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Politique - Rencontre

Un an de sit-in au Parlement : Melhem Khalaf entre déception et détermination

Un an de sit-in au Parlement : Melhem Khalaf entre déception et détermination

Melhem Khalaf et Najat Saliba annonçant leur sit-in au Parlement, lors d’une conférence de presse le 19 janvier 2023. Photo Mohammad Yassine


« 365 ! » Le député Melhem Khalaf marque soigneusement les jours depuis le début de son sit-in au Parlement, entamé pour pousser les députés à élire un président. Les papiers s’amoncellent sur son bureau, chacun résumant une journée, tout comme les sacs derrière les fauteuils de l’un des salons du Parlement, où il a établi son « quartier général ». En un an, il n’est sorti que trois fois : la première pour des condoléances, la deuxième pour fêter Noël avec les habitants des villages frontaliers du Sud menacés par les bombardements israéliens et la troisième fois le soir du Nouvel An pour fêter le réveillon avec les pompiers et la Défense civile. Aujourd’hui, il boucle donc quatre saisons et il est prêt à continuer, s’étant désormais doté d’une véritable infrastructure de survie, mettant ainsi dans un coin ses affaires personnelles et dans un autre sa petite cuisine, alors qu’une valise contenant les ustensiles indispensables à ce « camping » d’un genre nouveau est dissimulée sous une table, à côté d’une lampe de secours. Les collègues et leurs visiteurs se sont habitués à ce député hors normes qui « squatte » depuis des mois un des salons du Parlement pour y dormir. Il est réveillé tous les matins par le cafetier du Parlement et passe ensuite sa journée dans son bureau au sein de l’hémicycle.

Au début, Melhem Khalaf dérangeait, mais une certaine habitude s’est installée et en passant devant le salon où il se trouvait ce matin, nombre de ses collègues qui se rendent à une réunion ou s’apprêtent à participer aux séances des commissions parlementaires s’arrêtent pour une courte conversation. Le vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab, fait ainsi une petite escale auprès de Melhem Khalaf avant d’accueillir l’ambassadeur d’Égypte ; Kassem Hachem évoque la question des fermes de Chebaa et le bombardement par les Israéliens de Kaoukaba ; Inaya Ezzeddine parle de la réunion de la commission parlementaire de la Femme qu’elle préside ; Michel Doueihy fait le point sur une question de droit ; Fady Karam donne l’accolade, et ainsi de suite. La plupart lancent aussi une boutade sur l’anniversaire d’un an du sit-in, réclamant même des bougies et un gâteau.

Mais derrière cette ambiance aujourd’hui détendue, il y a une véritable cause que Melhem Khalaf défend avec la même fougue qu’au premier jour du sit-in. Le député est en effet conscient des critiques dont il fait l’objet et notamment du fait que sa démarche semble inutile, surtout qu’il n’a pas réussi à convaincre ses collègues de devoir élire avant toute autre chose un président. Certains se sont joints à lui, comme Najat Saliba pendant plus de 200 jours, et d’autres viennent par intermittence. Mais il n’y a pas eu un élan généralisé, sous prétexte que le peuple a d’autres problèmes prioritaires. M. Khalaf reconnaît que les critiques peuvent être justifiées. Il sait aussi que si demain un miracle a lieu et que les députés élisent un nouveau président, personne ne dira que c’est à cause de son action, mais plutôt parce qu’un mot d’ordre a été donné. Il est de plus convaincu qu’il y a une véritable tentative de banaliser son action et de la tourner en dérision. Mais selon lui, c’est justement pour cacher l’échec de la classe politique et son impuissance qu’il observe un sit-in. Dans ce désordre institutionnel presque total que le Liban vit actuellement, il est important que quelqu’un « garde la boussole », précise que les choses devraient être différentes et rappelle qu’il est important de maintenir les repères, estime-t-il. « Même si ce que je fais n’est qu’une toute petite flamme dans l’obscurité, je voudrais la maintenir pour que justement les générations futures ne perdent pas l’espoir d’un Liban où les institutions fonctionnent », dit-il.

