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Lifestyle - Rencontre

« Moi, Zahia D., 31 ans, engagée, (ex)prostituée… »

Elle a fait la une des journaux du monde entier. Au cœur d’une affaire de mœurs devenue un scandale international en 2010, Zahia Dehar, ex-escort girl, a d’abord été un corps, une proie facile pour misogynes et conservateurs. Treize ans plus tard, la désormais mannequin et actrice revient pour L’Orient-Le Jour sur une renaissance artistique et sociale résolument féministe.

« Moi, Zahia D., 31 ans, engagée, (ex)prostituée… »

Zahia Dehar a posé en Marianne sous l’objectif de Pierre & Gilles. Loïc Venance / AFP

Elle n’avait même pas 18 ans. Quand éclate le premier grand scandale socio-judiciaire de la dernière décennie, elle pensait pouvoir échapper de justesse au tourbillon médiatique. Pas de bol, l’affaire prendra son nom. 

Le 12 avril 2010, une brigade policière lance une perquisition contre le Zaman Café, un cabaret en plein centre de Paris. L’endroit est un haut-lieu du « proxénétisme de luxe », plusieurs travailleuses du sexe sont arrêtées, dont une mineure : Zahia, 17 ans, chevelure blond platine, figure frêle, talons hauts chevillés au corps.

Après les gardes à vue et de premiers murmures dans la presse, les auditions révèlent que quatre membres de l’équipe de France de football font partie des réguliers, dont Karim Benzema et Franck Ribéry. 

« Je me souviendrai toujours du jour où tout a été révélé. J’étais chez moi quand une amie m’a appelée pour me l’apprendre. Sur les vidéos et clichés qui circulaient, on ne voyait pas encore mon visage, mais je savais que ce n’était plus qu’une question d’heures », confie Zahia à L’Orient-Le Jour. À la suite de la mise en examen des footballeurs pour « sollicitation de prostituée mineure », le journal Le Monde révèle le 24 avril de la même année le prénom et l’initiale de l’adolescente. La machine médiatique s’emballe. Zahia D. devient « Zahia la prostituée ». Sur les réseaux sociaux qui prennent de l’ampleur comme sur les plateaux des talk-shows qui confondent liberté d’expression et misogynie décomplexée, la jeune femme est la risée du pays. « Je ne suis plus sortie de chez moi. Imaginez-vous entrer dans la vie adulte en étant estampillée comme une fille facile. D’un coup, tout semblait impossible parce que la société ne veut pas voir des femmes comme moi en plein jour », déclare, agacée, l’ex-escort. 

À l’approche de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, l’affaire prend un retentissement international. Sur la couverture des magazines de papier glacé qui ne vendent plus et dans les émissions de divertissement en manque d’audience, la vie privée de Zahia est exposée, son corps décrit comme un objet, sa personne déshumanisée. « J’étais une proie facile », dit-elle. Longtemps décrite comme une fausse blonde maghrébine de mauvaise vie sans aucune estime de soi, Dehar assume aujourd’hui, treize ans après les faits, un passé dont elle parle volontiers parce que, précise-t-elle, « je n’ai absolument rien fait de mal ». Si nos sociétés patriarcales pardonnent tout aux hommes, l’ancienne call-girl ne compte toujours pas se murer dans le silence, bien au contraire…

Fièrement politiquement incorrecte

Née en Algérie au tout début de la « décennie noire » ayant opposé le gouvernement à divers groupes islamistes, Zahia grandit dans la peur de se faire enlever, tuer, violer. Jusqu’à ses dix ans et son départ pour la France avec sa mère et son frère, l’incertitude fait partie de la vie de cette bonne élève rêvant d’ailleurs, suspendue aux clips des chanteuses américaines de l’époque pour s’échapper. Entre les attentats et la montée de l’extrémisme, les rêves d’enfant de Zahia Dehar contrastent avec la réalité d’un pays qui s’ébranle sous les yeux d’un Occident abasourdi qui ne réagit pas. « Malgré tout ce qui se passait, j’avais beaucoup d’ambition, de projets et une envie de faire de longues études pour réussir ma vie », explique-t-elle avec un brin de naïveté. Arrivée sur la terre promise avec sa famille, sans repère ni accroche, ne parlant pas un mot de français et donc vite en difficulté scolaire, Zahia, paniquée, s’aperçoit un soir « qu’il existe d’autres moyens de parvenir à ses fins ».

Noctambule, elle se met à fréquenter les adresses de la capitale où personne n’aspire être reconnu. À l’âge où le corps devient un lieu de découverte, Zahia attise les convoitises des plus dangereux, le remarque et décide d’en tirer profit. « J’étais le cliché de la fille à qui il ne restait plus rien, ou presque. Juste une robe, une paire de talons et un corps », lâche-t-elle en assumant ses envies, ses besoins et son amour du sexe qui, pour elle, « ne se distingue pas de l’ordinaire », bien qu’il soit tarifé. « Que font les “gens biens” tous les soirs dans leurs lits ? Un acte sexuel est un acte sexuel. Arrangements ou pas, payés ou pas, tant que c’est entre adultes consentants, quel est le problème ? » renchérit-elle d’une traite.

