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Lifestyle - Photo-roman

Et si demain au Liban c’était notre tour ?

Alors que l’on assiste à ce qui est infligé aux Gazaouis depuis voilà deux semaines, on ne peut qu’appréhender ce qui risque d’arriver au Liban, puisque de Gaza à Beyrouth, nous avons ce même destin, cette même malédiction d’être nés du mauvais côté du monde…

Et si demain au Liban c’était notre tour ?

Photo tirée du compte @middleeastarchive

Quand vous lirez ce texte derrière un écran, ou lorsqu’il sera couché sur le papier journal entre vos mains, je ne sais pas où et que sera le Liban. C’est à ce point que les déjà incertains lendemains du pays sont devenus fragiles. Le Liban de demain ne tient désormais plus qu’à un seul mot : un mot de passe que l’Iran est censé donner sous peu au Hezbollah. Escalade ou pas d’escalade, ouvrir un front ou ne pas ouvrir de front, attendre encore ou passer à l’acte. Et notre souffle retenu entre l’un ou l’autre. « Personne ne sait rien, pas même l’État libanais », me dit-on de Beyrouth. Une instruction, une seule, contre un pays, une région, ses villes et ses vies ; vous vous rendez compte ? Depuis quelques jours, je m’écroule de fatigue au son des bulletins d’info, en évitant de penser à quelles nouvelles je me réveillerai le lendemain, et je me réveille en ayant carrément peur d’ouvrir mon téléphone. Je suis loin, à Paris, et j’ai la chance que ce ne soient pas des bruits de missiles ou de roquettes qui risquent de m’arracher à mon sommeil. C’est en revanche une angoisse nouvelle que je rencontre pour la première fois, maintenant que je fais mon baptême d’émigré qui regarde de loin disparaître, peut-être, le seul endroit qu’il appelle la maison.

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Et comme tous ceux qui sont loin, je vis un peu sur la périphérie de la vie qui continue encore ici ; avec les mots qui me manquent pour la Palestine, avec mon cœur qui, à chaque image reçue de Gaza, flanche un peu plus. Avec l’envie de prendre Gaza dans mes bras et parfois l’impossibilité de trouver de la place pour y faire contenir le Liban qui s’approche pourtant à chaque heure, à chaque minute presque, de quelque chose qui risquerait de le changer à jamais. Ou en tout cas qui pourrait le jeter dans un cycle de violence dont l’esprit humain peut difficilement tracer le pourtour ou prédire les lignes rouges. Je n’arrive pas à écrire sur Gaza, parce que je veux croire que la bestialité qui s’abat sur ce territoire ne devrait pas avoir accès aux mots. Ce que le pouvoir israélien – avec l’Occident dans son dos – inflige aux Gazaouis depuis le 7 octobre n’a pas de nom, n’a pas de mots. Il ne devrait pas en avoir. Et ce maximum de cruauté, ce minimum d’égard pour les vies humaines que l’on a atteint depuis trois semaines maintenant n’offre pourtant à voir qu’un échantillon du poison déversé sur les Palestiniens, qu’ils soient à Gaza ou en Cisjordanie, tous les jours sans exception depuis 1948. À la seule différence que maintenant, tout le monde, partout, témoigne et voit ce qui se passe à Gaza mais laisse faire... si ce n’est le facilite.

L’image de cette conférence de presse donnée par des médecins de l’hôpital al-Ahli à Gaza, juste après que cet établissement a été bombardé par Israël dans la nuit de mardi dernier, est sans doute la scène la plus effroyable que j’aie jamais vue de ma vie entière. Et pourtant je viens d’une région où l’on a décidé que la mort serait toujours au cœur de la vie. L’image de ces médecins à court de tout, leurs blouses blanches recouvertes de sang chaud, leurs mines de fin de monde, leurs visages vidés de vie, leurs âmes bombardées, debout on ne sait pas trop comment, au milieu des sacs de cadavres d’enfants, aurait dû suffire à changer le cours de choses. Rien. Dès le lendemain, une école des Nations unies, un autre hôpital, et encore un autre, une église, des immeubles résidentiels sont rasés. Le regard de cet enfant de trois ans, un bébé recouvert des poussières de ce qui était sa chambre quelques minutes plus tôt, tremblant de tous ses pores dans un hôpital de fortune, et qui retient ses larmes avec la lucidité d’un adulte, résumait à lui seul ce que c’est que d’être né dans cette région, sur la face brutale et brûlante du monde, de son mauvais côté. C’est être programmé, très tôt, à cette peur qui se dissipe parfois mais finit toujours par revenir. Comprendre que cette peur ne nous quittera jamais et s’habituer en même temps à l’idée que le monde s’en contrefiche, juste parce que l’on vient de ce coin cassé de la planète. D’un côté et de l’autre de ce que je refuse d’appeler le conflit israélo-palestinien, on compte les morts, mais les morts ne comptent pas de la même manière. Le regard de cet enfant, il faut être né de ce mauvais côté du monde pour pouvoir le reconnaître. Je l’ai vu quand j’avais six ans sur des enfants de Cana ; quand j’en avais treize, sur des enfants d’Irak ; à seize ans sur des enfants du Liban-Sud et de la banlieue sud de Beyrouth ; dès l’âge de 21 ans des enfants syriens, et toujours, éternellement, sur les enfants palestiniens.

