
Sur cette image transmise par le ministère iranien de la Défense en mai 2023, le test d'un missile balistique de 4e génération, nommé Khaïbar. Photo AFP
Téhéran et ses supplétifs régionaux ont prévenu. Si les États-Unis s’impliquent dans le conflit, ils seront pris pour cibles, et si les atrocités continuent à Gaza, « une autre onde de choc » toucherait Israël, après la triple attaque surprise du Hamas le 7 octobre. Suite à la frappe qui a touché l’hôpital al-Ahli Arab dans la ville de Gaza mardi soir, provoquant la colère des pays arabes, les frappes se sont multipliées contre des intérêts américains en Syrie et en Irak, et des missiles et drones ont été interceptés en provenance du Yémen, « potentiellement vers des cibles en Israël », selon le Pentagone. Si toutes n’ont pas été revendiquées, les soupçons se portent naturellement sur les groupes armés pro-iraniens. Cela signe-t-il pour autant l’implication directe de la République islamique dans le conflit, qui pourrait mener à un embrasement ? Selon le quotidien israélien Haaretz, citant des sources iraniennes mentionnées par la chaîne qatarie al-Jazeera, Washington aurait en effet signalé au représentant iranien à l’ONU que Téhéran serait dans ce cas confronté à une action américaine. Fabian Hinz, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies, fait le point pour L’Orient-Le Jour.
Face à la guerre à Gaza, dans quelle mesure l'Iran peut-il se cacher derrière le concept de « déni plausible » (plausible deniability) pour nier son implication ?
Le concept est assez vague en réalité. Lorsqu'il s'agit des systèmes d'armement, il n'y a pas de déni possible. En ce qui concerne les groupes qui les utilisent, le déni est encore possible, dans une certaine mesure. Ce concept de déni imparfait, même si tout le monde sait ce qu’il se passe, permet d’utiliser sa plus mince expression, même si personne n'y croit, comme une excuse pour ne pas avoir à réagir d’une certaine manière. Bien souvent, alors qu’on sait avec une quasi-certitude qui a ordonné quoi ou qui a donné quel système d’armement à qui, il reste encore ces 5 % de doute derrière lesquels il est possible de se retrancher pour ne pas avoir à entreprendre des actions que l’on ne veut pas effectuer soi-même. Dans beaucoup de cas donc, c’est du déni, mais il n’est pas plausible du tout. Il n’empêche que les Iraniens pourraient probablement aller assez loin avec ce type de déni, parce que personne ne veut déclencher une guerre contre l'Iran, ou le frapper directement.
Jusqu'où les supplétifs iraniens, et l’Iran en filigrane, sont-ils donc prêts à aller pour renverser les contextes régionaux et internationaux en leur faveur ?
Officiellement, l'Iran veut rester en dehors de tout cela, ne veut pas s'impliquer avec ses propres troupes. Peut-être à travers des conseillers se faisant passer pour des membres des groupes qui lui sont affiliés, mais pas formellement. Pour le reste, cela dépend vraiment du supplétif. Le Yémen par exemple est un endroit d’où il est possible de lancer des missiles et des roquettes avec relativement peu de risques. Si les houthis lancent des engins contre Israël, quelles seront les répercussions ? Cela ne déclenchera pas une guerre d’ampleur, ce qui est pourtant un risque avec chaque action du Hezbollah. Cela ne perturbera pas un équilibre très délicat comme en Irak. Si les États-Unis ou Israël lancent quelques attaques en représailles contre des cibles au Yémen, personne ne s'en souciera vraiment, malheureusement. Le Yémen constitue donc un environnement très peu risqué. Mais tout en étant une bonne plateforme de lancement, ce n’est pas la meilleure, du fait de son éloignement géographique et des capacités limitées qui pourraient être déployées efficacement contre Israël, qui a de puissants systèmes de défense, notamment aériens. Le Hezbollah est le groupe qui constitue la plus grande menace militaire, en raison de son équipement, de sa position géographique et de sa courte portée par rapport à Israël. Ils peuvent saturer ses systèmes de défense antimissiles et constituent techniquement la meilleure plateforme de lancement. Dans le même temps, c’est aussi la plus risquée, et c’est un élément essentiel de la capacité iranienne de dissuasion vis-à-vis d’Israël, et dans une certaine mesure, des États-Unis.
Quelle est donc la stratégie iranienne pour les prochaines étapes ?
Les Iraniens sont confrontés à un problème : ils entendent tirer parti des capacités militaires du Hezbollah tout en évitant de l’entraîner dans une guerre qui dégraderait considérablement ses capacités militaires et, par extension, celles de l'Iran dans la région. Il s'agit d'un exercice d'équilibre très délicat. Le dénouement idéal du point de vue iranien serait que la menace d'une attaque majeure du Hezbollah dissuade une invasion militaire terrestre. Mais si cela ne fonctionne pas, et il semble que ce ne sera pas le cas, quelle sera la suite ? Le Hezbollah est déjà actif sur le plan cinétique, et il a déjà bravé les anciennes règles, même si cela reste assez limité par rapport à ce qui pourrait arriver. Mais quels mouvements fera-t-il en cas d'invasion terrestre de Gaza ? Ses actions franchiront-elles alors le seuil d’une escalade majeure, entraînant une guerre totale entre le Hezbollah et Israël ? Sera-t-il possible de calibrer cela ? Et les Israéliens seront-ils prêts à accepter ce calibrage, qui impliquerait plus de dégâts et des combats plus lourds que les attaques menées jusqu’à présent, tout en se maintenant également sous le seuil d’un embrasement majeur ?
Au moins le Yémen est entré dans l’engrenage sous les ordre de l’Iran dont il lui est redevable,
05 h 19, le 03 novembre 2023