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Moyen-Orient - RÉCIT

« Je suis là pour sauver ma sœur » : à Gaza, l’interminable attente de Haitham au-dessus des décombres

Pendant 48 heures, le Gazaoui s’est déplacé entre l’hôpital al-Shifa et les ruines de la tour al-Taj, rasée par l’armée israélienne, où vivait Hala, dans l’espoir de la retrouver vivante.

« Je suis là pour sauver ma sœur » : à Gaza, l’interminable attente de Haitham au-dessus des décombres

Les restes de la tour al-Taj, détruite avec d’autres immeubles de la rue Jalaa et de la place Yarmouk, à Gaza-Ville, les 25 et 26 octobre. Capture d’écran, vidéo Haitham Saleh

Haitham Saleh écoute distraitement les nouvelles à la radio après dîner ce 25 octobre, quand il entend que la tour al-Taj, dans un quartier résidentiel de Gaza-Ville, a été détruite par un bombardement israélien. Il sait que sa sœur Hala, 42 ans, son mari et ses quatre enfants ont quitté leur maison d’al-Zawaida pour s’installer rue Jalaa, dans la capitale de l’enclave, où se situe le bâtiment. Il ne s’inquiète pas outre mesure. « Au début, nous n’imaginions pas l’ampleur de la frappe », raconte le Gazaoui de 40 ans. Mais l’inquiétude commence à le ronger lorsqu’il apprend par son autre sœur, qui avait rendu visite à Hala deux jours plus tôt, que cette dernière habite bien dans la tour al-Taj. « Elle avait choisi cet immeuble parce qu’il était rempli de familles qui avaient fui les bombardements du Nord. » Hala y voyait un gage de sécurité. Le mastodonte de sept étages a été pulvérisé, laissant un cratère débordant de béton et d’acier, d’effets personnels et de cadavres. Un bilan repris par l’ONU le jour du raid et non mis à jour depuis annonce 40 morts, dans l’une des attaques les plus meurtrières des 25 et 26 octobre, alors que l’armée israélienne ciblait en masse des infrastructures souterraines du Hamas.

Au fil de la soirée, Haitham appelle frénétiquement ses proches qui résident dans la tour al-Taj. Certaines lignes sonnent dans le vide, d’autres sont coupées. Il finit par avoir Youssef, le fils de Hala, pris en charge à l’hôpital al-Shifa. Son petit frère et leur cousin ont survécu, dit-il. Un premier soulagement. Mais Hala et 16 membres de sa famille manquent à l’appel. « Je n’ai pas informé mes parents cette nuit-là pour qu’ils puissent dormir paisiblement. » Le lendemain matin, Haitham prend immédiatement la route vers l’hôpital al-Shifa, dans l’espoir d’y retrouver sa sœur. Les blessés et les corps retirés des décombres de l’immeuble al-Taj y sont évacués.

Hala, 42 ans, avec ses filles Maimana, 20 ans, et Habiba, 14 ans. Photo Haitham Saleh

Haitham se déplace peu depuis qu’il s’est réfugié avec sa femme et ses quatre enfants à Khan Younès. Ce matin du 26 octobre, les 35 kilomètres qui le séparent de Gaza-Ville lui semblent interminables. Originaire du quartier al-Karama, dans le nord de la bande de Gaza, son immeuble a été détruit au début de la guerre. Aujourd’hui, les Saleh vivent chez des proches avec une vingtaine d’autres personnes dans un appartement de quatre chambres. Israël a donné l’ordre aux habitants de la moitié nord de se déplacer vers le sud, signalant qu’ils y trouveraient plus de sécurité. Mais en réalité, l’armée bombarde régulièrement cette zone. Et le long de la route qui le mène à l’hôpital al-Shifa, Haitham découvre de ses yeux l’ampleur du désastre. « Nous sommes arrivés à Gaza-Ville, une cité fantôme, vidée de ses habitants, avec des routes détruites, des restaurants, des bâtiments et des magasins complètement dévastés, décrit-il. À l’hôpital, les routes environnantes étaient bondées de personnes et d’ambulances. Les rues étaient remplies de voitures stationnées sur la route, les déchets s’accumulaient en grande quantité et les gens faisaient la queue pour obtenir de l’eau potable et pour se laver. Des marchandises de toutes sortes étaient dispersées le long des trottoirs. Ces scènes ressemblaient à celles des films de guerre hollywoodiens. »

