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Société - Témoignages

Quitter ou pas le Liban, le faux choix des employées de maison

L’escalade des tensions entre le Hezbollah et l’armée israélienne au Liban-Sud place les travailleuses domestiques face à un choix difficile, qu'elles n’ont pas toujours les moyens de trancher.

Quitter ou pas le Liban, le faux choix des employées de maison

Des employées de maison éthiopiennes attendent devant leur consulat pour s’enregistrer en vue de leur rapatriement, à Hazmiyé, dans la banlieue de Beyrouth, le 18 mai 2020. Photo d'archives AFP

« On ne s’y habitue jamais… Nous avons toutes peur », confie Delphine d’un air préoccupé. Arrivée de Côte d’Ivoire au Liban il y a 31 ans, cette employée de maison d’un quartier aisé de Beyrouth attend que le sort de son pays d’accueil soit enfin fixé, à l’instar de millions de Libanais, alors que les affrontements à la frontière sud entre le Hezbollah et l’armée israélienne s’intensifient de jour en jour.

Comme Delphine, 250 000 femmes, venues des Philippines, d’Éthiopie, de Sri Lanka, du Népal ou de Madagascar, travaillaient à plein temps au sein de foyers libanais en 2019, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). « Mais, en raison des départs consécutifs à la crise économique et à l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, ce nombre a baissé : les derniers chiffres indiquent 180 000 travailleurs présents au Liban », selon un membre de l’association Anti-Racism Movement.

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Cofondatrice de l’association Alliance of Migrant Domestic Workers in Lebanon, Delphine est surtout inquiète pour ses collègues au Liban-Sud : « Dès le matin et jusqu’à tard dans la nuit, je reçois des messages de filles qui me disent qu’elles ont peur et me demandent quoi faire. Certaines ne parlent pas l’arabe et communiquent peu avec leurs employeurs, cela renforce leurs craintes. » Sali, une Ivoirienne employée dans une famille à Nabatiyé, raconte à L’OLJ : « Les bombardements de mardi soir (le 24 octobre, NDLR) ont sûrement été les plus forts depuis le début des tensions. La maison a tremblé et les vitres ont même failli se briser ! La peur est là, mais pour le moment, les enfants vont encore à l’école, donc nous restons. Les affaires sont prêtes et si la situation dégénère, nous partons tous en Côte d’Ivoire. »

Le spectre de 2006

Mais pour beaucoup d’autres, la crainte principale est de voir le scénario de l’été 2006 se rejouer : « Lorsque la guerre a éclaté, certains patrons ont quitté leurs domiciles pour fuir le pays, laissant derrière eux des employées de maison effrayées. Certaines se sont retrouvées livrées à elles-mêmes dans des appartements désertés, et d’autres ont été déposées à la hâte devant des ambassades désorganisées, sans papier ni salaire », raconte Delphine. Un scénario également redouté par le consul d’Éthiopie à Beyrouth, Temesgen Oumer : « Environ 10 000 femmes travaillent actuellement dans le sud du pays et, déjà, certains employeurs abandonnent nos ressortissantes en banlieue de Beyrouth, avant que nous les prenions en charge pour les placer dans des foyers », confie-t-il à L’OLJ.

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Pourtant, lorsque le sujet d’un rapatriement est évoqué, le consul affirme : « Pour le moment, il n’y a pas de demande de la part des employées de maison, bien qu’une liste ait été ouverte pour recenser celles qui seraient intéressées par un départ. » Un constat partagé par le consul de Madagascar, Mohammad el-Jouzou : « Déjà en 2020, nous avions fait d’importants efforts pour rapatrier nos ressortissantes, mais seules 54 s’étaient inscrites et plusieurs dizaines d’entre elles s’étaient par la suite désistées. » Lundi 23 octobre, l’ambassade des Philippines a transmis des instructions à ses ressortissants présents au Liban par le biais de campagnes téléphoniques et de messages postés en ligne. Rapidement imitée par les ambassades d’Éthiopie, de Madagascar, du Népal, du Sri Lanka ou encore de Côte d’Ivoire. Des listes de recensement de candidats au départ (à leurs frais) ont été ouvertes par les ambassades afin de faciliter le retour de ceux qui le souhaitent.

Mais là encore, le spectre de 2006 se fait sentir : face à la défaillance des ambassades, c’est l’OIM qui avait finalement pris en charge les évacuations tardives du personnel de maison, en empruntant la voie terrestre jusqu’en Syrie. Mais Anti-Racism Movement alerte : « Cette possibilité, déjà très délicate, est menacée par l’actualité. L’aéroport de Damas a déjà été visé depuis le 7 octobre dernier, ce qui rend cette alternative très incertaine », dit-il.

« Kafala »

À l’instar des autres expatriés, la décision de quitter le Liban n’est pas un acte anodin, surtout à long terme. « Si je me rends à l’ambassade des Philippines pour un départ volontaire, alors je ne pourrai plus revenir travailler ici. Je ne peux pas me le permettre », témoigne Myriam, membre de l’association Alliance of Migrant Domestic Workers in Lebanon. Car pour l’écrasante majorité de ces femmes, leur emploi au Liban représente en premier lieu l’espoir d’une vie décente pour leur famille restée au pays.

D’autant que le système de la kafala ouvre la porte à toute sorte d’abus  – régulièrement dénoncés par les ONG et associations spécialisées – dont la pratique de détention du passeport par le garant. «La kafala lie tellement l’employée à son garant, que sa capacité à décider pour elle-même, de partir ou rester, ne lui est pas assurée. La permission directe du garant est indispensable », précise Anti-Racism Movement.

Si de son côté Delphine se dit privilégiée de travailler depuis 29 ans à Beyrouth pour une « Madame » qu’elle présente comme attentive et généreuse, elle confesse avoir une autre raison pour rester. « Même si les Libanais ne nous considèrent pas comme les leurs, moi, je me considère d’ici. En rentrant à Abidjan, j’aurai l’impression d’abandonner une grande partie de moi . Et puis, si le Liban était un être humain, on dirait de lui qu’il n’a vraiment pas une vie facile… alors je veux rester à ses côtés. »

« On ne s’y habitue jamais… Nous avons toutes peur », confie Delphine d’un air préoccupé. Arrivée de Côte d’Ivoire au Liban il y a 31 ans, cette employée de maison d’un quartier aisé de Beyrouth attend que le sort de son pays d’accueil soit enfin fixé, à l’instar de millions de Libanais, alors que les affrontements à la frontière sud entre le Hezbollah et...

commentaires (2)

Merci Delphine, vos propos nous donnent une leçon de générosité. Merci tout simplement d être au Liban , vous êtes plus Libanaise que beaucoup d autochtones.

HODROGE Gassane

10 h 44, le 02 novembre 2023

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Commentaires (2)

  • Merci Delphine, vos propos nous donnent une leçon de générosité. Merci tout simplement d être au Liban , vous êtes plus Libanaise que beaucoup d autochtones.

    HODROGE Gassane

    10 h 44, le 02 novembre 2023

  • Protégez les employées des maisons, lees nous sont très précieuses, surtout qu’il y’a des libanais qui habitent leurs pays.

    Mohamed Melhem

    06 h 47, le 02 novembre 2023

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