, compte tenu de son contrôle du territoire et des avantages financiers et militaires qu'il génère". Eva Koulouriotis, analyste indépendante, estime elle aussi que "Yahya Sinouar est devenu la voix la plus forte" du mouvement. Celui qui a passé plus de 20 ans dans les prisons israéliennes avant d'être libéré en 2011 a progressivement accru son emprise sur les décisions du mouvement.

Haniyeh marginalisé

Il a même nommé son frère, Mohammed Sinouar, à la tête de la brigade de Khan Younès (sud), la plus importante de la branche militaire. Dans le même temps, ajoute l'experte, "le rôle de Haniyeh était marginalisé". Un rapport de force nullement anodin. Quand Sinouar "pense que la diplomatie ne devrait être qu'un moyen de soutenir l'action militaire", le bureau politique le pousse à "faire des concessions", résume Eva Koulouriotis.

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Officiellement, le mouvement palestinien affiche son unité. "Le Hamas ne va pas faire état de ses différences, il ne fonctionne pas comme ça", explique Sharmine Narwani, éditorialiste de la revue libanaise de géopolitique The Cradle. Mais Sinouar et Mohammed Deif, chef des brigades al-Qassam sont, assure-t-elle, "bien plus alignés" que la branche politique sur "l'axe de la résistance" des alliés de l'Iran contre Israël -- Houthis yéménites, Hezbollah libanais, milices en Irak et en Syrie. Ils "considèrent la lutte armée comme le dogme de la voie palestinienne vers la libération".

Ces divergences, pour autant, ne sont pas récentes. Devorah Margolin et Matthew Levitt les décrivent dans CTC Sentinel comme inhérentes au groupe fondé en 1987. "Le ton parfois conciliant des messages publics des responsables du Hamas a été démenti par les actions constamment violentes du groupe", écrivent-ils.

De cachette en cachette

Le Hamas a souvent jonglé avec des antagonismes apparemment irréconciliables. Une ligne religieuse rigoriste mais une victoire aux élections en 2006. Une volonté de gouverner mais un projet initial de détruire Israël, qui lui vaut d'être qualifié d'"organisation terroriste" par les Etats-Unis et l'Union européenne.

Lors d'une attaque inédite le 7 octobre, le Hamas a voulu replacer la question palestinienne au coeur des priorités du monde en s'en prenant à Israël. L'opération a entraîné la mort de plus de 1.160 personnes, en majorité des civils, selon un décompte de l'AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes. En riposte, Israël a promis "d'anéantir" le Hamas et lancé une offensive militaire qui a fait plus de 27.500 morts dans la bande de Gaza, en grande majorité des civils, selon le ministère de la Santé du Hamas. Haniyeh étant protégé par le Qatar, Israël a juré d'éliminer Sinouar. Lundi, le ministre israélien de la Défense a affirmé qu'il errait "de cachette en cachette" alors que les forces israéliennes bombardent Khan Younès, sa ville natale.

"Il est incapable de communiquer avec son entourage", a affirmé Yoav Gallant, convaincu que Sinouar se concentrait sur "sa survie personnelle". Parvenir à un accord supposera pourtant de convaincre Sinouar et ses lieutenants, affirme à l'AFP Nashaat Aqtash, professeur de l'université de Birzeit, près de Ramallah, en Cisjordanie. Et rien ne sera plus complexe. "Personne ne peut contrôler les brigades al-Qassam. Pas les pays arabes, pas l'Iran, pas le bureau politique ni personne d'autre", dit-il. Sinouar ne rend de comptes à quiconque. Selon l'universitaire, le bureau politique "n'a pas été lié aux attaques du 7 octobre. Je pense qu'ils n'étaient pas au courant du projet", même s'ils savaient probablement que quelque chose se tramait. L'expert souligne la culture du secret du Hamas. Et affirme que nul ne sait réellement si Sinouar étudie personnellement les critères de l'accord de trêve. "Tout le monde le dit, mais personne ne sait", assure Nashaat Aqtash.

Derrière sa façade monolithique, le Hamas est régi par deux entités distinctes, son bureau politique au Qatar et sa branche opérationnelle à Gaza, une dualité dont le fonctionnement opaque complique les négociations sur un cessez-le-feu. A Doha, le dirigeant officiel, Ismaïl Haniyeh, converse ouvertement avec les autorités qataries. Yahya Sinouar, cerveau présumé...
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