Une région pleine de grâce

À chaque retour, l’été, dans mon magnifique pays d’enfance, la magie opère, et une combinaison de nostalgie et d’appréciation tardive des choses s’empare de mon cœur. Ainsi, très souvent, je jette mon dévolu sur des objets de la banalité quotidienne que je voyais fréquemment dans le passé, mais qui passaient inaperçus dans ma vie tant leur existence en faisait partie intégrante.

Cette année, une route et des camionnettes ont frayé leur chemin droit vers mon cœur. Leur charme s’est révélé d’un coup. Oui, on peut tomber amoureux d’une route. Oui, on peut flasher pour des camionnettes.

Une route baptisée la route des vins ; elle se situe à l’ouest de la vallée de la Békaa, dans l’une des plus belles régions du Liban. Cette région est une vénusté en plein cœur de ce pays. Un cadeau offert par une histoire millénaire, par un climat béni par son ensoleillement permanent et par la composition d’un sol favorable à la domestication de la vigne et à la viticulture.

« Les camionnettes de la sagacité ». Photo P.S.

Fonctionnant de concert, esprit et émotion s’emballent au regard des domaines viticoles et de la variété de leurs cépages qui bordent la route des deux côtés. Du cabernet sauvignon au chardonnay, en passant par le merlot, le cinsault et la syrah, ces derniers s’épanouissent le temps éphémère d’un été tout en se gorgeant d’un soleil bienveillant, d’une nature à couper le souffle et d’un climat doux et sec à souhait.

Sur la route, un parcours de visite du chapelet des différents châteaux et domaines viticoles s’impose telle une procession.

Rivalisant de fraîcheur et d’appellation aussi créative que sensuelle, des rouges aux blancs, en passant par les rosés, les profils des vins toniques, élégants, séduisants, parfumés et fruités des domaines et des multiples châteaux offrent au commun des mortels une expérience œnotouristique qui les rapproche de leur créateur.

Allez rendre visite à un des plus grands châteaux par sa modestie. Une grotte naturelle où une chapelle a été instaurée vous accueille. Des mariages et des messes y sont célébrés. Des propriétaires accessibles, passionnés par leur production, dévoués pour leur travail, vous expliquent l’histoire du château et le pourquoi de certaines appellations de leurs vins. Dégustez-les et imprégnez-vous de chaque rayon de soleil qui a baigné par sa chaleur et sa luminosité la peau et la pulpe de chaque baie des grappes des cépages dont la maturité est impeccablement aboutie.

D’autres châteaux sur la route des vins offrent d’autres aventures et d’autres produits qui rivalisent d’appellation et de goût. Un itinéraire magistral à expérimenter toutes saisons confondues. Il est flatteur des sens. Comme si l’histoire des vignobles et leurs cuvées ont signé un pacte divin pour satisfaire notre cerveau émotionnel et nos récepteurs sensoriels gustatifs et plus si affinités.

Terroir fertile et plaine de la Békaa riment incontestablement. Et l’abondance de ce terroir, on la perçoit à travers les fameuses camionnettes que je baptise, haut la main, « les camionnettes de la sagacité ». Elles transportent généreusement vers tous les coins du Liban les produits bruts et frais issus de la plaine.

La carrosserie de leur hayon est formée de panneaux métalliques espacés sur lesquels sont écrites des phrases calligraphiées dans les règles de l’art – comme l’expression « Rida Allah w rida el-walidayn » (« Obtenir le consentement de Dieu et celui de ses parents ») – ressemblant aux dix commandements par leur finalité. Philosophiques à souhait, elles rappellent aux routiers les vraies valeurs humaines de la façon la plus pratique et la plus ludique : « La pauvreté est celle des cœurs, et non celles des poches. »

Elles arborent également et en toute fierté le drapeau libanais, et pour éloigner les jaloux et les mauvais esprits, on retrouve des aphorismes parmi la panoplie des phrases calligraphiées, comme « Aayn el-hassoud la tassoud », « Yikhzi el-aayn » ou encore « Mahroussé » (des expressions bien de chez nous pour protéger contre le mauvais œil). Exceptionnelles, ces pancartes servent également à la publicité de certains produits ou commerces. Tant qu’à faire.

Pleines à craquer, bougeant dans tous les sens, risquant à tout moment de perdre leur équilibre, ces camionnettes, pour aller à leur destination, traversent la route légendaire de Dahr el-Baïdar où les multiples nids-de-poule, les trous géants et les nombreux virages dangereux ralentissent leur circulation. Les conducteurs de voiture, désespérés par leur lenteur et après avoir été imprégnés par la moralité de leurs aphorismes, trouvent qu’il est plus astucieux de les dépasser.

Et dès que l’opportunité se présente, un ou deux klaxons, et hop ! les conducteurs des camionnettes se rabattent plus ou moins poliment et vous offrent la route en tendant la main en dehors de la vitre comme une invitation à les dépasser, non sans afficher un sourire joyeux et communicatif avec plus ou moins de dents s’il vous arrive de les regarder pour les remercier.

Nulle part ailleurs dans les villes et les campagnes des autres pays d’Europe ou d’Amérique on ne trouve des véhicules qui ressemblent à nos « camionnettes de la sagacité ». Une spécificité à apprécier et à sauvegarder tant elle fait partie de notre patrimoine.

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