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Nos Lecteurs ont la Parole

Le dilemme entre la préservation du patrimoine écologique et spirituel et le profit : l’expérience du Bhoutan

La récente déclaration émise par le Comité permanent pour l’histoire de Joubbat Becharré met en lumière un délicat dilemme qui persiste dans de nombreuses régions du Liban : la tension entre la protection du patrimoine écologique, spirituel et historique d’une part, et les intérêts commerciaux d’autre part. L’affaire de la vallée de la Qadicha, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, soulève des questions cruciales sur la manière dont la quête du profit peut compromettre la préservation de l’esthétique naturelle et de l’environnement.

Le monastère de Mar Antonios Qozhaya, censé être un gardien du patrimoine écologique, spirituel et historique, se retrouve au cœur de la controverse en ouvrant une route allant jusqu’à 5 mètres de largeur sur environ 2 500 mètres, entraînant l’abattage de 430 chênes dans la vallée protégée. Cette action, bien que dénoncée par le Comité permanent pour l’histoire de Joubbat Becharré, met en lumière un paradoxe troublant : comment un lieu sacré peut-il justifier des actes qui vont à l’encontre des décrets ministériels, des lois locales et internationales, ainsi que des résolutions maronites ?

Malgré les leçons de la faillite des banques et de l’État au Liban, il semble que certains acteurs, même au sein de l’Église maronite, continuent à privilégier le profit financier au détriment de la préservation de l’esthétique naturelle et culturelle. L’affaire de la vallée de la Qadicha rappelle que la valeur absolue ne devrait pas être l’argent ni le veau d’or, mais plutôt la préservation d’un patrimoine unique et irremplaçable. Ce patrimoine est de plusieurs ordres : écologique et environnemental, historique et spirituel.

Une critique plus large souligne que l’éducation libanaise, bien qu’incluant des enseignements théologiques et philosophiques, néglige souvent l’éthique et l’esthétique. Ces paramètres essentiels sont souvent éliminés des programmes de philosophie, contribuant ainsi à une mentalité axée sur l’argent et les affaires. Cette lacune éducative se reflète dans les décisions qui privilégient le développement commercial au détriment de la préservation esthétique des lieux.

Il faudrait œuvrer pour que l’éducation mette l’accent sur la prise de conscience environnementale et l’importance de préserver la beauté naturelle des lieux sacrés. Elle doit promouvoir une compréhension holistique de la valeur des sites historiques et écologiques, soulignant que leur préservation est intrinsèquement liée à la préservation de l’identité nationale.

L’expansion de routes, le développement d’infrastructures hôtelières et de restauration, tout en attirant un afflux de visiteurs, exposent la vallée à des risques environnementaux majeurs. Les conséquences, telles que des glissements de terrain, la déformation du paysage naturel et la destruction du sentier pédestre historique, démontrent les dangers potentiels du dérapage commercial dans des zones précieuses sur le plan écologique et culturel.

La déclaration du Comité permanent pour l’histoire de Joubbat Becharré appelle à des actions immédiates, tant au niveau du monastère que du patriarcat et de l’administration. La présentation d’un dossier complet aux autorités judiciaires et à l’Unesco sont des étapes cruciales pour préserver la vallée.

La situation dans la vallée de la Qadicha nous rappelle que la tentation du profit à tout prix peut entraîner des conséquences néfastes sur des sites d’importance historique et environnementale. Il est impératif que les gardiens du patrimoine, à tous les niveaux, résistent à cette tentation et honorent leur responsabilité de préserver ces joyaux culturels et naturels pour les générations futures.

En cas de défaillance des autorités officielles et religieuses, la mobilisation populaire devrait être encouragée. Les citoyens doivent se tenir aux côtés des défenseurs du patrimoine et de l’environnement, exigeant la préservation de la vallée de la Qadicha et d’autres sites précieux. Les manifestations pacifiques peuvent être un moyen puissant de faire entendre la voix du peuple et de rappeler l’importance de la protection du patrimoine.

Une solution durable exige également une sensibilisation accrue et un dialogue constructif entre les acteurs impliqués. Ils doivent travailler ensemble pour créer un équilibre entre les besoins de développement et la préservation du patrimoine.

La mise en œuvre de pratiques durables est impérative pour garantir la coexistence harmonieuse du développement et de la préservation. Les initiatives écoresponsables, telles que la réduction des déchets, le recours aux énergies renouvelables et la promotion du tourisme responsable peuvent contribuer à maintenir l’équilibre délicat entre la croissance économique et la protection de la nature.

L’affaire de la vallée de la Qadicha invite à une profonde réflexion sur l’évolution des priorités. Les notions de succès et de prospérité ne devraient pas uniquement se mesurer en termes financiers, mais également en fonction de la préservation de l’héritage culturel et environnemental. Cette évolution nécessite un changement de mentalité au sein de la société, encourageant la valorisation de l’esthétique, de l’éthique et de la durabilité au même titre que la réussite économique.

Il est temps de redéfinir la réussite et le progrès, en intégrant des valeurs plus holistiques dans nos décisions et nos actions. Le Liban, avec sa richesse culturelle et naturelle, a l’opportunité de montrer la voie en équilibrant le développement économique avec la préservation de ses joyaux. Cette nouvelle vision devrait être basée sur une compréhension profonde que l’argent seul ne peut mesurer la richesse d’une nation et que la vraie grandeur réside dans la préservation de son patrimoine sous toutes ses formes.

