Rechercher
Rechercher

Économie - Entretien croisé

Frontière maritime libano-israélienne : un an après, quel est le bilan ?

Deux experts, Michel Ghazal et Mona Sukkarieh, font le point pour « L’Orient-Le Jour ».

Frontière maritime libano-israélienne : un an après, quel est le bilan ?

Un véhicule de la Finul stationné le long de la route principale près de la ville de Naqoura, à proximité de la frontière avec Israël, le 27 octobre 2022. Mahmoud Zayyat/AFP

Le 27 octobre 2022, le Liban signait avec Israël un accord historique pour délimiter les frontières maritimes séparant les deux pays. À qui cet accord a-t-il le plus bénéficié ? Et à quoi ressemble l’avenir du secteur gazier libanais à l’aune des récents développements ? Michel Ghazal, expert international en négociation, consultant auprès de la délégation libanaise aux négociations de Naqoura et auteur du livre « Occasion manquée ? Les secrets des négociations maritimes Liban-Israël », et Mona Sukkarieh, consultante en risque politique et cofondatrice du cabinet Middle East Strategic Perspectives, répondent aux questions de L’Orient-Le Jour.

Un an après la signature de l’accord maritime entre le Liban et Israël, alors que l’incertitude règne encore sur une possible extension du conflit israélo-palestinien, quel bilan global tirez-vous de cet accord ?

Michel Ghazal : Le bilan est clair. Le Liban n’a obtenu que le minimum auquel il pouvait aspirer. Les responsables politiques auraient dû signer le décret qui aurait permis au Liban officiel de revendiquer, à travers la ligne 29, pleinement ses droits, soit 1 430 km² supplémentaires. Malgré les nombreuses opportunités qui se sont présentées, ils ont refusé d’appliquer les normes du droit international en ce qui concerne les zones litigieuses. Une occasion manquée qui pourrait potentiellement, et en fonction des futures découvertes, engendrer la perte de plusieurs milliards de dollars.

Certes, cet accord a été bénéfique au Liban, mais dans une mesure moindre que ce qu’il aurait dû être. D’un côté, il a contribué à fournir des assurances sécuritaires dans la région, réussissant à rendre le Liban plus attractif aux sociétés qui seraient intéressées d’y exploiter les potentielles ressources d’hydrocarbures. Mais de l’autre côté, il n’a par exemple pas permis au Liban de bénéficier de l’intégralité des revenus liés à l’exploitation du champ potentiel de Cana : contrairement aux discours populistes des politiciens, Israël pourrait obtenir jusqu’à 16 % des revenus, en fonction des volumes qui se retrouveraient dans ses eaux telles que définies par la ligne 23.

Lire aussi

Gaz offshore au Liban : le consortium mené par TotalEnergies n’est plus intéressé par le bloc n° 4

Les termes de l’accord sont en majorité en faveur d’Israël, faisant de lui le grand vainqueur de ces négociations. En le signant, les Israéliens ont pu obtenir la pacification d’une zone contestée et à la portée du Hezbollah, lancer les opérations d’extraction de gaz dans le champ de Karish, garder la main sur une partie du champ potentiel de Cana et obtenir une surface supérieure à celle à laquelle ils auraient dû avoir droit.

Mais on peut aussi considérer que le Hezbollah fait partie des gagnants de cet accord, dans la mesure où il attribue sa mise en place à l’action de la « résistance » et justifie par là la pérennité de son existence.

Par ailleurs, en signant un accord de cette façon, le Liban a créé un précédent fâcheux pour les négociations futures. Ne s’étant toujours pas mis d’accord sur le tracé des frontières maritimes avec la Syrie, il leur donne la possibilité de refuser d’appliquer les normes internationales. Les responsables syriens pourraient alors remettre en question la volonté du Liban d’appliquer ces règles avec « un pays » frère, alors qu’il a refusé de le faire avec un pays « ennemi ».

