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Idées - Commentaire

Téhéran peut-il vraiment sacrifier son bouclier libanais ?

Photo d'illustration : archives AFP

De nombreux Libanais se livrent ces jours-ci à un jeu morbide : ils évaluent la probabilité que leur pays soit détruit si le Hezbollah entre dans le conflit qui oppose Israël et le Hamas à Gaza. À plusieurs reprises, les Israéliens ont prévenu qu'en cas de guerre avec le Hezbollah, ils renverraient le Liban « à l'âge de pierre ».

L'hypothèse est qu'une fois qu'Israël aura entamé une invasion terrestre de Gaza, la perspective d'un conflit au Liban augmentera considérablement. À l'appui de cette hypothèse, des rapports indiquent que l'Iran a averti Israël qu’il interviendrait si une telle opération devait avoir lieu. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a été encore plus précis dans ses déclarations publiques, par exemple lorsqu'il a déclaré à al-Jazeera : « Si les mesures visant à arrêter immédiatement les attaques israéliennes qui tuent des enfants dans la bande de Gaza aboutissent à une impasse, il est très probable que de nombreux autres fronts seront ouverts. Cette option n'est pas exclue et devient de plus en plus probable. »

Kabuki
Cependant, la vraie question n'est pas de savoir si le Hezbollah va intensifier son action contre Israël en cas d'invasion, mais comment il le ferait et dans quel but. Un front a déjà été ouvert au Liban-Sud, mais tant le Hezbollah qu'Israël sont pris dans une sorte de Kabuki, dans lequel chacun mesure soigneusement ses actions et ses réactions pour éviter une situation qui pourrait devenir incontrôlable et s'étendre à la région.

Alors, le Liban peut-il éviter le pire si le Hezbollah répond à une entrée israélienne dans Gaza ? Répondons par une question : pourquoi l'Iran a-t-il fourni au Hezbollah entre 150 000 et 200 000 roquettes et missiles ? Les Iraniens ont utilisé l'arsenal du Hezbollah pour dissuader Israël d'attaquer le Liban – qui héberge son relais le plus efficace dans la région –, mais surtout pour l’empêcher, lui ou les États-Unis, de frapper le navire-amiral : Téhéran lui-même.

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En partant de cette hypothèse, les commentaires d'Abdollahian peuvent être interprétés à la lumière d’une stratégie iranienne consistant à utiliser ses relais régionaux comme boucliers pour sauvegarder sa propre sécurité. Ce faisant, la question suivante se pose : l'Iran est-il prêt à sacrifier le Hezbollah pour sauver le Hamas, surtout si une guerre ruineuse au Liban neutralise la capacité de dissuasion de la milice chiite pour une décennie, voire plus ?

Si le Hezbollah entrait dans une telle guerre, la dévastation du Liban retournerait la plupart des communautés, peut-être même de larges segments de la communauté chiite, contre le parti et une stratégie catastrophique consistant à lier unilatéralement le destin du pays à la cause palestinienne. Compte tenu de la crise économique et financière majeure que connaît encore le pays, il pourrait être incapable de sortir d'une guerre en tant qu'entité fonctionnelle. Les risques de désagrégation et de conflits interconfessionnels qui s'ensuivraient imposeraient au Hezbollah un fardeau écrasant qui durerait des années et ses capacités de dissuasion pourraient s'en trouver gravement affectées.

