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Santé - Commentaire

Du cancer du corps au cancer de l’âme...

Du cancer du corps au cancer de l’âme...

Les cancéreux ne sont-ils pas, après tout, des malades comme les autres ?

Il est indéniable qu’en dehors de la substance, rien ne peut subsister, mais dans le domaine du cancer, des douleurs palpables et d’autres imperceptibles peuvent exister et même persister…

Le cancer, perçu par nombre d’entre nous comme la plus redoutable des affections corporelles, demeure jusqu’à nos jours la plus grave des maladies sur terre. Aucun traitement satisfaisant de ce cancer n’émerge, les thérapies peuvent échouer, laissant parfois des effets secondaires plus graves que la maladie elle-même. Ce qui accable davantage, c’est la compréhension limitée des causes du cancer chez chacun et, par conséquent, de ses moyens de prévention à un niveau individuel. Il s’agit d’une prolifération cellulaire échappant à la logique de la régénération cellulaire ainsi qu’au contrôle du système immunitaire. Cette évasion, à l’échelle d’une cellule, anéantit la vie d’un être cher, affecte une multitude de personnes parmi ses proches et déstabilise le système de soins dans une société qui est supposée assurer une prise en charge médicale digne, efficace et gratuite. Il s’agit d’une douleur physique et psychique dont la cause est tangible, la tumeur. Cette tumeur rend son porteur accroché par un fil tordu autour du cou en attendant que son bourreau le lance dans le vide d’un voyage malin, emportant avec lui le plaisir, les souvenirs, les émotions, l’espérance et le bien-être d’un entourage désemparé.

Au Liban, face à l’inefficacité de notre système de soins, les malades atteints de cancer attendent que, en plus de leur tumeur et de leur bourreau, les personnes au pouvoir ainsi que de nombreux profiteurs invisibles prennent la décision de les lancer vers un destin obscur. Cependant, chaque année, des programmes télévisés sur les chaînes locales mobilisent des personnes du Liban ainsi que du monde entier pour pallier les lacunes dans la couverture médicale, essayant ainsi de procurer des soins dignes et comblant le vide laissé par les autorités. Des millions de dollars sont généreusement versés pour cette cause légitime, évitant ainsi l’étouffement d’individus entre les tentacules palpables et non palpables de cette maladie sournoise, née à l’insu de notre immunité, de notre logique, de nos systèmes et parfois de notre humanité.

Les troubles de l’esprit

Rejetant la dualité entre le corps et l’âme, vu qu’il faut un substratum physique pour que l’âme existe, je m’appuie quand même sur ce concept de dualité pour sensibiliser à une autre forme de cancer, celui de l’âme. Il s’agit d’un mal qui affecte l’esprit, se manifestant par un dérèglement émotionnel et parfois une perturbation de l’intellect. L’âme, fruit de notre cerveau, résulte de l’activité de neurones incapables de se reproduire mais capables de générer des pensées et des émotions, régulées par le jugement, la prise de décision, l’inhibition et bien d’autres. Il s’agit de l’équivalent du système immunitaire, mais qui protège et régule la production de cette âme. Lorsque ce système est submergé par le stress environnant et les affections génétiques, les pensées et les émotions prolifèrent de manière incontrôlée, engendrant des troubles tels que la dépression, l’anxiété, la schizophrénie, la manie, la somatisation, la toxicomanie, les idées suicidaires et d’autres troubles.

Bien que des modalités de prise en charge existent, leur efficacité est parfois insatisfaisante en raison de leur coût, de leur délai d’action, des multiples conditions requises pour cette action, de leur disponibilité limitée, etc. Cependant, de nombreuses thérapeutiques existantes peuvent offrir à plusieurs l’espoir de sauver leur vie. Malheureusement, le cancer de l’âme peut conduire à la mort de son porteur en l’absence d’une prise en charge adéquate et organisée, laissant ses proches dans le désarroi et débordant le système de soins de la société.

Dans notre pays, encombré par des difficultés diverses, personne ne semble missionné pour soulager la souffrance des cancéreux de l’âme. Les années s’écoulent, les programmes télévisés s’occupent à d’autres maux, les donateurs s’éclipsent, certains patients passent à l’acte suicidaire, certains guérissent et une grande part des cancéreux de l’âme demeurent, souffrant en silence dans la terre de la douleur. Ces personnes, appelant chaque jour au secours en silence, voient leur voix étouffée par la honte, leurs larmes séchées par la stigmatisation et leur visage anonymisé par la faiblesse, le manque d’organisation, le rejet, la peur, le désespoir, la pauvreté et bien d’autres.

Pensons-nous réellement que les cancéreux de l’âme n’existent pas autour de nous ? Croyons-nous que leur souffrance n’est pas tellement pesante et accaparante ? Avons-nous honte de les faire monter sur scène ?

Voulons-nous protéger leur intimité et ne pas exposer leur identité au grand public ? Doutons-nous qu’il y aura des donateurs intéressés par leur problématique ? Avons-nous besoin d’une preuve tangible pour leur souffrance ? Avons-nous besoin que leur souffrance se traite par l’exérèse du mal et que leur guérison soit objectivable, sinon aucune donation ne se justifiera ?

Le droit à la bonne santé

En cette réflexion dédiée aux personnes atteintes d’un cancer, je demande que la voix s’élève pour celles ayant un cancer de l’âme, revendiquant en leur nom le droit à la bonne santé. En fin de compte, l’indifférence généralisée face à leur souffrance est pire que tout autre comportement négatif à leur égard. Dans cette optique, George Bernard Shaw a écrit dans l’une de ses pièces de théâtre : « Viens, chère, tu n’es pas aussi méchante que tu le crois. Le pire péché envers nos semblables n’est pas de les haïr, mais d’être indifférent à leur égard : voilà l’essence de l’inhumanité. Après tout, ma chère, si tu observes attentivement les gens, tu seras surprise de constater à quel point la haine ressemble à l’amour. »

Ainsi, l’indifférence envers les cancéreux de l’âme vise simplement à les déshumaniser, renonçant ainsi à leur droit à la vie, une attitude encore plus condamnable que la haine elle-même. Ne sont-ils pas après tout des malades comme les autres ? N’y a-t-il pas des bienfaiteurs, similaires à ceux qui s’investissent pour les cancers corporels, prêts à les soutenir ? N’existe-t-il pas de système de couverture, qu’il soit privé ou public, respectant leur dignité dans le silence et assurant leur prise en charge, tout comme pour leurs homologues atteints de cancer du corps ? N’y a-t-il pas quelqu’un pour reconnaître que pour protéger le corps, il faut commencer par l’âme ? Ne pourrait-il pas y avoir un programme, télévisé ou autre, prenant la responsabilité de démontrer non seulement qu’une aide peut leur être offerte, mais aussi que l’on peut transcender la dualité entre le corps et l’âme, traitant par la matière ce qui va au-delà de la matière ?

*Rami Bou Khalil, MD, PhD, est chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France et professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph.

Il est indéniable qu’en dehors de la substance, rien ne peut subsister, mais dans le domaine du cancer, des douleurs palpables et d’autres imperceptibles peuvent exister et même persister…Le cancer, perçu par nombre d’entre nous comme la plus redoutable des affections corporelles, demeure jusqu’à nos jours la plus grave des maladies sur terre. Aucun traitement satisfaisant de ce...

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