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Moyen-Orient - FOCUS

Pourquoi Israël ne cible pas les dirigeants du Hamas au Qatar et en Turquie

Il serait quasiment impossible pour l’État hébreu de reproduire à Doha ou Ankara un assassinat similaire à celui de Saleh el-Arouri, mardi dans la banlieue sud de Beyrouth.

Pourquoi Israël ne cible pas les dirigeants du Hamas au Qatar et en Turquie

Le président Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre de Turquie,(à droite) réuni avec les hauts dirigeants du Hamas Khaled Mashaal (au centre) et Ismail Haniyeh à Ankara, le 18 juin 2013. Photo d'archives Yasin Bulbul / AFP via Getty Images

« Le gouvernement nous a fixé comme objectif, dans la rue, d’éliminer le Hamas. C’est notre Munich. Nous le ferons partout, à Gaza, en Cisjordanie, au Liban, en Turquie, au Qatar. Cela prendra quelques années, mais nous serons là pour le faire. » Diffusées dans un enregistrement sur la chaîne publique israélienne Kan début décembre, les menaces du patron du Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, Ronen Bar, ont été mises à exécution pour la première fois en dehors d’un territoire palestinien depuis le début de la guerre à Gaza le 7 octobre. Mardi soir, le numéro deux du mouvement islamiste et cofondateur des Brigades Ezzedine al-Qassam Saleh el-Arouri a été tué dans une frappe imputée à Israël dans la banlieue sud de Beyrouth, où il avait établi son quartier général. Six autres personnes, dont deux membres du Hamas, ont péri dans l’attaque.

Cet assassinat d’un haut responsable du 7 octobre, en plein fief du Hezbollah, est un coup double pour Israël en ce qu’il lui permet à la fois de tenir la promesse faite à sa population de liquider les dirigeants du Hamas, mais aussi de tester les lignes rouges du mouvement chiite pro-iranien, avec qui il mène une guerre de moyenne intensité à la frontière sud du Liban depuis trois mois. « C’est un message clair de dissuasion au Hezbollah, pour lui signaler qu’Israël ne lui permettra pas d’ouvrir un second front », décrypte Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève.

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Israël a frappé au Liban, car le pays abrite des dirigeants militaires et un centre de commandement du Hamas, à la différence du Qatar et de la Turquie, qui ont plutôt accueilli les responsables de son bureau politique. Mais même dans le cas contraire, il aurait été extrêmement plus compliqué pour Tel-Aviv, sur le plan politique, d’attaquer le mouvement islamiste au Qatar ou en Turquie, deux pays dont la sécurité est verrouillée par le pouvoir, qui sont protégés par des accords de défense avec les États-Unis et l’OTAN, et avec lesquels Israël entretient des relations pragmatiques. « Les pertes en cas d’une attaque contre le Qatar ou la Turquie seraient pour Israël bien plus désastreuses que les bénéfices qu’il en tirerait », poursuit le chercheur.

Médiateur

Il est en effet difficile d’imaginer une frappe israélienne sur le territoire qatari, où se trouve la base américaine du Centcom d’où partent les plus grandes opérations militaires des États-Unis dans la région. En plus de cette assurance-vie, Doha a obtenu en 2022 le statut d’allié non membre de l’OTAN, qui lui confère notamment des exemptions sur la loi américaine des exportations d’armes ainsi qu’un accès préférentiel aux équipements et technologies militaires américains, deux bénéfices auxquels ont accès les États membres de l’Alliance atlantique.

Tout cela sans compter que les Israéliens ont encore besoin du Qatar pour les négociations visant à libérer les 129 otages toujours détenus par le Hamas dans la bande de Gaza. Aux côtés de l’Égypte et des États-Unis, Doha a déjà joué un rôle crucial dans la libération de 110 captifs, dont 80 dans le cadre de la première trêve avec Israël entamée le 24 novembre dernier. « En échange, les Qataris ont demandé à Washington des garanties pour mettre à l’abri les membres du Hamas sur son territoire », avance Hasni Abidi.

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Pour toutes ces raisons, une frappe israélienne sur le Qatar remettrait en cause la validité du parapluie sécuritaire américain non seulement pour Doha, mais aussi les autres pays du Golfe. « Cela les conduirait à se tourner davantage vers d’autres puissances, car ils considèreraient que Washington n’a pas réussi à les protéger d’Israël, qui est pourtant l’un de ses plus importants alliés », ajoute l’expert. D’autant que la confiance de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis a déjà été ébranlée par l’absence de réaction de Washington face à des attaques des rebelles yéménites houthis et de l’Iran contre des installations pétrolières sur leur territoire, respectivement en 2019 et 2022. De manière générale, une attaque israélienne contre l’émirat gazier resterait inacceptable pour les pays du Conseil de coopération du Golfe. « Israël, qui compte sur une future normalisation avec l’Arabie saoudite, devra réfléchir à deux fois avant d’attaquer le Qatar », prévient Hasni Abidi.

Posture propalestinienne

S’agissant de la Turquie, les relations avec Israël, qui s’étaient normalisées en 2022, se sont à nouveau corsées après que le président Recep Tayyip Erdogan a qualifié fin octobre le Hamas de « groupe de libérateurs qui protègent leur terre ». Dans la foulée, l’État hébreu a rappelé son ambassadeur à Ankara. La Turquie a rappelé le sien à Tel-Aviv début novembre en raison du refus d’Israël d’accepter un cessez-le-feu à Gaza.