La vallée de la Qadicha, aujourd’hui sous les feux de l’actualité, est une invitation à une action collective et réfléchie. C’est l’occasion pour la société libanaise de montrer son engagement envers la préservation de son patrimoine unique. Les autorités, les institutions religieuses, les éducateurs et la population doivent collaborer pour créer un avenir où la prospérité ne se mesure pas seulement en termes économiques.

Au-delà de la vallée de la Qadicha, cette affaire soulève des questions plus larges sur la manière dont la société aborde la coexistence entre le développement économique et la préservation de ce qui est véritablement sacré. Elle offre une leçon précieuse : la protection de notre patrimoine, qu’il soit naturel, culturel ou spirituel, doit transcender les intérêts individuels au profit de la richesse collective de notre nation.

Ce qui nous amène à parler de l’expérience du Bhoutan (royaume de l’Asie du Sud) qui est célèbre pour avoir introduit le bonheur national brut (BNB) comme indicateur alternatif au produit national brut (PNB) ou au produit intérieur brut (PIB). Le BNB est une approche holistique qui vise à mesurer le bien-être et le bonheur des citoyens au-delà de la simple croissance économique.

Le Bhoutan a identifié neuf domaines-clés qui contribuent au bien-être global de la population : la santé psychologique, la santé physique, l’utilisation du temps, la vitalité communautaire, l’éducation, la diversité culturelle et la résilience, la bonne gouvernance, le niveau de vie et la préservation de l’environnement.

Plutôt que de se concentrer uniquement sur des mesures économiques, le BNB évalue la qualité de vie en considérant des facteurs sociaux, environnementaux et culturels. Les citoyens sont invités à évaluer leur bien-être subjectif et leur satisfaction dans ces différents domaines.

Pour chaque domaine, le Bhoutan a développé un ensemble spécifique d’indicateurs de performance. Par exemple, l’éducation serait mesurée par le taux d’alphabétisation et la qualité du système éducatif, tandis que la préservation de l’environnement pourrait être évaluée par des indicateurs tels que la biodiversité et la qualité de l’air.

Le Bhoutan accorde une grande importance à la durabilité environnementale et à la spiritualité. La préservation de la nature, la biodiversité et la conservation des traditions culturelles et spirituelles sont intégrées dans l’évaluation globale du bonheur.

Les résultats du BNB orientent les politiques gouvernementales. Plutôt que de simplement chercher une croissance économique rapide, le Bhoutan vise à promouvoir des politiques qui améliorent le bien-être global, tenant compte des aspects sociaux, culturels et environnementaux. Il explore également le concept de bilan intérieur brut (BIB), un autre indicateur qui complète le BNB. Le BIB va au-delà des mesures conventionnelles en intégrant des éléments intérieurs et extérieurs, y compris la valeur spirituelle, la qualité des relations sociales, l’harmonie avec la nature et la durabilité économique.

La préservation de l’environnement est un aspect fondamental du BNB au Bhoutan. La politique du pays est axée sur la conservation des ressources naturelles, la promotion des énergies renouvelables et la réduction de la pollution. Le respect de la nature est considéré comme essentiel pour le bonheur et le bien-être.

L’approche du Bhoutan avec le BNB a inspiré des discussions mondiales sur la nécessité de repenser la mesure du succès d’une nation. Elle met en évidence l’importance d’une vision plus holistique qui prend en compte le bonheur, la santé mentale, la préservation de la nature et du patrimoine, et d’autres éléments essentiels pour le bien-être des citoyens. Cette perspective offre une alternative précieuse à la fixation uniquement sur les indicateurs économiques traditionnels.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

La récente déclaration émise par le Comité permanent pour l’histoire de Joubbat Becharré met en lumière un délicat dilemme qui persiste dans de nombreuses régions du Liban : la tension entre la protection du patrimoine écologique, spirituel et historique d’une part, et les intérêts commerciaux d’autre part. L’affaire de la vallée de la Qadicha, inscrite au...

commentaires (1)

Merci pour cet excellent article. Que ce saccage soit l’œuvre de religieux est, en effet, difficile à concevoir. Et la Qadicha n’en est malheureusement pas le seul exemple, même s’il est le plus incompréhensible et le plus révoltant. Les routes ne détruisent pas seulement l’environnement, mais l’afflux de visiteurs, est déjà, en soi, une grave atteinte à la Qadicha. Merci pour l’exemple du Bhoutan. Ici on ne propose comme idéal que "panem et circenses", mais le bonheur n’a que peu à voir avec. Un certain Galiléen le disait déjà voici 2000 ans: "L’homme ne vit pas seulement de pain".

Yves Prevost

10 h 40, le 13 décembre 2023

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Commentaires (1)

  • Merci pour cet excellent article. Que ce saccage soit l’œuvre de religieux est, en effet, difficile à concevoir. Et la Qadicha n’en est malheureusement pas le seul exemple, même s’il est le plus incompréhensible et le plus révoltant. Les routes ne détruisent pas seulement l’environnement, mais l’afflux de visiteurs, est déjà, en soi, une grave atteinte à la Qadicha. Merci pour l’exemple du Bhoutan. Ici on ne propose comme idéal que "panem et circenses", mais le bonheur n’a que peu à voir avec. Un certain Galiléen le disait déjà voici 2000 ans: "L’homme ne vit pas seulement de pain".

    Yves Prevost

    10 h 40, le 13 décembre 2023

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