L’attente dans le chaos

Une fois à al-Shifa, l’un des plus difficiles épisodes commence pour Haitham, celui de l’attente, dans un décor de chaos. « Les scènes étaient indescriptiblement difficiles à voir, se souvient-il. Des familles dormaient à même le sol, des tentes de fortune en toile servaient de refuge et des matelas étaient disposés dans tous les couloirs de l’hôpital, à droite et à gauche. » Au bloc, les chambres des patients sont bondées et l’eau du robinet est salée. « Les lits des blessés occupaient les couloirs, leurs proches étaient assis à côté. Les femmes lavaient des vêtements dans la salle de radiologie, le seul endroit où elles trouvaient de la place. Des files d’attente se formaient devant les toilettes pour les femmes et les hommes. Des blessés étaient transportés sur les épaules des hommes, des enfants pleuraient, des femmes dormaient avec leurs nourrissons dans les couloirs. Des journalistes se couchaient par terre, épuisés, tout en utilisant leurs équipements pour diffuser des nouvelles urgentes. » Entre la « tente des martyrs » et le flux continu de brancards, la vie et la mort se croisent. « Chaque personne a son histoire, et moi, j’ai la mienne. Je suis venu pour sauver ma sœur et sa famille, avec l’espoir de la retrouver vivante et de la serrer dans mes bras. »

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Les heures passent, Haitham est à l’affût de la moindre nouvelle concernant Hala. À presque midi, il n’en a toujours aucune. « Chaque fois qu’une ambulance ou une équipe de secours arrivait, j’étais accablé d’impatience, espérant obtenir des nouvelles de l’immeuble al-Taj, relate-t-il. Puis, une série d’ambulances est arrivée, on m’a dit qu’on avait trouvé ma sœur, martyre. Mon cœur déchiré s’est emballé. » Un flot de questions le submerge alors. « Comment vais-je regarder ses yeux, ses doigts, ses jambes, sa tenue ? Que devrais-je faire ? » Haitham est appelé à la tente des martyrs pour identifier le corps. « Dès le premier regard, j’ai su que ce n’était pas elle. Son nez était plus fin, son front était plus large. Ces traits ne correspondaient pas à ceux de ma sœur. J’ai regardé son oreille et j’y ai vu un anneau, ses ongles étaient courts, et elle portait des bracelets en argent. Elle n’était pas comme on me l’avait décrite précédemment. » Après avoir annoncé le décès de Hala à sa famille, le Gazaoui doit les rappeler pour démentir. Et replonger dans l’attente, alors que la nuit tombe et que les opérations de sauvetage cessent jusqu’au lendemain matin.

Fracas des bombes

Haitham est hébergé chez un parent qui vit près de l’hôpital. Le quadragénaire refuse une chambre et préfère le canapé du salon, entouré des enfants d’un cousin qui dorment au sol. Une présence réconfortante dans cette longue nuit. « Je n’ai jamais pu dormir à cause du poids de la réflexion et du fardeau des souffrances que j’ai vues, se rappelle-t-il. Je me suis retourné à gauche et à droite sur le canapé, espérant trouver un peu de paix. Mes yeux étaient fermés, mais mon esprit et mon cœur restaient éveillés. » L’homme se remémore son dernier appel avec sa sœur, et chaque jour passé depuis le début de la guerre. Dehors, le fracas des bombes le ramène à la réalité. L’une d’entre elles fait soudain voler en éclats les vitres de l’appartement et arrache la porte de son cadre. La panique gagne les lieux, trois blessés sont évacués vers l’hôpital al-Shifa. Haitham est indemne, mais entre-temps, il apprend le pire : le corps de Hala a été retrouvé sous les décombres.

