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Culture - Entretien

« Je crains que personne n’entende plus jamais l’autre voix, celle des Palestiniens »

Après avoir hésité à prendre la parole, le romancier franco-libanais, docteur et chercheur en littérature et philosophie d’origine palestinienne Jadd Hilal a accepté de partager son regard sur les derniers événements tragiques qui ont marqué le conflit israélo-palestinien.

« Je crains que personne n’entende plus jamais l’autre voix, celle des Palestiniens »

L’écrivain franco-libanais ayant des origines palestiniennes Jadd Hilal. JCrédit photo ed. Elyzad

 Né en 1987, l’écrivain Jadd Hilal est lauréat de différentes récompenses littéraires pour son premier roman, Des Ailes au loin (Elyzad, 2018). Le récit, ample et poétique, retrace la trajectoire existentielle marquée par le conflit israélo-palestinien de quatre générations féminines, de la Palestine à l’Europe, en passant par le Liban. En 2020, le jeune auteur publie un deuxième roman, Une Baignoire dans le désert (Elyzad), qui raconte les bouleversements de la vie d’un enfant, marqué par la guerre de son pays et de ses parents, et qui oscille entre son univers imaginaire enchanté et une réalité cruelle qui le contraint à devenir un garçon responsable. Cet automne, son dernier texte, Le Caprice de vivre (Elyzad), connaît un succès remarquable en librairie et séduit par un trio de personnages trentenaires d’origine arabe mais vivant à Paris, dont la connivence et les liens se tissent dans la légèreté des années 2000. Sexe, interrogations identitaires, droits des animaux, patriarcat, sens de l’engagement, le roman propose un cocktail détonant à l’image de la fougue d’une jeunesse qui cherche éperdument sa place, soutenue par une écriture qui interroge son propre geste, avec humour et profondeur.

Dans quelle mesure votre œuvre littéraire est-elle imprégnée de la question palestinienne ?

Ma manière de m’engager habituellement sur cette question-là, c’est de raconter. Ce canal me semble intéressant car le discours politique et médiatique est si abondant, si immédiat et si maladroit parfois qu’on en vient à ne plus tellement saisir que c’est d’individus que l’on parle. La littérature a cette qualité d’ancrer toute problématique dans une trajectoire individuelle et humaine, et c’est la seule manière que j’ai trouvée pour essayer de produire de l’empathie chez le lecteur. C’est très différent de raconter l’histoire par des chiffres, des concepts et des positionnements politiques divers. Le récit permet de sensibiliser le lecteur en apportant de la nuance, il montre que la personne dont on parle, israélienne ou palestinienne, existe autrement que dans le cadre du conflit politique, ce qui la rend plus facile à comprendre, dans sa douleur ou dans sa joie. C’est un privilège de la littérature de raconter des histoires autrement, de proposer d’autres visions d’un peuple ou d’une situation.


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 Qu’est-ce qui vous a décidé à vous exprimer sur les événements actuels, à la fois sensibles et brûlants ?

Au départ, cela m’a semblé difficile, je suis français, né en France, et puis je n’ai jamais pu me rendre en Palestine ; mais ces épisodes-là brassent quelque chose de ventral, qui m’y ramène toujours. Nous sommes nombreux à avoir ce ressenti ; sans savoir exactement pourquoi, cela nous remue profondément. J’ai décidé de m’exprimer parce que j’ai le sentiment qu’il y a un alignement qui se fait sur une position, qui réunit la politique et l’humain, et je crains que personne n’entende plus jamais l’autre voix, celle des Palestiniens. Je ne parle pas de celle du Hamas, il est nécessaire de faire cette nuance-là, car les amalgames sont nombreux.

