Nuit noire à Gaza. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées mardi soir dans un tir sur l'enceinte de l’hôpital al-Ahli, au nord de ce territoire assiégé. Si l’attaque est imputée par les Palestiniens à l’armée israélienne, qui pilonne violemment l'enclave depuis une dizaine de jours, Tel-Aviv affirme qu’il s’agit plutôt du résultat d’un tir raté du Jihad islamique palestinien. Les Israéliens ont mis en avant plusieurs éléments pour appuyer leur version des faits, qui a été reprise sans nuance par le président américain Joe Biden. Celle-ci témoigne pourtant de plusieurs failles et incohérences qui paraissent d’autant plus troublantes que l’État hébreu a déjà menti à de multiples reprises par le passé dans des dossiers similaires. L’Orient-Le Jour fait le point.
Les faits
Mardi, peu après 19 heures, l’hôpital al-Ahli à Gaza, qui accueille des milliers de patients et réfugiés, est frappé. Une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux et vérifiée par les principaux médias internationaux montre un missile dirigé vers le bâtiment atteindre sa cible, qui prend immédiatement feu. Des images montrant des blessés et des corps calcinés jonchant les couloirs de l’hôpital font le tour de la Toile. Le bilan des morts croît de manière exponentielle, le ministère de la Santé évoquant plus de 450 morts et au moins 1 000 disparus. Le Hamas et l’Autorité palestinienne ont accusé Israël d’être derrière l’attaque. De même, le journaliste israélien proche du Premier ministre Benjamin Netanyahu, Hananya Naftali, a écrit sur compte X (ancien Twitter) que « l’armée de défense israélienne » a frappé l’hôpital. Il a toutefois très vite supprimé sa publication. Médecins sans frontières a dénoncé une frappe israélienne. Les pays arabes – même ceux qui sont considérés comme des partenaires de l'État hébreu – ont fait de même. Les Occidentaux ont tous condamné un acte horrible sans faire référence à Tel-Aviv. Le président américain, en déplacement de soutien en Israël, a pour sa part affirmé que « sur la base de ce que j'ai vu, il apparaît que cela a été mené par la partie adverse ». Les « données » américaines, en provenance du Pentagone, disculpent l'État hébreu, a-t-il ajouté un peu plus tard.
La version israélienne
En réponse aux accusations, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a affirmé que ce sont des roquettes du Jihad islamique qui ont frappé l’hôpital, selon une « enquête préliminaire ». Le groupe islamiste palestinien a qualifié ces accusations de « mensonges ». Le compte officiel de l’État hébreu sur X a d’ailleurs publié le soir une vidéo pour confirmer cette version des faits, censée montrer un missile du Jihad islamique échouer sur Gaza. La vidéo, qui a été depuis retirée, donne un parfait exemple du manque de sérieux de la communication de Tel-Aviv sur cette question. De nombreux internautes ont souligné qu’elle montrait des images qui avaient été prises à 20 heures, près d'une heure donc, après l'incident.
Mercredi, l'armée israélienne a affirmé avoir « des preuves » de la responsabilité du Jihad islamique dans l’attaque. « Ce que nous partageons avec vous tous confirme que l'explosion dans un hôpital de Gaza a été causée par le tir d'une roquette du Jihad islamique ayant échoué », a affirmé Daniel Hagari lors d'une conférence de presse. Parmi ces pièces à conviction, un enregistrement vocal « intercepté » par l’État hébreu, où deux combattants lambda du Hamas, non identifiés, échangent sur l’explosion. « Il a été tiré depuis chez nous ? » demande le premier. « Oui, il paraît », répond son collègue. Comme pour lever tous soupçons, la question est posée de nouveau et la réponse reste la même. « Ce n'est sûrement pas le résultat d'une coïncidence que la bombe ait explosé par erreur au-dessus d'un hôpital... » demande le premier soldat. « C’est parce qu’ils tirent depuis le cimetière, à proximité de l’hôpital », répond le second. Cet échange peut paraître caricatural, voire robotique. Des experts ont affirmé au média britannique Channel 4 News que l'audio était faux.
« On ne peut pas trancher la question de savoir qui est responsable de l’explosion sans mener une enquête sur le site et analyser les éclats du missile », affirme le général et expert militaire Khaled Hamadé à L’Orient-Le Jour. Toutefois, une analyse des faits permet au moins de dégager une piste. « Le Jihad islamique et le Hamas ont montré des compétences militaires de haut vol depuis le début des combats. La probabilité qu’ils commettent une faute pareille semble donc assez faible, d’autant que la bande de Gaza est un territoire plat, ce qui limite les erreurs de calcul et que l’hôpital se trouve bien à l’intérieur de la ville et non pas dans une zone frontalière. Or, les Palestiniens ne visent que des cibles à l’extérieur de l'enclave... Dès lors, si ce ne sont pas les Palestiniens, c'est les Israéliens », dit-il. Certes, il est déjà arrivé que des missiles du Hamas ou du Jihad islamique tombent à l’intérieur de la bande de Gaza, mais rien n’indique que l’un d'eux ait frappé une zone peuplée du centre de la ville ou fait des dégâts importants. Il peut donc sembler un peu étrange que le missile soit cette fois-ci tombé sur un hôpital situé au cœur de Gaza. Plus curieux encore, selon l’évêque angilicain Hosam Naoum, qui gère l'établissement samedi, dimanche et lundi, l’armée israélienne a averti l’hôpital que toutes les personnes se trouvant dans l'immeuble devaient quitter les lieux.