Zahia Dehar lors de la tournée promotionnelle du film « L'air de la mer rend libre », le 26 août 2023.  Yohan Bonnet / AFP

Liberté, égalité et féminisme

Après le « scandale Zahia », la jeune femme quitte les cabarets où « elle gagne (sa) vie » et met fin à ses activités d’escort. Délaissée, insultée, ostracisée, elle s’isole, pense à commettre l’irréparable. « Personne n’osait plus m’approcher. C’était comme si on me tendait la corde pour que je me suicide », admet-elle dans un calme déconcertant. Personne, sauf les « génies. »

Sa voix douce, sophistiquée, comme sortie d’une autre ère, devient son arme. Attire la curiosité de créateurs de mode, agents et rédacteurs en chef de grands magazines qui la glamourisent, l’hypersexualisent avec son accord. En posant pour Karl Lagerfeld – qui en fait sa muse –, Farida Khelfa ou Pierre et Gilles, Zahia devient un élément de la pop culture contemporaine et branchée. Dans cet univers où la démesure est recommandée et où l’esclandre est vendeuse, la vingtenaire fascine les fascinants. Isabelle Adjani veut en faire un documentaire, Jean-Paul Gaultier la voir au premier rang de ses défilés. 

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Au-delà de la superficialité de façade du monde de la mode, Zahia brise rapidement les codes de la « princesse muette ». Sous le feu des projecteurs ou dans les colonnes des journaux, elle s’indigne et proteste sous le regard ébahi de journalistes plus accoutumés aux témoignages de femmes résignées qu’exposait Ardisson dans ses émissions trois décennies durant. 

« Je veux parler du scandale, je veux parler de mon corps. Pourquoi éviter ces sujets ? Je ne suis pas une criminelle pour me soumettre au silence. Je veux éduquer les gens et leur poser une seule question : pourquoi vouloir terroriser les femmes avec le mot pute ? » En se réappropriant des termes jugés dérogatoires, Zahia remet en cause le fonctionnement d’un monde aux préconceptions qu’elle juge archaïques. « Ne pas se sentir insultées quand on nous traite de prostituée ou de traînée est un acte de militantisme féministe. Je dis “nous” parce que, bien que cette activité ne représentait qu’une année de ma vie, je serai toujours aux côtés de ces femmes. »

La renaissance

Bien qu’ayant grandi auprès d’une mère ouverte à la différence, Zahia questionne les coutumes séculaires du monde arabe qui l’intrigue, de par la liberté de ces actrices surtout. Désormais elle-même comédienne et à l’affiche de L’air de la mer rend libre du réalisateur algérien Nadir Moknèche, elle compare les rôles qu’elle campe à des centres de vacances « parce que, le temps d’une scène, je ne suis plus moi », lance-t-elle. 

Traditions, flamboyance et homosexualité, ce dernier long-métrage met à mal les schémas de souffrances que traversent celles et ceux choisissant de prendre les routes moins empruntées. « Ça me ressemble bien finalement », relate celle qui a fait ses débuts cinématographiques devant la caméra de Rebecca Zlotowski dans Une fille facile.

Son Algérie natale, elle n’y retournera jamais, par peur d’être mal accueillie « peut-être », par manque de temps « surtout. »

À 31 ans, plus d’une décennie après l’affaire ayant éclaboussé les Bleus, Zahia Dehar relate à demi-mot sa lassitude vis-à-vis de cette réputation qui lui colle à la peau et qui continue encore de lui faire perdre contrats et projets. « Ça reste une pute, n’oubliez-pas », entend-t-elle souvent murmurer dans les couloirs des agences et des grands médias. « Mais qu’importe, j’avance, et la tête haute. » 

Souvent esthétiquement comparée à son « idole » Brigitte Bardot, Zahia revendique, au contraire de l’icône cloîtrée à Saint-Tropez, un féminisme émancipé de la quatrième vague. Si leurs idéaux sur le plan social diffèrent, elles ont surtout un point en commun : leur incompréhension de l’époque, moins libertaire, enfermant par facilité les gens dans des cases. 

« J’assume tout aujourd’hui, je sais ce que je représente. S’il y a bien une chose qui réunit les gens de toutes les cultures et de toutes les religions, c’est bien la haine des putes. M’entendre m’exprimer dérange, alors je continuerai de le faire. Pour moi, pour elles… »

Elle n’avait même pas 18 ans. Quand éclate le premier grand scandale socio-judiciaire de la dernière décennie, elle pensait pouvoir échapper de justesse au tourbillon médiatique. Pas de bol, l’affaire prendra son nom. Le 12 avril 2010, une brigade policière lance une perquisition contre le Zaman Café, un cabaret en plein centre de Paris. L’endroit est un haut-lieu du...
commentaires (3)

OLJ devient un magazine people? M’enfin…

Tabet

15 h 35, le 17 novembre 2023

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Commentaires (3)

  • OLJ devient un magazine people? M’enfin…

    Tabet

    15 h 35, le 17 novembre 2023

  • Tout etre humain dois etre respecter dans sa dignité indelebile. Si les gens jugent Zahia, alors que dire de ses clients, non? Je ne juge point et je ne vais juger personne, Seul Dieu sait tout.

    Eddy

    13 h 53, le 17 novembre 2023

  • Bof… circulez.. y a rien à voir … on zappe…

    LE FRANCOPHONE

    01 h 04, le 17 novembre 2023

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