La mort, vendredi dernier, de Issam Abdallah, 37 ans, vidéo-journaliste de l’agence Reuters, dans un bombardement à Alma el-Chaab, à la frontière libano-israélienne, alors qu’il s’y trouvait en mission, est une tragédie pour ses proches, ses confrères et les Libanais de tous bords.
L’armée libanaise a affirmé qu'Israël « avait lancé un missile qui a touché une voiture civile appartenant à un groupe de médias, entraînant le martyre du vidéaste Issam Abdallah », tandis que l'armée israélienne, elle-même, avait déclaré avoir tiré pour riposter à des tirs du Hezbollah, assurant que « l’incident était en cours d’examen ».
Y aurait-il des moyens légaux de rendre justice à la victime dont la seule faute était d’avoir rempli avec courage son devoir professionnel ? Ou, au contraire, les auteurs de ce crime qui a causé des blessures à six autres journalistes, vont-ils bénéficier de l’impunité, dans un monde où les violences semblent faire loi ? Le directeur du cabinet Justicia au Liban, Paul Morcos, spécialiste de droit international, répond à nos questions.
En tuant un journaliste, quelle règle spécifique I’armée israélienne a-t-elle violé ?
La règle est que les médias ne doivent pas être considérés comme des objectifs militaires. À défaut, il s’agirait d’une enfreinte au droit international humanitaire, notamment à la Convention de Genève (1949), relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, ainsi qu’au Protocole de 1977 qui complète la Convention. L’article 79 du Protocole considère comme des personnes civiles les journalistes qui accomplissent des missions professionnelles périlleuses dans des zones de conflit armé. La règle 34, édictée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), interdit également les attaques contre les journalistes et impose leur protection.
En vertu des dispositions précitées, non seulement il est interdit aux belligérants de cibler les journalistes, mais ils ont le devoir de les protéger contre tout effet des hostilités. Les commandements doivent ainsi donner ordre à leurs militaires d’épargner certaines zones géographiques dans lesquelles les journalistes exercent leurs activités.
Si Israël n’a pas ratifié toutes les pièces de la Convention de Genève, il n’en est pas moins tenu de la respecter, d’autant qu’elle est devenue une obligation de principe à laquelle se conforme l’humanité.
L’agence Reuters a réclamé une enquête sur les circonstances et les responsabilités du meurtre de Issam Abdallah, de même que l’AFP, qui en a également fait la demande au Liban. De telles investigations ont-elles des chances d’aboutir ?
Il est peu probable qu’une enquête menée par Israël soit crédible ou mène à des résultats. Elle risque d’être partiale, puisqu’elle sera effectuée par un État dont l’armée est accusée d’avoir perpétré le crime. De même, il serait reproché à une enquête de la justice libanaise d’être subjective, le Liban ayant intérêt à affirmer que l’assassinat du journaliste était intentionnel.
Reste le recours à la justice internationale ?
Ce serait la solution, mais en réalité elle est théorique, parce que son adoption dépend d’une décision du Conseil de sécurité des Nations unies. Cet organisme a le pouvoir de créer une commission d’enquête et de déférer ensuite l’affaire à la Cour pénale internationale, ou à un tribunal ad hoc. Le cas échéant, sa décision sera contraignante, d’autant que, pour l’appliquer, il pourrait avoir recours à la force armée prévue au Chapitre 7 de la Charte de l'ONU. Or, il semble peu probable que le Conseil de sécurité prenne la décision d’ouvrir une enquête, car il suffit qu’un seul de ses cinq membres permanents (États-Unis, Chine, Russie, France et Royaume-Uni) exerce son droit de veto. On sait que la majorité de ces États affichent sans ambages leur soutien à Israël.
Quid d’un recours des proches de la victime à des tribunaux étrangers ?
Ces proches pourraient saisir des juridictions étrangères : certains pays d’Europe comme la Belgique, ou des États d’Amérique latine ont instauré dans leur système judiciaire des tribunaux dont la compétence est reconnue, même pour les crimes qui n’ont pas été commis sur leur territoire.