L'hôpital en question a déjà été frappé par Israël à en croire son directeur. « Les Nations unies ont compté 58 attaques israéliennes contre des hôpitaux, des dispensaires et même des ambulanciers sur les territoires palestiniens », remarque le chercheur Ziad Majed.
L’analyse des images
Sur les réseaux sociaux, les conclusions d'analyses vidéo par des journalistes et experts sont souvent contradictoires. Le cratère résultant de l'impact semble trop petit par rapport aux bombes MK-84, signature d'Israël – dont l'armée est parfaitement capable de mener des frappes chirurgicales à l'aide de drones. Mais la nature de la frappe et l'absence de débris peuvent également affaiblir l'hypothèse d'un tir raté du Jihad islamique. Contactés, plusieurs centres de recherche ont refusé de commenter, arguant qu’ils étaient toujours en train d’analyser les données disponibles et qu'il était trop tôt pour apporter des réponses définitives. Les services de renseignements britanniques ont, eux aussi, indiqué ne pas disposer de suffisamment d’informations pour établir une responsabilité claire. Et ont appelé à ne pas désigner de coupable sans étude indépendante et solide.
Pourquoi Israël aurait fait ça ?
L’attaque sur l’hôpital a créé une colère dans l’ensemble du monde arabe et risque d’avoir un impact sur les opinions publiques dans la suite de la guerre. Pourquoi, dans ce contexte, Israël aurait-il pris ce risque ? « Tel-Aviv essaye de rendre les conditions de vie des Palestiniens impossibles afin de vider la bande de Gaza, du moins en partie, de sa population. Cela passe par la destruction des infrastructures de santé dans le territoire, profitant de l'impunité suite au choc du 7 octobre et du soutien occidental », estime M. Majed. Suite au lancement de l'opération Déluge d'al-Aqsa par le Hamas, Israël a appelé les habitants de la partie nord de la bande de Gaza (soit quelque 1,1 million de citoyens) à évacuer leur territoire en amont de l’offensive terrestre qu’il souhaite mener. Pour les pousser vers le Sud (ou, de préférence, vers l’Égypte), Tel-Aviv n’hésite pas à bombarder les installations civiles. Après le bombardement de mardi, l'État hébreu a d'ailleurs promis dans un communiqué sur Telegram une aide humanitaire aux Gazaouis qui évacuent vers al-Mawasi (dans le Sud). Les habitants de Gaza, qualifiés d'animaux par le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, sont privés d'eau, de nourriture et de médicaments, soumis à un siège total depuis le 7 octobre.
L’usage disproportionné de la force contre les civils peut également s'avérer util pour briser le moral ennemi. Le président syrien Bachar el-Assad en a fait une démonstration grandeur nature à Khan Cheikhoun, dans la province rebelle d'Idleb, en larguant des bombes au gaz sarin en 2017. La machine de propagande de la Syrie et ses alliés avait affirmé que l'attaque avait été menée par les opposants au régime, malgré les rapports sans ambiguïté de l'Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Certains avaient même imputé les cas d'étranglement à... une tempête de sable.
Des précédents
Si la parole d’Israël est aujourd’hui remise en cause, c’est que l’État hébreu a menti à de multiples reprises dans des cas similaires par le passé. En juillet 2006, lors du second massacre de Qana au Liban-Sud, le chef d'état-major de l'armée de l'air, le général Amir Eshel, a affirmé lors d'une conférence de presse que la mort d'une vingtaine de civils suite à l'effondrement d'un immeuble en pleine campagne de bombardement israélien était dû à la présence d'un entrepôt d'armes et de munitions du Hezbollah en bas du bâtiment. Les rapports internationaux ont ensuite prouvé la responsabilité israélienne dans cette affaire. En août 2022, l'armée israélienne a fini par reconnaître qu'elle était responsable de la mort de cinq enfants palestiniens suite à une frappe aérienne contre un cimetière de la bande de Gaza après avoir passé des mois à imputer leur mort au... Jihad islamique qui aurait raté sa cible. Dans la même veine, le 11 mai 2022, la journaliste palestinienne Shireen Abou Akleh a été tuée alors qu'elle couvrait des affrontements en Cisjordanie occupée. Si l'État hébreu s'est empressé d'accuser les Palestiniens d'avoir provoqué la mort de la journaliste vedette d'al-Jazeera, une enquête de la police américaine a révélé quelques mois plus tard qu’elle avait été tuée par l'armée israélienne. Pour le moment, ni M. Biden ni M. Netanyahu n'ont indiqué vouloir ouvrir une enquête sur l'attaque de l'hôpital al-Ahli.
commentaires (12)
Pourquoi l'OLJ ne cite t il pas l'enquête très fouillée du Monde ?
F. Oscar
23 h 07, le 20 octobre 2023