En supposant tout cela, et si nous pouvons convenir que le Hezbollah ne veut pas atteindre ce stade, imaginons le scénario suivant : Israël entre dans Gaza et est entraîné dans des combats de rue au cours desquels il tue beaucoup plus de civils qu'il ne le fait aujourd'hui, mais se heurte également à une résistance acharnée de la part du Hamas. Que se passerait-il alors ? Très probablement, le Hezbollah augmenterait le niveau des bombardements transfrontaliers, mais resterait en deçà du seuil des hostilités totales en ne ciblant pas les sites stratégiques israéliens, tels que les ports et les aéroports, ainsi que les villes. Cela pourrait très bien contraindre Israël à éviter de faire de même. Pourquoi ? Parce que les Israéliens subiraient probablement d'importantes pressions de la part des États-Unis pour éviter de provoquer un conflit régional, même s'ils comprennent également les risques potentiels d'une guerre sur deux fronts. Voire sur quatre, si l'Iran et ses relais régionaux commencent à bombarder à partir du territoire syrien et que la Cisjordanie éclate à son tour – ce qui est très probable en cas d'escalade, comme le suggère le fait que deux roquettes aient été tirées depuis la Syrie sur le plateau du Golan le 24 octobre courant. Le chercheur de Carnegie Kheder Khaddour nous a ainsi confié que les milices pro-iraniennes du nord de la Syrie ont été déployées vers le sud en vue d'une éventuelle confrontation avec Israël. Et ce dernier a bombardé à plusieurs reprises les aéroports de Damas et d'Alep, en prévision de leur utilisation pour réapprovisionner les milices pro-iraniennes en cas de conflit.

Les avantages pour le Hezbollah d'élargir le front sont évidents. Si l'Iran et ses relais régionaux utilisent le front syrien pour atteindre des niveaux d'escalade plus élevés qu'à partir du Liban, cela pourrait leur permettre d'exercer une plus grande influence sur Israël, tout en évitant l'anéantissement du Liban. La Syrie, compte tenu de son conflit destructeur depuis 2011, est peut-être moins vulnérable aux conséquences des représailles israéliennes que ne l'est le Liban. En outre, elle n'est peut-être pas aussi essentielle dans l'architecture de dissuasion iranienne.

En supposant que les combats transfrontaliers se stabilisent à ce niveau plus élevé pendant un certain temps, alors qu'Israël poursuit son avancée dans la bande de Gaza, le principal objectif du Hezbollah serait d'attirer les forces israéliennes loin de Gaza, plutôt que de passer à l'escalade en frappant des villes et des cibles stratégiques. Après tout, les missiles sur Tel-Aviv et Haïfa n'arrêteront pas une offensive de Gaza ; mais créer l'impression que le Hezbollah pourrait attaquer en Galilée obligerait Israël à diviser son armée, ce qui atténuerait la pression sur Gaza.

Flexibilité dans la dissuasion ?

Mais que se passera-t-il si l'armée israélienne atteint un stade où elle représente réellement une menace existentielle pour le Hamas ? Alors que beaucoup supposent qu'il s'agirait d'un tournant dans lequel le Hezbollah sortirait l’artillerie lourde, cette proposition mérite d'être étudiée. En provoquant des représailles israéliennes massives contre le Liban, le Hezbollah pourrait susciter une réaction de colère dans le pays qui laisserait finalement l'Iran sans bouclier protecteur au Liban, le rendant ainsi beaucoup plus vulnérable aux attaques israéliennes ou américaines.

Le Hezbollah pourrait-il malgré tout aller de l'avant et atteindre le niveau d'escalade le plus élevé ? Peut-être. Les erreurs de calcul ou les imprudences sont fréquentes dans les situations semblables à celle que nous vivons. Cependant, ce que nous voyons quotidiennement dans le sud du Liban indique le contraire : les deux parties respectent scrupuleusement les règles d'engagement établies. Le Liban est-il donc sorti d'affaire ? Certainement pas. Mais cela signifierait que l'Iran et le Hezbollah, s'ils renoncent à une attaque de grande envergure contre Israël, ont introduit de la flexibilité dans leur prétendu «équilibre de la dissuasion » avec les Israéliens. Une inflexion dont les autres parties de l'axe de la résistance, telles que le Hamas et le Jihad islamique, devront tirer les conséquences dans leurs futures opérations contre Israël.