Mona Sukkarieh : La principale implication de cet accord est une réduction des risques à la frontière. Il assure un environnement relativement plus convenable pour les investisseurs et des conditions un peu plus stables pour les entreprises des deux côtés de la frontière. On est passé de l’échange de menaces contre les activités et les installations offshore dans la région à la production du gaz d’un côté de la frontière et au forage d’un puits d’exploration de l’autre côté.

Cela s’est traduit aussi par une plus grande attractivité pour les activités d’exploration à la frontière, comme en témoigne le résultat des appels d’offres organisés par le Liban et Israël : côté libanais, un consortium comprenant TotalEnergies, ENI et QatarEnergy a présenté une offre pour le bloc n° 8 et une autre pour le bloc n° 10 au sud de la zone économique exclusive (ZEE) libanaise ; côté israélien, Socar, BP et NewMed Energy ont présenté une offre pour la zone 1 qui se trouve au nord de la ZEE israélienne. Difficile d’imaginer que ces compagnies auraient exprimé le moindre intérêt en l’absence d’un tel accord.

Le Liban obtient aussi la délimitation d’une de ses frontières maritimes, ce qui n’est pas négligeable, en attendant la délimitation finale avec Chypre et la résolution du différend frontalier au nord avec la Syrie.

Sur le plan politique, l’accord a été critiqué au Liban car beaucoup ont considéré que le pays a fait des concessions et qu’il aurait pu obtenir une zone plus large encore. Ces critiques ont repris après le résultat décevant du forage à Cana, et certains appellent même à dénoncer l’accord. Mais le débat autour des lignes est clos maintenant, et l’accord ne peut être dénoncé sans porter atteinte à l’image de l’État libanais.

Lire aussi

Gaz offshore au Liban : l’arrêt du forage dans le bloc 9 est confirmé par les autorités

Dans quelle mesure le regain des tensions dans le sud du Liban pourrait-il refroidir l’intérêt du consortium déjà présent et des potentiels candidats aux autres blocs de la ZEE libanaise ?

Michel Ghazal : Ce regain des tensions dans la région constitue un élément contre-productif aux activités d’exploration au Liban et pourrait refroidir l’intérêt des sociétés qui voudraient s’y lancer. Car, même si l’accord de délimitation des frontières maritimes a servi à pacifier la situation, rien ne garantit que ces assurances restent effectives. La conjoncture actuelle change la donne et pourrait enflammer la situation, le Hezbollah ne pouvant rester les bras croisés face aux représailles d’Israël entraînant la mort de milliers de civils à Gaza. Cela met en danger les plateformes opérant des deux côtés de la frontière.

Cette même situation a d’ailleurs ravivé un nouveau genre de théories complotistes selon lesquelles le consortium mené par TotalEnergies a été contraint à se désengager du sud du Liban plus tôt que prévu et à annoncer ne pas avoir trouvé de gaz dans le puits creusé dans le bloc n° 9.

Mona Sukkarieh : Les tensions actuelles rappellent que le risque géopolitique dans la région demeure important et que l’accord maritime ne fait que réduire les risques à la frontière – étant donné qu’un différend frontalier a été résolu – mais ne les élimine pas pour autant, vu la situation conflictuelle entre le Liban et Israël, qui risque de dégénérer si le contexte s’y prête.

La reprise des tensions entre les deux pays est pour le moment limitée à la frontière terrestre. Mais cela a eu pour conséquence d’accroître les incertitudes et de faire planer le risque d’une escalade militaire plus importante. Cela va forcément peser sur les évolutions du secteur dans les deux pays. On pourrait penser par exemple que lors des négociations qui précèdent les attributions officielles respectives des licences d’exploration, les compagnies pourraient profiter de cette opportunité pour essayer d’améliorer les termes de ces accords en leur faveur.

Lire aussi

Frontière maritime : à qui va profiter l’accord?