« Je continuerai à défendre mes convictions »

Ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth, Melhem Khalaf connaît les lois et la Constitution par cœur. Il estime ainsi que la politique ne peut pas être hors des règles, de la Constitution et des valeurs de la République. Or, aujourd’hui, le mécanisme de la démocratie est paralysé et les institutions fonctionnent sans le moindre repère, par tâtonnement. Le gouvernement est démissionnaire et le Parlement se dote de prérogatives sous prétexte de parer au plus urgent, sans faire ce qu’il devrait pour justement réglementer l’action des institutions, c’est-à-dire élire un président. C’est d’ailleurs pour cette raison que Khalaf répète à qui veut l’entendre que « ce à quoi nous assistons est un véritable coup d’État contre les institutions ». Il rappelle que le 11 février 2023, 46 députés ont déclaré que le Parlement est actuellement un collège électoral et qu’il ne peut rien faire d’autre qu’élire un président (articles 72, 73, 74 et 75 de la Constitution). Mais ils n’ont pas réussi à convaincre les autres parlementaires. Khalaf raconte que tout au long de l’année écoulée, il a vu une fois les députés se mobiliser et exiger une action immédiate : lorsque le taux du dollar a atteint pratiquement les 140 000 livres. C’était le 21 mars, et les députés membres de la commission de l’Administration et de la Justice étaient en réunion. La séance a été immédiatement levée et le soir même, à 17h50, le dollar est retombé à près de 108 000 LL. Depuis, il s’est relativement stabilisé. Pour Melhem Khalaf, « c’est le signe que les députés réagissent rapidement lorsqu’ils craignent la colère du peuple ». Malheureusement, concernant l’élection d’un président, ils ne se sentent pas obligés d’agir. Justement, on lui reproche de ne pas réussir à convaincre ses collègues de sa démarche, et par conséquent de vouloir se présenter comme le seul gardien du droit et des institutions. Melhem Khalaf dément une telle volonté de sa part. Lorsqu’il a commencé son action, il croyait vraiment que les différentes parties politiques allaient se joindre à lui. D’ailleurs, aux premiers jours du sit-in, le Parlement avait été barricadé et on l’avait même accusé de vouloir provoquer des troubles. Il considère avoir été alors victime d’un boycott généralisé. Puis, avec le temps, il est devenu clair que son sit-in n’aura pas un effet boule de neige et son action a fini par être banalisée. Pourquoi ne pas l’arrêter alors et reprendre une vie normale ? « Ma conscience nationale m’empêche de le faire. Je continuerai à dire que le gouvernement, qui plus est démissionnaire, ne peut pas remplacer le président de la République. Et le Parlement, selon la Constitution qui reconnaît la séparation des pouvoirs, ne peut pas prendre la place de l’exécutif. » Selon lui, il ne peut donc y avoir de négociations sur les frontières sans un président en fonctions, qui est le seul à prêter serment de préserver l’intégrité du territoire. « Je continuerai à défendre mes convictions », conclut-il. Même si cela dure jusqu’aux prochaines législatives (en 2024) ? Melhem Khalaf ne veut pas penser à une telle éventualité.

« 365 ! » Le député Melhem Khalaf marque soigneusement les jours depuis le début de son sit-in au Parlement, entamé pour pousser les députés à élire un président. Les papiers s’amoncellent sur son bureau, chacun résumant une journée, tout comme les sacs derrière les fauteuils de l’un des salons du Parlement, où il a établi son « quartier général ». En...
commentaires (4)

Héroïque certes, mais ceux qui l'aiment bien, devraient allez en masse pour le retrouver, le porter sur les épaules et le ramener chez lui. A présent il est plus utile pour le pays dehors plutôt que dedans, d'autant plus, comme il l'explique l'article, le mot de passe arrivera un jour de l'étranger pour permettre l'élection. Je ne pense pas que son action entre en ligne de compte pour les décideurs. En tout cas bravo, quel caractère !

Céleste

23 h 39, le 20 janvier 2024

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Commentaires (4)

  • Héroïque certes, mais ceux qui l'aiment bien, devraient allez en masse pour le retrouver, le porter sur les épaules et le ramener chez lui. A présent il est plus utile pour le pays dehors plutôt que dedans, d'autant plus, comme il l'explique l'article, le mot de passe arrivera un jour de l'étranger pour permettre l'élection. Je ne pense pas que son action entre en ligne de compte pour les décideurs. En tout cas bravo, quel caractère !

    Céleste

    23 h 39, le 20 janvier 2024

  • Peut être une action désuète et inutile, aux yeux de certains, mais il a au moins le mérite de se battre pour défendre ses convictions jusqu'au bout sans compromissions.

    Pierre Christo Hadjigeorgiou

    09 h 20, le 19 janvier 2024

  • useless duo

    Ma Realite

    08 h 13, le 19 janvier 2024

  • Merci Mme Haddad. Maintenant il serait bon que l’OLJ publie des articles expliquant la constitution, le droit et la démocratie au peuple pour le réveiller de sa torpeur.

    Staub Grace

    00 h 24, le 19 janvier 2024

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