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Le pluralisme et la fluctuation, entre le relativisme et l’intolérance

Le pluralisme, ou la reconnaissance et la rationalisation de la diversité inhérente à la vie elle-même, nécessite une dialectique permanente entre les éléments garantissant une unité indispensable pour toute vie sociale stable, prospère et évolutive, et les conditions de la diversité, à savoir la réfutation de toute uniformité, de toute prétention à la détention de la vérité absolue et de toute discrimination.

L’objectif explicite de cette dialectique dynamique, qui est généralement exprimée par le vivre-ensemble, est de trouver un terrain d’entente, soit à travers des valeurs communes solides – valeurs qui sont le fondement d’une cohésion sociale, car elles permettent la construction d’une identité partagée –, soit à travers des intérêts communs bien formulés – intérêts dont la continuité dépend de la volonté de poursuivre des objectifs communs –, soit en conjuguant les deux aspects. Cependant, trouver un terrain d’entente implique inévitablement une sélection, que ce soit en matière de valeurs ou d’intérêts. Ainsi, le risque réside dans la marginalisation de valeurs ou d’intérêts potentiellement significatifs, une démarche pouvant conduire à un dilemme inévitable pour les parties impliquées : celui entre le relativisme et l’intolérance, celui-ci est synonyme du repli communautariste.

Concrètement, cette marginalisation de certains intérêts et valeurs peut être formelle pour garantir que les ententes soient conclues tandis que les valeurs et les intérêts privés demeurent influents au sein des communautés, ce qui soulève plus d’une question quant à leur impact futur sur la durabilité des ententes. Cependant, cette marginalisation peut également être réelle, ce qui signifie que les valeurs et les intérêts écartés perdent leur importance au sein des communautés au profit de ce qui est commun, et qui peut finalement conduire à une fusion sociale. Cette dernière possibilité soulève l’idée fondamentale qu’il n’y a pas de culture – dans le sens large du terme – à l’état pur. C’est parce que l’échange, l’interférence et l’influence réciproques n’ont jamais arrêté de façonner les différentes cultures, surtout avec l’avènement de la mondialisation qui accélère tellement cet échange complexe. Dans ce dernier cas, le risque de montée du fondamentalisme reste possible en raison du processus de marginalisation réelle, qui dépend de la manière dont les communautés s’adaptent à la nouvelle situation et de l’impact d’éléments externes sur l’état psychologique au sein des communautés ayant une extension culturelle, ethnique ou religieuse au-delà des frontières du pays dans lequel elles vivent.

En tout cas, la marginalisation elle-même qu’implique la dialectique déjà mentionnée pose le problème de l’injustice et, en même temps, met en question la prétendue suffisance du principe même du pluralisme, car si certains valeurs et intérêts sont écartés, cela pourrait être considéré comme injustice. De même, si le pluralisme se transforme en une stratégie de sélection, il ne peut pas suffire à rationaliser la diversité dans toutes ses composantes. D’ailleurs, la question du pluralisme dans une société composée d’une majorité et d’une ou plusieurs minorités présente une autre difficulté. Dans ce cas, la culture de la majorité fournit les éléments d’unité qui garantissent la stabilité et le développement de la société, et ces éléments s’imposent comme vecteur de tout le processus de rationalisation de la diversité. C’est l’intégration qui se présente ici comme solution à la diversité, et elle pourrait progresser selon une politique douce, ou immédiate selon une politique dure. Par conséquent, la seule issue pour le pluralisme semble être l’invitation à introduire des changements fondamentaux aux assises mêmes du système existant qui émerge de la culture de la majorité. Mais ce n’est pas une question facile, car elle nécessite un changement dans la mentalité de la majorité et ne se limite pas à de simples adoptions d’amendements constitutionnels et de nouvelles lois. Par contre, si le processus de rationalisation de la diversité se déroule dans un cadre dans lequel les communautés sont égales en termes de poids numérique, politique ou culturel, l’incapacité de trouver des formules solides d’unité pourrait conduire à l’émergence de tendances séparatistes ou la création d’une situation de coexistence plutôt fragile. À ce stade, les conditions de trouver les éléments d’une unité solide ne peuvent se fonder seulement sur un ensemble sélectionné de valeurs et/ou d’intérêts communs, mais sur la recherche de ce qui constitue un véritable bien commun dans ses deux dimensions matérielle et spirituelle, quitte à se trouver devant le risque de marginalisation et donc de repli communautariste mentionné plus haut.

Grâce à sa culture fondée sur l’égalité, la justice et les droits de l’homme, il va sans dire que la démocratie libérale telle qu’elle s’est développée en Occident semble être le cadre le plus approprié, voire le seul, pour stimuler et encadrer la dialectique du pluralisme. Contrairement à l’Europe et à l’Amérique, la question du pluralisme ne se pose pas au Moyen-Orient dans un cadre démocratique libéral, mais plutôt dans le cadre de régimes militaires, de monarchies traditionnelles, de régimes autoritaires qui s’appuient sur un système de parti unique, de théocratie, de démocratie antilibérale ou de régimes démocratiques faibles. Par conséquent, traiter ou rationaliser la diversité, quel qu’en soit le type – ethnique, religieux ou culturel –, ne repose pas sur la centralité des droits de l’homme et l’égalité, mais plutôt sur la nature du système existant, les intérêts qu’il détermine et la position de chaque communauté minoritaire envers le régime politique sur place. Les conditions mêmes de la diversité ne sont donc pas garanties. Les conditions permettant le développement du pluralisme exigent donc un cadre démocratique libéral qui se trouve devant un choix difficile : soit l’intégration, soit la révision des principes mêmes sur lesquels le système démocratique libéral est fondé. En Europe surtout, cette impasse se traduit par une politique gouvernementale confuse quant à la politique à adopter pour faire face au problème des réfugiés et des immigrés et la montée de l’extrême droite. En somme, la réussite du pluralisme dépend largement des transformations fondamentales qui doivent se produire au sein des communautés elles-mêmes et au sein des systèmes existants. Chemin long et périlleux.

Père Salah ABOUJAOUDÉ, s.j.

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Le pluralisme, ou la reconnaissance et la rationalisation de la diversité inhérente à la vie elle-même, nécessite une dialectique permanente entre les éléments garantissant une unité indispensable pour toute vie sociale stable, prospère et évolutive, et les conditions de la diversité, à savoir la réfutation de toute uniformité, de toute prétention à la détention de la...

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