Le Liban a déjà pris beaucoup de retard par rapport à ses voisins dans ce domaine, les résultats décevants des premières explorations et les décisions récentes du consortium (désintérêt dans le bloc n° 4, retrait prématuré du bloc n° 9 et toujours pas de signature de contrats pour les blocs n° 8 et 10) risquent-ils de compromettre le pari gazier libanais ?

Michel Ghazal : Il faut garder en tête que le Liban n’est toujours pas un pays gazier : il n’a fait aucune découverte à ce jour et l’extraction ne pourra se faire immédiatement. Cela est normal et ne remet pas vraiment en cause d’éventuelles découvertes futures. Si toutefois celles-ci se concrétisent, ce qui compromettrait alors ce pari serait l’absence de stabilité et de paix dans la région, faisant baisser l’attractivité du Liban aux compagnies étrangères.

Mona Sukkarieh : Non, pas nécessairement. C’est un rappel que l’exploration offshore est un long processus, avec ses risques, ses défis et ses incertitudes. Le Liban fait ses premiers pas dans la phase d’exploration, il n’a foré que deux puits dans sa ZEE. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous dès les premiers forages, cela n’est pas inhabituel. À titre de comparaison, vingt puits ont été forés au large des côtes israéliennes avant les premières découvertes – qui étaient toujours modestes d’ailleurs – en 1999 et 2000, et plus de 40 ont été forés depuis.

Cela ne veut pas dire que le Liban devra attendre aussi longtemps. Il est simplement impossible de savoir quand le Liban fera éventuellement sa première découverte, mais on estime généralement que le taux de réussite pour un forage dans des eaux profondes est aux alentours de 20 %. Plus on creuse, plus on a de chances de faire une découverte. Mais pour forer, il faudra attirer les compagnies. Et pour attirer les compagnies, il faudra leur offrir un cadre politique, économique et réglementaire favorable aux investissements.

Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que même si une découverte est faite, de longues années peuvent s’écouler avant de passer à la phase de production, comme en témoigne l’expérience des pays voisins. Chypre, par exemple, a enregistré sa première découverte en 2011. Le début de la production n’est pas prévu avant 2027. Si la déception est énorme au Liban après deux forages seulement, c’est que les attentes autour du secteur ont été amplifiées dès le début de l’aventure offshore pour des raisons politiques, et cette tendance s’est renforcée après l’éclatement de la crise économique et financière. Cela a fini par alimenter les théories de complot les plus insensées. S’il y a une leçon à tirer de cette année qui s’est écoulée, c’est qu’il faut avoir une vision plus réaliste du secteur, de ses opportunités et de ses limites. 

Le 27 octobre 2022, le Liban signait avec Israël un accord historique pour délimiter les frontières maritimes séparant les deux pays. À qui cet accord a-t-il le plus bénéficié ? Et à quoi ressemble l’avenir du secteur gazier libanais à l’aune des récents développements ? Michel Ghazal, expert international en négociation, consultant auprès de la délégation libanaise aux...

commentaires (2)

INCOMPETENCE ET FANFARONNADE ? ACCORD SUR LES SANCTIONS SUR D,AUTRES QUE LE SANCTIONNE ? TRAITRISE ? LES DEUX PREMIERS ENSEMBLE SONT LES PLUS PROBABLES !

LA LIBRE EXPRESSION

00 h 29, le 09 novembre 2023

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • INCOMPETENCE ET FANFARONNADE ? ACCORD SUR LES SANCTIONS SUR D,AUTRES QUE LE SANCTIONNE ? TRAITRISE ? LES DEUX PREMIERS ENSEMBLE SONT LES PLUS PROBABLES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 29, le 09 novembre 2023

  • Que les commentateurs brodent autant qu’ils veulent sur ce sujet, ils peuvent ainsi se rendre intéressants et faire croire qu’ils sont intelligents. En attendant Israël exporte son gaz et le Liban n’a pas encore trouvé la moindre once de gaz. Bravo à nos élites politiques …

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 35, le 08 novembre 2023

Retour en haut