Nabih Berry vient de marquer un point. En pleine vacance présidentielle, le président de la Chambre réunira le Parlement lors d’une séance plénière qui aura lieu jeudi 14 décembre à 11h. Il a donc tenu sa promesse de réunir le Parlement avant le 15 décembre. On le sait déjà : cette réunion vise principalement à proroger le mandat du chef de l’armée, Joseph Aoun, qui arrive à expiration le 10 janvier 2024. Sauf que la convocation ne semble pas suffire à elle seule pour confirmer que le numéro un de la troupe sera maintenu à son poste, plusieurs questions demeurant jusqu’ici sans réponses. La plus évidente est sans doute celle portant sur la position du Hezbollah : que fera le parti chiite, tiraillé entre l’importance de préserver la stabilité de l’armée en période de guerre et le besoin de ne pas couper tous les ponts avec son allié chrétien Gebran Bassil, hostile à tout scénario axé sur la prorogation du mandat du chef de l’armée ? Et surtout : comment le chef du CPL compte-t-il riposter si le Parlement venait à voter une loi en faveur du maintien de Joseph Aoun ?
Nabih Berry a officialisé sa décision juste après une réunion du bureau de la Chambre tenue lundi à Aïn el-Tiné pour mettre en place l’ordre du jour de la séance législative. Celui-ci est formé de 16 projets et propositions de loi, dont un portant sur l’assurance-vieillesse, un autre sur le contrôle des capitaux et un troisième articulé autour de l’indépendance de la justice. Des textes qui ne font pas l’unanimité dans les milieux politiques. De quoi menacer la tenue de la réunion ? «Tous les projets et propositions de loi déjà passés par les commissions parlementaires ont été inclus à l’ordre du jour », explique Michel Moussa, député berryste et membre du bureau de la Chambre. Il souligne que plus de 103 projets et propositions de loi revêtus du caractère de double urgence ont été évoqués lors de la réunion du bureau de la Chambre. « À la tête de ceux-ci figurent ceux liés à l’avenir du commandement de l’armée », dit-il. Encore un point que le chef du législatif a marqué face à ses détracteurs, à commencer par les Forces libanaises. Celles-ci pourraient bien prendre part à la séance de jeudi (et lui assurer une couverture chrétienne de taille) en dépit du fait que l’ordre du jour n’est pas axé sur la seule affaire de Joseph Aoun. Depuis le début de la vacance présidentielle, le parti de Samir Geagea, à l'instar d'autres formations chrétiennes, a boycotté toutes les séances législatives, considérant qu'elles contrevenaient à la Constitution, aux termes de laquelle le Parlement ne peut être qu'un corps électoral, et rien d'autre, en période de vide présidentiel.
« Nous nous orientons vers une participation à la séance parce que les points figurant à l’ordre du jour sont nécessaires, et que nous voulons presser pour une prorogation du mandat de Joseph Aoun », déclare à L’Orient-Le Jour Fady Karam, député FL. Une prise de position d’autant plus attendue que la formation chrétienne avait présenté, fin octobre, une proposition de loi retardant d’un an le départ à la retraite du chef de l’armée quel qu’il soit.
De son côté, le groupe de la Modération nationale (députés majoritairement sunnites ex-haririens) a présenté une proposition de loi prorogeant le mandat de tous les patrons d’appareils sécuritaires, dans une volonté claire de maintenir le général Imad Osman (sunnite), censé partir à la retraite en mai 2024, à la tête des Forces de sécurité intérieure. « Tous les chefs d’appareils sécuritaires devraient être traités de la même manière. Nous pressons donc pour que notre proposition de loi soit votée », déclare Walid Baarini, membre du bloc. Il reconnaît toutefois que la prorogation du mandat de Joseph Aoun est « prioritaire », comme pour faire comprendre que son groupe serait disposé à avaliser tout texte allant dans ce sens. « Nous nous réunirons dans les deux prochains jours pour prendre une décision finale », souligne M. Baarini.
La séance de jeudi se tiendra donc avec le feu vert d’une large frange de la classe politique, y compris le PSP de Taymour Joumblatt. Mais le flou entoure encore la position du Hezbollah. Selon les informations qui circulent depuis plusieurs jours, le bloc du parti de Dieu pourrait faire acte de présence à la Chambre pour assurer la tenue de la séance, sans pour autant voter pour la prorogation du mandat du chef de l’armée. Une façon pour le Hezbollah de ménager la chèvre et le chou.
Bassil mijote sa contre-attaque
Mais Gebran Bassil semble loin d’avaler la pilule Joseph Aoun. Il prépare déjà sa contre-attaque. Le chef du CPL s’attardera sur la question de la prorogation du mandat du général Aoun dans une conférence de presse prévue mardi à 18h. Il pourrait menacer de présenter au Conseil constitutionnel un recours en invalidation de la loi qui maintiendrait Joseph Aoun à la tête de l’armée après le 10 janvier. « Il faut que tout le monde comprenne que nous sommes contre toute démarche anticonstitutionnelle », lance Martine Najm Koteily, adjointe de M. Bassil pour les affaires politiques. Le vice-président du Parlement, Élias Bou Saab (aux rapports tendus avec les aounistes), a déjà donné le ton. « Toute loi taillée à la mesure d’une personne est susceptible de recours en invalidation », a-t-il martelé à l’issue de la réunion du bureau de la Chambre.
Si tout le monde est là, jeudi, pourquoi ne pas en profiter pour élire un président? C'est d'ailleurs ,a seule chose que les députés ont le droit de faire.
07 h 11, le 12 décembre 2023