Une inflexion pouvant reposer sur une règle de base : Téhéran et le Hezbollah soutiendront leurs alliés aussi longtemps qu'ils le pourront, mais pas si cela menace leur propre survie, ni même si cela élimine le bouclier iranien au Liban.

Ce texte est aussi disponible en anglais sur « Diwan », le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Michael YOUNG

Rédacteur en chef de « Diwan ». Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

De nombreux Libanais se livrent ces jours-ci à un jeu morbide : ils évaluent la probabilité que leur pays soit détruit si le Hezbollah entre dans le conflit qui oppose Israël et le Hamas à Gaza. À plusieurs reprises, les Israéliens ont prévenu qu'en cas de guerre avec le Hezbollah, ils renverraient le Liban « à l'âge de pierre ».L'hypothèse est qu'une fois qu'Israël aura...

commentaires (4)

C’est la preuve que tout ce qui se joue ici est téléguidé par l’Iran et rien d’autre RIEN A FAIRE AVEC LES DROITS DES PALESTINIENS NI AVEC QUOI QUE SE SOIT LIRAN JOUE SA POLITIQUE SUR LE DOS DES ARABES (LE PEUPLE) car en réalité se dit eux qui payent pour que l’Iran puisse négocier en position de force C’EST DOMMAGE QUE LE PEUPLE ARABE NE VOIT QUE LE BOUT DE LEUR NEZ

Bery tus

15 h 22, le 27 octobre 2023

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Commentaires (4)

  • C’est la preuve que tout ce qui se joue ici est téléguidé par l’Iran et rien d’autre RIEN A FAIRE AVEC LES DROITS DES PALESTINIENS NI AVEC QUOI QUE SE SOIT LIRAN JOUE SA POLITIQUE SUR LE DOS DES ARABES (LE PEUPLE) car en réalité se dit eux qui payent pour que l’Iran puisse négocier en position de force C’EST DOMMAGE QUE LE PEUPLE ARABE NE VOIT QUE LE BOUT DE LEUR NEZ

    Bery tus

    15 h 22, le 27 octobre 2023

  • Côté iranien et Hezbollah : ils n’ont pas envie d’intervenir auprès d’une organisation sunnite et de surcroît « non organique » à la république islamique d’iran. Le Hezbollah est armé pour défendre l’iran en cas d’agression israélienne / US. En revanche, malgré la comédie jouée par Israel de ne pas vouloir attaquer les infrastructures libanaises SAUF si le Hezbollah attaque en premier les infrastructures israéliennes… je suppose qu’israel a FORTEMENT envie que le Hezbollah commence ses attaques ciblées… parce qu’israel a envie de riposter… NON pas pour détruire des sites ( sites de l’état libanais, non Hezbollah au final) mais pour remonter la population libanaise et surtout chiite contre le Hezbollah qui, lui, aura commencé ses attaques sur des ports ou sites israéliens. C’est pour cela, le message envoyé aux « libanais non Hezbollah » insistant qu’israel ne veut PAS commencer… Au liban, pour les libanais : le premier qui lancera son attaque massive sera le responsable et celui qui devra payer. Pour l’instant,les organisations palestiniennes ont lancé les premières fusées. Israel a riposté… le Hezbollah a re-riposté… ca se tape dessus à feux doux…. Qui sera LE PREMIER à franchir le pas??? S’il y aurait un pas à franchir ??

    LE FRANCOPHONE

    14 h 56, le 27 octobre 2023

  • Le Hezb ne sera pas sacrifié par L'Iran, ni éliminé par Israël, par la preuve de 2006. Aux dernières nouvelles, les otages du Hamas seront libérés à partir de Téhéran, ou par un autre scénario plus fou que les précédents, à partir d'un autre pays méditerranéen...

    Nabil

    14 h 38, le 27 octobre 2023

  • ILS NE SACRIFIERONT PAS LE HEZB ET C,EST POUR LE MALHEUR DU LIBAN ET DES LIBANAIS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 23, le 27 octobre 2023

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