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Culture - Edition

Ray Jabre Mouawad braque la lumière sur les icônes et églises de Tripoli

Un livre à la fois d’art et d’histoire nous plonge au cœur même de l’art grec-orthodoxe dit melkite. L’auteur signera son ouvrage le vendredi 15 décembre, de 16h à 19 h, au palais Sursock. 

Ray Jabre Mouawad braque la lumière sur les icônes et églises de Tripoli

Saint Antoine, Michel le Crétois vers 1816, église Saint-Nicolas, Tripoli. Photo DR

Paru aux éditions Dergham, le livre d’art Icônes et églises de Tripoli-Liban signé Ray Jabre Mouawad est remarquablement illustré de 180 photographies d’œuvres peintes, témoignant de la richesse d’un patrimoine religieux conservé dans les lieux de culte chrétien à Tripoli, Enfé et Koura. Historienne, membre fondateur de l’Association pour la restauration et l’étude des fresques médiévales du Liban (AREFML), rattachée au Centre de documentation et de recherches arabes chrétiennes de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, auteure d’un livre sur les maronites, édité chez Brepols en Belgique, en 2009, et coauteure avec Levon Nordiguian de Les Abillama Émirs du Metn XIIIe-XIXe siècles (éditions Dar an-Nahar), Ray Jabre Mouawad relate dans son nouvel ouvrage l’histoire de l’icône grecque-orthodoxe (dite melkite), qui a connu un âge d’or à une époque où les chrétiens jouissaient d’une relative prospérité au sein de l’Empire ottoman. Évêques et supérieurs de monastère, dont ceux de Notre-Dame de Balamand, avaient fait appel à des iconographes d’Alep, de Jérusalem et d’autres encore qui étaient passés par le monastère Sainte-Catherine du Sinaï ou par le mont Athos, avant d’être appelés à Damas par les patriarches d’Antioche.

Saint Dimitri (détail), Hanna al-Qudsi, 1727, église Saint-Nicolas, Tripoli. Photo DR

En cinq chapitres, l’auteure retrace l’itinéraire des peintres, brosse un large tableau de leurs œuvres offrant un faisceau de courants, à la fois divers en style et techniques, mais unis par la grande tradition iconographique melkite, qui mêle les canons picturaux byzantins, la calligraphie arabe, les langues grecque et araméenne. En filigrane, elle relate l’histoire des anciennes églises de Tripoli et du Koura dont la sélection s’est fait naturellement en fonction des artistes qui les ont revêtus d’icônes. « Leurs œuvres ont constitué une période artistique que l’on peut, je crois, qualifier d’exceptionnelle », souligne Ray Jabre Mouawad.

Généralement engagés pour peindre l’ensemble des icônes d’une église, depuis le Calvaire, la grande croix du sommet de l’iconostase, jusqu’aux petites icônes, les iconographes étaient financés pour la plupart par les membres du clergé, évêques de Tripoli ou supérieurs de monastère, simples moines, prêtres ou diacres, mais aussi par des fidèles fortunés. Émerge alors à travers le déchiffrement des dédicaces une société chrétienne à Tripoli et au Koura prospère et solidaire, formée de commerçants en soie, employés aux douanes du port, marchands de grains ou d’huile, armateurs, artisans, drogmans de consulats. Pour s’assurer que l’icône en question ne serait ni vendue ni échangée, les donations sont régies par le système du « wakf ». Le livre cite une quinzaine de familles de donateurs de Tripoli, tels les Nahas, les Ghoraieb, les Nini, les Fakhr, les Sawaya et d’autres encore. Un grand nombre d’entre eux, ayant accompli le pèlerinage en Terre sainte, étaient précédés du titre de « hajj » ou « maqdisi ». Ils sont d’ailleurs si nombreux à porter ce titre au bas des icônes, que « pèlerinage et icône me semblent avoir été liés, le fidèle orthodoxe se devant d’offrir une icône à son retour de pèlerinage », précise Mme Mouawad. « Même les plus pauvres se cotisaient pour le faire. En ce cas, pour désigner ces humbles anonymes, les dédicaces informent que l’icône était l’offrande « du don des chrétiens ».

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Autrefois la disposition des icônes au-dessus de l’iconostase suivait une hiérarchie rigoureuse. « Chacune avait une fonction précise dans la communication avec l’au-delà, chacune correspondait à une célébration liturgique dans l’année. » À cet égard, les quatre iconostases de l’église Saint-Nicolas de Tripoli, peintes entre 1815 et 1819 par Michel le Crétois, ont été miraculeusement préservées. « Elles constituent une exception puisque Michel le Crétois est renommé pour avoir marqué de son style l'art postbyzantin de l'iconographie melkite proche-orientale du XIXe siècle. » Michel le Crétois dont le véritable nom est Michel Polychronis, connu aussi sous le nom arabe de Mikhaïl Polykhronis Kardali, est un talentueux iconographe né en Crète à la fin du XVIIIe siècle. Il est le fils du peintre Polychronis de Candie qui a œuvré au monastère Sainte-Catherine du Sinaï, à la chapelle de la Sainte-Prison à Jérusalem et au couvent orthodoxe Saint-Georges d’el-Hmeira en Syrie. Il résidera de 1809 à 1821 en Syrie et au Liban, une période durant laquelle il développe une activité prolifique. Il décore des iconostases, restaure de nombreuses icônes et initie des peintres locaux. Il acquiert une grande renommée et son influence s’étend jusqu’à la fin du XIXe siècle sur les peintres locaux, parmi lesquels Neemeh Nasser el-Homsi, Mikhaïl Mhanna el-Qodsi et la famille el-Qara.