La peur au ventre

Je suis né un 30 janvier 1990 dans un hôpital bombardé, lui aussi, le lendemain de ma naissance. Ma mère, ses pieds sur les débris de verre, m’avait pris dans ses bras alors que j’étais recouvert de suie et de poussière. La peur de cet enfant de Gaza, si je ne m’en rappelle pas consciemment, elle m’a été transmise dans la peau, presque génétiquement. Elle est en moi. Elle est celle de ma mère qui se souvient encore, en pointillés, des vitres bleues et des premiers abris de la guerre de Six-Jours en 1967. Puis ceux de la guerre civile de 1975 à 1990 dont elle n’est jamais réellement guérie. Alors, quand je vois la peur dans le regard de cet enfant, que je vois à quel point le monde semble s’en contrebalancer, je me demande : et si demain c’était notre tour ?

J’ai peur quand je me plonge dans de longues analyses politiques qui parlent d’escalade iranienne et de reconfiguration du Liban, « au terme d’une guerre sanglante qui n’épargnera rien ». J’ai peur même quand je ne lis rien, même quand je ne sais rien et que je réussis à couper les nouvelles pour une poignée d’heures, j’ai peur parce que je sais qu’il faut que j’aie peur. J’ai peur quand je vois que le monde assiste, bras et jambes croisés, au génocide le plus médiatisé de l’histoire, et que malgré ça les puissances du présumé « monde libre » ne ressentent pas la moindre honte à inverser les rôles de bourreau et victime. J’ai peur quand j’entends que des amis commencent à partir, même s’ils tentent de minimiser en disant : « Juste temporairement, juste le temps de comprendre ce qui se passe, juste au cas où. » J’ai peur quand j’entends que des amis ont annulé des voyages, « juste provisoirement, juste le temps de comprendre ce qui se passe, juste au cas où ». J’ai peur lorsque j’apprends que des amis, des proches, font déjà de gros supermarchés et s’approvisionnent en riz et boîtes de conserve ; et certains qui préparent les maisons de montagne, et ceux qui vérifient même l’état des abris où ils s’étaient promis de ne plus jamais mettre les pieds. J’ai peur que notre tour arrive, avec les bruits des avions que je veux oublier ; et les flashes info, et l’aéroport bombardé, et les enfants recouverts de poussière, et les mères en sanglots, et les vieux qui partent sans savoir où aller, et les sacs de cadavres blancs, et les vies meurtries, et les villes disparues. J’ai peur d’un mot de l’Iran, et de ce que ça déchaînera en violence sans nom, sans mots.

J’ai peur, et cette peur, c’est cette chose invisible qui nous lie, de Beyrouth à Gaza, et qui fait qu’on se reconnaît sans se connaître, du mauvais côté du monde. Cette peur qui est là, en fait, parce que nos vies ne comptent pas comme celles de ceux nés du bon côté du monde.

Quand vous lirez ce texte derrière un écran, ou lorsqu’il sera couché sur le papier journal entre vos mains, je ne sais pas où et que sera le Liban. C’est à ce point que les déjà incertains lendemains du pays sont devenus fragiles. Le Liban de demain ne tient désormais plus qu’à un seul mot : un mot de passe que l’Iran est censé donner sous peu au Hezbollah. Escalade...

commentaires (12)

Comme dit, en amont dans mon commentaire : Les pro palesto vivent dans le passé en ressassant les années 40 et 50 , alors que depuis? presque 1 siècle est passé, des générations sont nées et mortes. Idem côté israélien qui vivent eux aussi dans le passé ultime, revendiquant la terre où est née le judaisme avant toutes les autres communautés. Prenant pour preuve que même le Christ est d'origine juive. Tous les 2 vivent dans le passé. A partir de là, personne n'avance, personne ne voit l'actuel. Personne ne pense au futur à partir de la situation ACTUELLE. Toutes les histoires voire l'Histoire (avec un grand H ) du passé, c'est du passé. On ne pourra pas refaire vivre le christ tout comme les adultes des années 40 ( coupables et victimes) sont décédées depuis des décennies. S'ils veulent vraiment (israeliens et palestiniens) penser au futur, il faudra qu'ils se mettent en tête que c'est en regardant vers le futur à partir de la situation actuelle, qu'ils pourront avancer. Bonne journée.

LE FRANCOPHONE

17 h 46, le 23 octobre 2023

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Commentaires (12)

  • Comme dit, en amont dans mon commentaire : Les pro palesto vivent dans le passé en ressassant les années 40 et 50 , alors que depuis? presque 1 siècle est passé, des générations sont nées et mortes. Idem côté israélien qui vivent eux aussi dans le passé ultime, revendiquant la terre où est née le judaisme avant toutes les autres communautés. Prenant pour preuve que même le Christ est d'origine juive. Tous les 2 vivent dans le passé. A partir de là, personne n'avance, personne ne voit l'actuel. Personne ne pense au futur à partir de la situation ACTUELLE. Toutes les histoires voire l'Histoire (avec un grand H ) du passé, c'est du passé. On ne pourra pas refaire vivre le christ tout comme les adultes des années 40 ( coupables et victimes) sont décédées depuis des décennies. S'ils veulent vraiment (israeliens et palestiniens) penser au futur, il faudra qu'ils se mettent en tête que c'est en regardant vers le futur à partir de la situation actuelle, qu'ils pourront avancer. Bonne journée.