L’endroit où le corps de Hala a été retrouvé, dans les restes de la tour al-Taj, à Gaza-Ville, le 27 octobre. Photo Haitham Saleh

Dès le lendemain matin, le frère en deuil se rend sur les ruines de l’immeuble al-Taj. Au milieu des engins de chantier, des dizaines d’autres hommes sont là, armés de pelles ou fouillant les gravats à mains nues, à la recherche de leurs proches. Alors lui aussi s’y met, franchissant les monticules de pierres, enjambant des centaines de morceaux de meubles et de tissus bariolés. L’homme finit par atteindre le toit de l’immeuble effondré, « ce maudit plafond ». Son cœur s’arrête. « Le visage de Hala était là, sous 40 centimètres de béton. » Il est 11 heures du matin. Haitham crie, demande une pelleteuse aux équipes de la Défense civile qui s’affairent autour des immeubles du quartier dévastés par l’attaque. Cette dernière a fait 120 morts dans toute la zone, selon le ministère de la Santé du Hamas, relayé par al-Jazeera. « Les sauveteurs n’avaient que trois engins et leurs effectifs étaient clairement insuffisants vu l’ampleur des dégâts. » Haitham finit par obtenir une pelleteuse puis, pendant deux heures, casse des blocs de béton. « Ensuite, j’ai creusé avec mes mains pour extraire ma sœur. Je ne voulais pas la blesser. C’est un être humain, pas un numéro. »

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Haitham a emmené les défunts de sa famille à l’hôpital al-Shifa où ils ont été lavés et installés dans la tente des martyrs. « J’ai été le seul à voir leurs dépouilles mortelles. Lorsque mon père et mon frère sont venus leur dire au revoir, je leur ai dit de ne pas les regarder pour conserver un beau souvenir de leurs visages. » Hala, ses deux filles Maimana, 20 ans, et Habiba, 14 ans, ainsi que son mari et 16 parents de ce dernier ont péri dans le bombardement de la tour al-Taj. De sa famille, seuls ses deux fils, Youssef, 17 ans, et Yahya, 9 ans, avec leur cousin Amro, ont survécu.

Haitham Saleh écoute distraitement les nouvelles à la radio après dîner ce 25 octobre, quand il entend que la tour al-Taj, dans un quartier résidentiel de Gaza-Ville, a été détruite par un bombardement israélien. Il sait que sa sœur Hala, 42 ans, son mari et ses quatre enfants ont quitté leur maison d’al-Zawaida pour s’installer rue Jalaa, dans la capitale de l’enclave, où se...
commentaires (2)

Le traitement réservé aux palestiniens va se retourner contre l’occident !

Tawil aelta

13 h 55, le 07 novembre 2023

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Commentaires (2)

  • Le traitement réservé aux palestiniens va se retourner contre l’occident !

    Tawil aelta

    13 h 55, le 07 novembre 2023

  • Prions pour un miracle. Pour éviter la poursuite du bain de sang. Les civils n'ont RIEN DEMANDé. Ils sont là attendant la mort ou la mort de leurs proches... INSUPPORTABLE; Autant, je destestais les palestiniens à cause de ce qu'ils ont fait ( et font ENCORE ) comme dégats et destructions dans mon pays, autant aujourd'hui, je les plains et espère qu'ils sortiront vainqueurs de cette souffrance.Je ne suis pas en colère contre les civils israéliens mais contre NATANYAHOU, je ne suis pas en colère colère contre les palestiniens mais contre le HAMAS , je suis SURTOUT en colère contre l'EUROPE, l'OCCIDENT et tous ces pays qui se lamentent pour des déplacés israéliens et "leurs traumatismes" alors que des enfants, femmes, jeunes cvils sont massacrés "non stop" et les médias européens ne diffusent QUE le traumatisme des enfants israéliens réfugiés/ déplacés dans des hotels 4 étoiles à Tel Aviv , qui n'arrivent plus à retrouver leurs jouets, leurs doudous et leurs chambres !!!! VRAIMENT ???

    LE FRANCOPHONE

    12 h 48, le 07 novembre 2023

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