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À l’écoute des oracles


Par un coquin de sort, le manège finit par tourner à la tradition, au rituel, sinon à la manie. Parce que depuis bien longtemps les astres s’obstinent à les bouder et que les tuiles ne cessent de pleuvoir sur leurs têtes, les Libanais n’éprouvent aucune sorte de regret à voir déguerpir, l’une après l’autre, les années parvenues au bout du rouleau. Bien au contraire, c’est avec une folle allégresse, mêlée il est vrai de rage contenue, que le 31 décembre ils donnent un coup de pied magistral à l’année scélérate : celles par exemple du Covid, de l’hécatombe au nitrate dans le port de Beyrouth ou alors cette 2023 qui pue la poudre. N’en déplaise aux âmes chagrines qui s’offusquent de nous voir danser sur un volcan, c’est là notre manière d’entonner l’hymne à la vie. Et donc à l’espoir, en dépit de ses méchants caprices.

L’espoir, il faut bien être libanais pour en avoir encore contre vents et marées, pour en garder précieusement quelques parcelles dans le fouillis de ses préoccupations. Palliant le manque total de vision dont souffrent leurs dirigeants, les citoyens n’ont d’autre recours, pour entretenir la fragile flamme, que les prédictions et prophéties, très attendues, des voyants de la télé. Sans bien sûr prétendre rivaliser avec tous ces téméraires mages, on peut tout de même se hasarder à voir dans l’année nouvelle celle des grands dilemmes exigeant impérieusement d’être tranchés sans retard. Car la marmite de la guerre n’en peut plus de bouillir et le couvercle menace sérieusement de sauter.

Une interminable vacance présidentielle, un gouvernement perclus, tout un état-major de l’armée à reconstituer et une insolvable crise économico-financière… Combien futiles paraissent cependant ces brûlants dossiers, au regard d’une guerre à nulle autre pareille : une guerre opposant une armée surpuissante à un groupe de combattants mais qui menace de revêtir une ampleur régionale et même planétaire ; une guerre qui, surtout, frappe furieusement à nos portes, qui a déjà poussé un pied à l’intérieur de la maison, avec le meurtrier attentat au drone contre le numéro deux du Hamas dans la banlieue sud de Beyrouth, soit en plein fief du Hezbollah. Quitte à simplifier un peu les choses, on frémit à l’idée que l’évolution de ce monumental conflit va tenir essentiellement aux choix auxquels devront tôt ou tard faire face trois volontés apparemment irréductibles.

Triste figure centrale de ce conflit, Benjamin Netanyahu ne cesse d’avertir que cette guerre va meubler une bonne portion de 2024. Il croit y avoir doublement intérêt. Car non seulement il n’a encore aucun trophée à exhiber, si ce n’est le massacre de millier d’innocents civils et la destruction en règle de Gaza ; mais il espère préserver son avenir politique en noyant dans un bain de sang tous les griefs nourris contre lui en Israël même. Or c’est bien sur la position internationale de l’État hébreu que rejaillit fatalement toute cette orgie de sang, avec la faveur nouvelle dont jouit une cause palestinienne longtemps négligée ou carrément oubliée.

Il reste que le rouge torrent n’épargne guère de ses éclaboussures la superpuissance américaine elle-même qui fournit sans compter à Israël les armes et les dollars de la guerre. À onze mois de l’élection présidentielle US, le candidat à sa propre succession Joe Biden doit se soucier de la fronde propalestinienne des jeunes générations du parti démocrate et de la multiplication des actes de haine aux États-Unis. En fin de compte, c’est dans la botte texane de l’Oncle Sam qu’il faut chercher le talon d’Achille de Netanyahu.

Last but not least, on continuera probablement, cette année, d’être suspendu aux lèvres de Hassan Nasrallah qui d’ailleurs inaugurera dès ce soir le hit-parade des oracles. C’est évidemment présumer que le chef du Hezbollah parle pour lui et non pour ses parrains iraniens, mais il faudra bien faire comme. Autant le forcené Israélien a besoin d’une guerre longue, autant le chef du Hezbollah se fait fort d’en contrôler les soubresauts, d’en contenir les débordements.

Complètement sur la touche, l’État libanais fera comme tout le monde. Il attendra, en se rongeant les ongles, que paraisse la saison nouvelle du diluvien feuilleton de Gaza.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Par un coquin de sort, le manège finit par tourner à la tradition, au rituel, sinon à la manie. Parce que depuis bien longtemps les astres s’obstinent à les bouder et que les tuiles ne cessent de pleuvoir sur leurs têtes, les Libanais n’éprouvent aucune sorte de regret à voir déguerpir, l’une après l’autre, les années parvenues au bout du rouleau. Bien au contraire, c’est avec...