    LE FRANCOPHONE

    17 h 46, le 23 octobre 2023

  • Comme je l’ai dis et je le redis ceux qui crie à la guerre c’est que généralement ils ne feront pas cette guerre !! Qui vivra verra

    Bery tus

    17 h 34, le 23 octobre 2023

  • CORRECTION = LA SITUATION REGIONALE ETANT AUJOURD,HUI EXCEPTIONELLEMENT TRES DANGEREUSE ET EXPLOSIVE A TOUS LES NIVEAUX, IL FAUT UN RETOUR A L,HISTOIRE POUR CEUX QUI VEULENT ETRE OBJECTIFS, VRAIS ET NON INIQUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 10, le 23 octobre 2023

  • CORRECTION = LA SITUATION REGIONALE ETANT AUJOURD,HUI EXCEPTIONELLEMENT TRES DANGEREUSE ET EXPLOSIVE A TOUS LES NIVEAUX, IL FAUT UN RETOUR A L,HISTOIRE POUR CEUX QUI VEULENT ETRE OBJECTIFS, VRAIS ET NON INIQUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 09, le 23 octobre 2023

  • LA SITUATION REGIONALE ETANT AUJOURD,HUI EXCEPTIONELLEMENT TRES DANGEREUSE ET EXPLOSIVE A TOUS LES NIVEAUX, IL FAUT UN RETOUR A L,HISTOIRE POUR CEUX QUI VEULENT ETRE OBJECTIFS, VRAIS ET INIQUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 32, le 23 octobre 2023

  • J,AI L,HONNEUR D,ETRE LE SEUL CENSURE AUJOURD,HUI POUR AVOIR DIT LES VERITES TOUTES NUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 18, le 23 octobre 2023

  • UN PEU DU PRO PALESTINIEN ET TU NE PASSES PAS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 17, le 23 octobre 2023

  • J,AI L,HONNEUR D,ETRE LE SEUL CENSURE AUJOURD,HUI POUR AVOIR DIT LES VERITES TOUTES NUES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 12, le 23 octobre 2023

  • Ceux qui sont nés du "bon" côté du monde sont - ils heureux? Tout est relatif à voir leurs nombreux problèmes existentiels et leur nombrilisme tourmenté. Et puis seront-ils toujours du meilleur côté? La roue tourne... Très bel article par ailleurs , qui traduit bien l'état d'âme de l'expatrié, étranger partout, et finalement pas plus heureux, voire plus angoissé que ceux qui sont restés au pays.

    Politiquement incorrect(e)

    11 h 38, le 23 octobre 2023

  • Gaza, le Liban, La Syrie, L’Iraq, le Yémen sont tous en mauvais état mais ils ont un point commun cherchez le, A contrario presque tout les autres pays de la région me semblent s’améliorer...mais voyons

    Liban Libre

    10 h 25, le 23 octobre 2023

  • Par rapport aux premières lignes de cet article : PERSONNE n’oblige le liban de se ranger du mauvais côté du monde!!!! Comme vous dites. Surtout si la conviction n’est PLUS là. Il suffit aux libanais de clamer sa désolidarisation de cette guerre et ne pas appuyer cette guerre : aussi bien l’attaque du hamas que le bombardement des civils de gaza. C tout. Quel est le responsable politique qui a FORTEMENT stigmatisé l’attaque du HAMAS? Qui l’a bien précisé qu’attaquer des civils « c’est du terrorisme »?? PERSONNE !!! À partir de là, faut pas pleurnicher et dire que le liban est du mauvais côté !!!!! Ce sont les libanais qui se sont rangés du mauvais côté… comme d’habitude, on reporte sur les autres, les erreurs commises par nous libanais et on pleurniche que l’occident est injuste !!!!!! Il suffit de prendre les bonnes décisions et ne pas plonger tête baissée répétant comme des perroquets des slogans creux appris par nos parents et grands-parents. Il suffit d’adapter les positions en fonction des actions réelles des uns et des autres en 2023 et en étant neutres pour que le liban, déjà isolé, par les positions politiques du liban puisse espérer être sauvé par le monde civilisé. Faut pas compter sur des populations totalitaires et barbares de le sauver !!!! Au liban, pour aborder la situation du pays et de son futur, on parle et on répète encore , comme des perroquets, des années 40 !!!! Et on n’avance jamais dans ce cas !!!!

    LE FRANCOPHONE

    10 h 04, le 23 octobre 2023

  • Merci pour ce texte du fond du cœur c’est aussi ce que tous les libanais ressentent en ce moment ,que dieu protège notre Liban

    Maya B.

    08 h 46, le 23 octobre 2023

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