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Idées - Point de vue

L’opération « Déluge d’al-Aqsa », entre droit à la guerre et droit dans la guerre

L’opération « Déluge d’al-Aqsa », entre droit à la guerre et droit dans la guerre

Photo d’illustration : des combattants se dirigent vers la barrière frontalière avec Israël depuis Gaza, le 7 octobre 2023. Archives AFP

Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre courant, le débat public semble plus que jamais fracturé en deux camps, non seulement entre l’Occident et le monde arabo-musulman, mais aussi à l’intérieur même des pays, voire d’une même formation politique.

L’un des aspects de cet affrontement rhétorique porte sur la qualification des actes du Hamas et la nature du mouvement lui-même, sans toutefois que les arguments avancés ou la finalité de cette discussion ne paraissent sortir de leur dimension morale. Il conviendrait pourtant de le recentrer autour du droit positif afin de sortir de la rhétorique du bien et du mal, inhérente à la théorie du choc des civilisations.

Sur le plan strictement juridique, quelle serait exactement la problématique du débat ? Quel en est l’objet précis ? Est-ce le recours à la force par le Hamas ? Ou bien est-ce les violations du droit international humanitaire commises par le Hamas lors de son recours à la force ? Quoique assez connexes, les deux problématiques n’en demeurent pas moins distinctes. Elles ne peuvent pas être mélangées.

En droit international, il existe une distinction relativement récente entre « jus ad bellum » et « jus in bello ». Ce couple terminologique, ainsi que la séparation en deux corps de règles qui en découle, se sont imposés à partir de la Seconde Guerre mondiale.

Licéité du recours à la force

Affirmé par le pacte Briand-Kellogg du 27 août 1928 qui met la guerre hors la loi, le principe d’interdiction du recours à la force est consacré par la Charte des Nations unies (article 2 § 4). Il existe néanmoins des exceptions à ce principe.

Le « jus ad bellum », ou droit à la guerre, ou encore droit de faire la guerre, définit les conditions de licéité du recours à la force. Le « jus ad bellum » autorise une entité politique à prendre les armes dans trois cas: la légitime défense, face à une agression d’un autre État (art. 51 de la Charte des Nations unies) ; l’assistance aux Nations unies (art. 2, § 5 et 42 à 47), qui vise, sur la base d’une résolution expresse du Conseil de sécurité, à rétablir la paix face à une menace pesant sur l’ensemble de la communauté internationale ; la lutte armée pour la libération nationale dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, impliquant les « conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes » (article 1.4 du premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, en date du 8 juin 1977).

En l’occurrence, c’est le troisième cas de figure qui nous intéresse. Dans son avis de 2004 sur le mur, la Cour internationale de justice considère que Gaza et la Cisjordanie sont des territoires palestiniens occupés. Après son retrait unilatéral de 2004, Israël conserve un contrôle total, aérien, maritime et terrestre (frontalier) de Gaza. La majorité de la doctrine en droit international, y compris un éminent professeur israélien comme Yoram Dinstein (voir The International Law of Belligerent Occupation, Cambridge University Press, 2009), considère dès lors que la bande de Gaza est toujours sous occupation israélienne. La situation d’occupation militaire est d’autant plus avérée qu’il existe, au regard du droit international, une unité territoriale « de jure » entre Gaza et la Cisjordanie ; l’occupation de la dernière ne faisant l’objet d’aucun doute. D’autre part, dans leurs rapports de 2021-2022, trois ONG, l’une israélienne (Betselem) et deux autres internationales (Human Rights Watch et Amnesty International), ainsi que le rapporteur spécial (le Canadien M. Michael Lynk) auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, considèrent que les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme par Israël dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 constituent désormais un crime d’apartheid. Cette qualification serait de nature à fournir un motif supplémentaire de guerre de libération nationale au sens du protocole additionnel de 1977 précité.

Dans le cas d’une guerre de libération nationale, la capacité réelle à libérer le territoire occupé (il s’agit d’une obligation de moyens, non de résultat), ou le bien-fondé de la stratégie politique l’accompagnant, ne peuvent constituer, au regard du droit international, des conditions de licéité de la lutte armée pour la libération nationale. Il se peut que ce soit, comme celle du Hamas, une stratégie politique dépourvue de véritable perspective positive – autre que celle de faire échec à la dynamique de normalisation entre Israël et les pays arabes, au détriment des droits du peuple palestiniens – facilitant ainsi l’instrumentalisation de la cause palestinienne par ses alliés régionaux. Mais ce dernier point est inopérant en droit : l’existence d’une occupation militaire étant, « rationae materiae », nécessaire et suffisante pour que le recours à la force contre l’occupation (résistance) soit licite. Pour la même raison, ce droit de recourir à la force ne pourrait se confondre avec l’appartenance politique de celui qui l’exerce, en ce sens qu’évaluer la licéité du recours à la force par un groupe armé non étatique contre l’occupant devrait se faire, au moins dans une large mesure, indépendamment de la nature de l’idéologie (fût-elle extrémiste et liberticide) de ce groupe. D’autant qu’il n’existe pas de consensus entre les États du monde pour définir, en droit international, la notion de « terrorisme » ou de « groupe terroriste ». Ainsi, en Ukraine par exemple, le régiment Azov a une idéologie d’ultradroite, néanmoins son recours à la force contre l’occupation russe n’en demeure pas moins licite.

Violations du droit humanitaire

En revanche, si la licéité du recours à la force armée est une chose, la légalité de la manière avec laquelle est conduit un conflit armé en est une autre, et s’évalue cette fois au regard du droit international humanitaire (« jus in bello ») qui traite de la réalité d’un conflit sans considération des motifs ou de la légalité d’un recours à la force. Visant à limiter les souffrances, les crimes de guerre et autres violations du droit international humanitaire commises pendant un conflit armé, le « jus in bello » fixe des règles détaillées qui ont pour objet de protéger les victimes des conflits armés et de limiter les moyens et les méthodes de guerre, dont la violation peut constituer des crimes de guerre que rien ne peut justifier (ni même les violations commises par la partie ennemie). Par conséquent, on voit mal comment, sur le plan du droit, on pourrait se baser sur l’invocation des crimes de guerre ayant entaché l’attaque du Hamas du 7 octobre pour démontrer rétroactivement l’illicéité de son recours à la force contre une armée d’occupation.

Réciproquement, il n’est pas non plus possible de se prévaloir de la licéité du recours à la force au regard du « jus ad bellum » pour justifier les violations du « jus in bello » commis pendant le conflit armé découlant de ce recours à la force. Ainsi, il est inadmissible, au regard du droit international, d’arguer de la licéité du recours à la force contre une puissance occupante pour justifier les crimes de guerre commis lors d’une attaque s’inscrivant dans ce recours à la force.

Par Sagi SINNO

Juriste spécialisé en droit international, doctorant à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. 

Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre courant, le débat public semble plus que jamais fracturé en deux camps, non seulement entre l’Occident et le monde arabo-musulman, mais aussi à l’intérieur même des pays, voire d’une même formation politique. L’un des aspects de cet affrontement rhétorique porte sur la qualification des actes du Hamas et la nature du mouvement...

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