Icônes royales, Neemet al-Mousawwir, 1698, église Saint-Georges, Balamand. Photo DR

À son actif, l’icône de l’exaltation de la Sainte-Croix conservée à l’église grecque-orthodoxe Saint-Nicolas à Tripoli. Malgré les origines grecques du peintre, les inscriptions en arabe foisonnent sur l’icône (titre, noms des personnages représentés, désignation des lieux). La dédicace en arabe au bas de l’icône est datée de 1817.

Avant le Crétois, plusieurs iconographes remarquables ont exercé leur art dans le diocèse de Tripoli, notamment la famille el-Mousawwir, qui a développé son talent à Alep, au nord de la Syrie. La famille a vu quatre générations de peintres se succéder. Les icônes conservées à Balamand, dont la Passion de saint Georges, comptent parmi les plus belles peintes par Youssef el-Mousawwir. De même, ses descendants Neemet el-Mousawwir et son fils Hanania, ont donné à leurs icônes « un cachet inimitable ». La surface dorée de leurs œuvres qu’ils signent en arabe est magnifiquement ouvragée et gravée de divers motifs. Hanania a peint les icônes de Deir el-Natour, à Enfé, notamment la Crucifixion du Christ. « La qualité de ses icônes pour un couvent somme toute bien modeste comparé à Balamand est remarquable », dit l’auteure, ajoutant que deux autres œuvres de Hanania ont été malheureusement « assombries par un mauvais vernis sous lequel on distingue, malgré tout, la main du maître d’Alep ». L’empreinte des Mousawwir influencera le peintre grec, Michel le Crétois, qui approfondit l'influence picturale arabe en intégrant la miniature et celle des tissus damascènes, rendues avec virtuosité.

Christ Ecce Homo, Parthénios, 1762, église Saint-Nicolas, Tripoli. Photo DR

Concernant l’évêque Parthénios dont une icône datée de 1764 se trouve à la cathédrale Saint-Georges (Mar Gerios) d’el-Mina, et restaurée en 1817 par Michel le Crétois, « avec des aplats de couleurs très contrastées, et une sensibilité esthétique turco-arménienne, ses grandes peintures sont étonnantes ». Ray Jabre Mouawad dit avoir « tenté de retracer son itinéraire malgré les immenses lacunes qui restent encore à combler. « Ne se considérant pas comme des artistes créateurs, mais uniquement comme les interprètes du divin dont ils sont témoins, les iconographes ne signent généralement pas leurs œuvres. Et si c’est le cas, ce sera après la formule “de la main de”, en grec “xeir”, en arabe “bi-yad”, la main de l’homme étant guidée par l’inspiration divine, véritable peintre de l’icône. »

La tradition d'associer le nom du peintre d'icônes à Jérusalem semble aussi avoir été établie par un certain Hanna el-Qudsi, dont la signature était composée de son prénom, Hanna, suivi de son titre, el-Qudsi, signifiant « le Jérusalemite ». « Avec son style naïf, frais et plein de mouvements alors qu’en général la composition et les personnages des icônes sont assez statiques, Hanna el-Qudsi a peint beaucoup pour les églises de Tripoli. Mais comment connaître sous cette signature la vie de ce peintre ? se demande Mme Mouawad. « Il n’y a pas eu en Orient un historien de l’art, comme Vasari à la Renaissance, qui aurait écrit la vie des artistes de son temps. »


Deir al-Natour, Hanania el-Mousawwir, 1728, Enfé. Photo DR

Pour conclure, Ray Jabre Mouawad fait observer que n’importe quelle recherche sur les icônes melkites n’aurait pu être possible sans les travaux de l’historienne de l’art Sylvia Agémian, spécialiste en la matière et ancienne conservatrice du musée Sursock. « C'est elle qui la première s’est intéressée aux icônes melkites du patriarcat d’Antioche. On lui doit les outils de bases sur le sujet, c’est-à-dire les catalogues des expositions consacrées aux icônes du Proche-Orient qu’elle a contribué à organiser, en particulier celle du musée Sursock de Beyrouth en 1969, et celles des collections privées auxquelles elle a eu accès, indique l'historienne. « Comme Sylvia Agémian nous qualifierons les icônes de “melkites”, bien que peintes pour des églises grecques-orthodoxes. Les chrétiens de rite byzantin seront en revanche qualifiés de “grecs”, traduction de “roums”, parce qu’ils se référaient culturellement à l’Empire byzantin, et de “grecs-orthodoxes”, pour la période postérieure à 1724. Cette année-là, le patriarcat d’Antioche s’était scindé en deux, avec deux hiérarchies distinctes, l’une grecque-orthodoxe et l’autre grecque-catholique. L’appellation “melkite” fut progressivement associée aux catholiques, mais pas les icônes », conclut Ray Jabre Mouawad, qui signe là un ouvrage à la fois historique et artistique. 

Paru aux éditions Dergham, le livre d’art Icônes et églises de Tripoli-Liban signé Ray Jabre Mouawad est remarquablement illustré de 180 photographies d’œuvres peintes, témoignant de la richesse d’un patrimoine religieux conservé dans les lieux de culte chrétien à Tripoli, Enfé et Koura. Historienne, membre fondateur de l’Association pour la restauration et l’étude...

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