Mais les échanges se poursuivent en coulisses, notamment sur le plan économique, indiquant qu’Erdogan a davantage coupé les ponts avec le gouvernement de Benjamin Netanyahu qu’avec l’État hébreu. « Les ports turcs sont toujours utilisés par les Israéliens à des fins commerciales, souligne Hasni Abidi. Les Israéliens pouvaient vraiment prendre des mesures de rétorsion, mais rien de tel n’a été fait. »

Non content d’avoir réaffirmé de manière forte sa posture propalestinienne, le président turc accueillera son homologue iranien Ebrahim Raïssi le 4 janvier à Ankara afin d’évoquer Gaza, la Syrie et d’autres dossiers régionaux. La rencontre devait initialement se tenir en novembre dernier, avant d’être annulée à la dernière minute. Erdogan a par ailleurs été l’un des premiers dirigeants à réagir à la double explosion qui a fait plusieurs dizaines de morts mercredi dans la ville iranienne de Kerman, alors qu’une foule s’était réunie pour commémorer le quatrième anniversaire de l’assassinat du chef militaire Kassem Soleimani. Le chef de l’État turc a condamné sur X une attaque « terroriste », exprimant ses « condoléances au peuple iranien ami et frère ».

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Hormis les obstacles politiques, une frappe israélienne sur le sol turc reste difficilement envisageable pour des raisons sécuritaires. Étant membre de l’OTAN, la Turquie pourrait invoquer l’article 5 appelant les membres de l’Alliance à réagir à un tel assaut sur son territoire, un scénario qui devrait contenir toute velléité d’attaque israélienne. Ankara a par ailleurs annoncé mardi l’arrestation de 34 suspects dans le cadre d’une enquête sur un complot présumé du Mossad visant des étrangers en Turquie. Aucun autre détail n’a filtré sur ce dossier, mais le renseignement extérieur israélien a déjà été impliqué par le passé dans des enquêtes sur des tentatives d’enlèvement de Palestiniens résidant en Turquie.

Les assassinats ciblés dans d’autres pays où sont présents les mandataires iraniens font partie intégrante de la stratégie de défense israélienne. Téhéran a ainsi accusé Tel-Aviv d’avoir liquidé ces deux dernières semaines, en Irak et en Syrie, deux généraux iraniens affiliés à des milices pro-iraniennes dans la région. Israël a également perpétré des assassinats notables, dont celui de l’éminent scientifique nucléaire Mohsen Fakhrizadeh en Iran et du commandant des gardiens de la révolution, le colonel Sayad Khodayee, en Syrie. De son côté, l’Iran a exécuté trois hommes et une femme dans la province d’Azerbaïdjan occidental vendredi dernier, les accusant de « collaboration avec le régime sioniste », pour des liens présumés avec le Mossad.

« Le gouvernement nous a fixé comme objectif, dans la rue, d’éliminer le Hamas. C’est notre Munich. Nous le ferons partout, à Gaza, en Cisjordanie, au Liban, en Turquie, au Qatar. Cela prendra quelques années, mais nous serons là pour le faire. » Diffusées dans un enregistrement sur la chaîne publique israélienne Kan début décembre, les menaces du patron du Shin Bet, le...

commentaires (6)

Tout est permis dans le pays de mille merveilles. Les autres pays ne sont pas les mille merveilles d'Israël. De plus ils sont trop loin pour les drônles israéliens. C'est très triste que l'intelligence humaine devienne cruelle et tue les gens dans leur maisons dans les pays proches .

Jean bader

14 h 38, le 04 janvier 2024

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Commentaires (6)

  • Tout est permis dans le pays de mille merveilles. Les autres pays ne sont pas les mille merveilles d'Israël. De plus ils sont trop loin pour les drônles israéliens. C'est très triste que l'intelligence humaine devienne cruelle et tue les gens dans leur maisons dans les pays proches .

    Jean bader

    14 h 38, le 04 janvier 2024

  • La seule réponse à votre question dans le titre : ""Pourquoi Israël ne cible pas les dirigeants du Hamas au Qatar et en Turquie ?"" se trouve dans l’article : ""… que les Israéliens ont encore besoin du Qatar pour la libération des 129 otages..."" On pourrait ajouter l’Egypte etc,. Les dirigeants du Hamas sont dans le collimateur des services de renseignement de ce pays qui procédera par mille moyens. Un journaliste rappelait hier à ce propos que : frapper au Liban à la souveraineté limitée… présente peu de risques…

    Nabil

    12 h 24, le 04 janvier 2024

  • De quoi on parle? Israël n’a jamais attaqué un pays pour se débarrasser de ses ennemis. Ça a toujours été mené avec un silencieux ou depuis un immeuble de plusieurs étages pour assurer la chute mortelle. Au Liban, ils ont voulu envoyé un message au barbu pour lui montrer que sa banlieue n’est pas aussi impénétrable qu’il veuille le voir croire.

    Sissi zayyat

    11 h 30, le 04 janvier 2024

  • - LE QATAR EST GOUVERNE. - LA TURQUIE EST DIRIGEE. - LE LIBAN 3ALA ALLAH ! . - ET AU GRE DU HEZBALLAH ! - VOILA ! C,EST NOTRE MAISON. - EN FAUT-IL D,AUTRE RAISON ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 47, le 04 janvier 2024

  • Et voilà, je suis très content que Amélie ZACCOUR reprend mon commentaire sur l’agression de Saleh El-Arouri. Son article est très bien détaillé et très sensé. Que ses écrits portent loin au delà des puissances americano-Europeennes et qu’ils l’agreent come une bonne journaliste compétente et sérieuse. Merci beaucoup pour votre article Amélie.

    Mohamed Melhem

    06 h 39, le 04 janvier 2024

  • Israël n'a pas à se soucier de ces dirigeants du hamas au Qatar, qui leur sont devenus plutôt encombrants... ils ne devraient pas tarder a plier bagages , la forme restant à définir..peut être même horizontalement..

    C…

    03 h 49, le 04 janvier 2024

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