La manière dont le sujet est traité me semble préoccupante : le soutien envers les Israéliens, envers les juifs, que je veux ici exprimer pleinement, est pour moi absolument différent du soutien envers Netanyahu et son gouvernement, y compris pour des Israéliens et juifs eux-mêmes, dont une partie désapprouve ce gouvernement à juste titre. Et j’ai l’impression que le lien se fait trop facilement, dans le discours actuel de certains pays occidentaux. Être de tout cœur avec les Israéliens après les terribles événements du week-end dernier, je le ressens profondément, mais de là à dire qu’on est de tout cœur derrière Netanyahu et qu’on autorise le gouvernement à réagir de la manière qu’il trouvera la plus appropriée, par tous les moyens nécessaires, là non, c’est totalement différent. On cautionne autre chose.

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À chaud, comment réagissez-vous aux événements de ces derniers jours ?

J’ai l’impression que c’est toujours la même histoire, il y a une dimension cyclique dans le fait qu’il se produise un événement dramatique – je parle de l’attaque du Hamas – et que ce soit employé comme un feu vert pour prolonger et accentuer la politique géographique et gouvernementale atroce de Netanyahu.

Cette politique cautionnée par plusieurs pays occidentaux ne vise absolument pas un apaisement ou un compromis, mais une politique gouvernementale où la justice se fonde sur l’idée de vengeance, ce qui me paraît absolument inacceptable, pour un gouvernement. On ne parle pas, comme pour le cas du Hamas, d’un groupe, mais d’un gouvernement, avec un territoire, une législation, un peuple à diriger, et qui fonde sa politique sur une sorte de loi du talion gonflée, en tuant plus encore de civils de l’autre camp qu’il en a perdu de son côté, soi-disant pour rendre justice. Cela signifie qu’on autorise philosophiquement la notion de vengeance, qui est sans fin comme chacun le sait.

Que cette politique soit choisie par un gouvernement puissant, au rôle déterminant dans les relations internationales, me semble dangereux ; cela engendre l’approbation d’autres pays, dont certains se targuent de défendre les droits de l’homme, comme la France. En disant qu’on autorise le gouvernement d’Israël à employer tous les moyens nécessaires, on cautionne un pays pourtant défenseur des droits humains, l’idée inhumaine qu’en 2023, un gouvernement ait le droit d’employer la vengeance, l’assassinat de civils en tant qu’outil de politique et de justice.

Dans quelle mesure les événements d’octobre vous semblent-ils différents de ce qui a pu se passer précédemment ?

La situation géopolitique a changé : de plus en plus de pays arabes ont normalisé leurs relations avec le gouvernement d’Israël. En France, les manifestations pour défendre la Palestine ont été interdites : ma crainte est qu’il n’y ait plus aucun intérêt politique à défendre la Palestine. La politique est liée à des relations d’intérêt mutuel entre les pays, elle n’a rien à voir avec la morale, l’éthique ou la philosophie. Jusque-là, il existait une solidarité de surface de plusieurs pays occidentaux envers la Palestine qui semble avoir disparu, ce qui interroge l’avenir des Palestiniens, d’où la nécessité de continuer à porter des voix, qui appartiennent de moins en moins à la politique.

En France, il y a eu peu de solidarité exprimée envers la Palestine dans le discours institutionnel et médiatique. Je suis heureux qu’on soit solidaires des Israéliens, qu’on mette leur drapeau sur la tour Eiffel : si on le fait pour tout le monde, il n’y a pas de problème, au contraire, c’est une belle preuve d’humanité. Je serais très heureux d’écrire des livres ou de manifester avec des juifs pour dire que ce que le Hamas a fait est scandaleux, mais il faut le faire pour tout le monde, manifester et exprimer sa solidarité avec les victimes des deux côtés. Ma solidarité va aux Palestiniens, aux juifs et aux Israéliens, elle ne va ni au gouvernement de Netanyahu ni au Hamas.

 Né en 1987, l’écrivain Jadd Hilal est lauréat de différentes récompenses littéraires pour son premier roman, Des Ailes au loin (Elyzad, 2018). Le récit, ample et poétique, retrace la trajectoire existentielle marquée par le conflit israélo-palestinien de quatre générations féminines, de la Palestine à l’Europe, en passant par le Liban. En 2020, le jeune auteur publie un...
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