L’ancien ministre des Travaux publics Youssef Fenianos n’est plus sous mandat d’arrêt dans le cadre de l’affaire de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. De toute évidence, la décision est d’abord judiciaire. Mais au Liban, les interprétations et interrogations d’ordre politique ne sont jamais bien loin. Partant, une question semble être sur toutes les lèvres : comment la décision prise mardi profitera-t-elle au chef des Marada Sleiman Frangié, candidat du tandem chiite Amal-Hezbollah à la présidence de la République et dont M. Fenianos est proche ?
Si la question se pose, c’est d’abord parce que M. Frangié n’a (naturellement) pas manqué de prendre fait et cause pour « son protégé » visé en 2021 par un mandat d’arrêt. « Nous affirmons que nous serons aux côtés de Youssef Fenianos qui se défend, et à raison, dans le respect des lois en vigueur », avait alors réagi le leader zghortiote le 16 septembre de cette année. Deux mois plus tôt, le chef des Marada allait même, depuis la tribune de Dimane (siège estival du patriarcat maronite), jusqu’à « défier » le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur le drame du 4 août, de « divulguer à l’opinion publique les noms des propriétaires du navire Rhosus » à bord duquel se trouvait le nitrate d’ammonium dont l’explosion avait causé le drame. M. Frangié emboîtait le pas au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah (dont il est l’allié chrétien le plus constant), qui avait critiqué le juge Bitar, l’accusant de « politiser l’enquête ».
Le zaïm zghortiote s’était alors mis à dos une bonne partie de l’opinion publique chrétienne frappée de plein fouet par le cataclysme de 2020. Ce qui avait par conséquent réduit ses chances d’accéder à la présidence de la République, malgré le soutien (jusqu’ici) indéfectible du tandem chiite. Partant, une des lectures politiques de la décision émise mardi par l’avocat général près la Cour de cassation Sabouh Sleiman voudrait que celle-ci tombe à point pour améliorer l’image du chef des Marada dans la rue chrétienne. Une impression d’autant plus légitime que les développements politiques enregistrés ces derniers jours tendent à faire croire que l’heure est à la consolidation de la candidature Frangié dans la foulée de la guerre à Gaza, un conflit dans lequel le Hezbollah est impliqué à partir du Liban-Sud. Un ministre proche du duo chiite précise cependant sur ce plan que M. Fenianos n’a pas complètement été innocenté. Il demeure une des personnalités poursuivies dans le dossier, sans pour autant risquer pour le moment une arrestation.
Le problème reste entier
« Il est évident que l’on essaie de consolider la respectabilité de la candidature de Sleiman Frangié », souligne Karim Mufti, analyste politique, à L’Orient-Le Jour. Selon lui, la nouvelle décision judiciaire dans l’affaire Fenianos « pourrait rapprocher les points de vue au sein du camp du 8 Mars ». Comprendre : elle pourrait faciliter au Hezbollah la tâche de convaincre le leader du Courant patriotique libre Gebran Bassil (en baisse de popularité dans la rue chrétienne depuis 2019) de lâcher l’opposition (avec laquelle il avait convergé sur le soutien de la candidature de Jihad Azour, ancien ministre des Finances), contre celle du bey de Zghorta.
De leur côté, les Marada réduisent la portée de la décision judiciaire et estiment qu’elle n’aura pas une grande influence sur la bataille. « De toute évidence, le fait que Youssef Fenianos ne soit plus face à un risque d’arrestation est positif. Mais cette affaire n’a rien à voir avec la présidentielle. D’ailleurs, nous n’avons jamais établi de lien entre les deux dossiers », souligne à L’OLJ le ministre sortant de l’Information Ziad Makari (Marada). « C’est un détail négligeable », abonde un proche du candidat sous couvert d’anonymat, estimant que « la présidentielle se joue ailleurs et n’aura pas lieu avant la fin de la guerre à Gaza ».
Selon Michael Young, rédacteur en chef du blog Diwan publié par le centre Carnegie à Beyrouth, « la décision de justice concernant Youssef Fenianos ne suffit pas à Sleiman Frangié. Et le problème reste entier tant que les protagonistes chrétiens sont contre lui ». Une lecture confirmée par les réactions du chef des Forces libanaises Samir Geagea et de celui des Kataëb Samy Gemayel aux derniers propos de Nabih Berry, qui a estimé que M. Frangié est « aujourd’hui le seul candidat (à la présidence de la République) ». Si le premier a tenu à souligner le « droit de chaque bloc à voter comme bon lui semble », le second est allé plus loin : « Nous ne permettrons pas au Hezbollah de nous gouverner », a-t-il tonné dans une interview accordée lundi à la chaîne al-Jadeed.
Sleiman Frangié semble être conscient de l’obstacle chrétien à sa candidature. Et c’est probablement dans une tentative de l’aplanir qu’il serait, selon les informations de notre journal, en train d’examiner la possibilité de poursuivre dans un avenir proche sa tournée auprès des chefs de file politiques, qu’il a entamée lundi soir par une visite au domicile du leader druze Walid Joumblatt.
Habib Zoghbi propose un débat télévisé entre présidentiables
Habib Zoghbi, président honoraire de l’association des diplômés de Harvard au Liban et candidat à la présidence de la République, a proposé mercredi un débat télévisé entre les prétendants appuyés par les divers protagonistes politiques. Il s’agit d’une opportunité offerte aux candidats d’exposer leur « plan de sauvetage du Liban sur le triple plan politique, judiciaire et économique, notamment pour ce qui est de la restitution des dépôts (bancaires) des épargnants, ainsi que pour ce qui a trait à la guerre en cours à Gaza », a expliqué M. Zoghbi dans une déclaration à la presse. Chacun des candidats pourra « clarifier comment ses alliances politiques lui permettront de réaliser ses objectifs et de donner espoir aux Libanais quant à un possible changement des pratiques ayant mené le pays à la situation actuelle », a encore dit Habib Zoghbi.
Si au moins les bananes étaient bon marché dans cette république bananière...
18 h 55, le 18 janvier 2024