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Politique - Diplomatie

Révocation de Jeanne Mrad : une décision arbitraire ?

La chef de la mission permanente du Liban à l’ONU a été sommée vendredi dernier de rejoindre l’administration centrale du ministère des Affaires étrangères dès la première dizaine du mois d’octobre.

Révocation de Jeanne Mrad : une décision arbitraire ?

Pause photo en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, tenue à la mi-septembre. Au centre, le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, et le chef du gouvernement, Nagib Mikati. Troisième et quatrième à partir de la droite, Jeanne Mrad et Inaya Ezzeddine. Premier à partir de la gauche, le diplomate Hadi Hachem. Photo DR

À peine le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, avait quitté vendredi 21 septembre New York, où il participait à la 78e Assemblée générale des Nations unies, que la chef de la mission permanente du Liban à l’ONU, Jeanne Mrad, a été notifiée par le ministère de l’obligation d’abandonner immédiatement son poste et de rejoindre l’administration centrale à Beyrouth dès la première dizaine du mois d’octobre. La décision a suscité des critiques et des questionnements dans les milieux politiques et les médias, Mme Mrad étant appréciée par nombre de ses pairs du corps diplomatique pour ses compétences et sa probité.

« Nous vous faisons part de notre décision de vous rappeler à l’administration centrale en vue de vous muter à un autre poste à partir de la première dizaine du mois d’octobre. Nous vous demandons d’effectuer à partir du 22 septembre une passation de pouvoirs avec le diplomate Hadi Hachem et de lui céder la résidence diplomatique », peut-on lire dans un document signé par M. Bou Habib daté du 14 septembre et dépourvu de motifs. À noter que le ministre et le successeur de Mme Mrad sont tous deux réputés proches du CPL.

Le décalage entre la date de la décision et celle de sa notification une semaine plus tard a été en particulier questionné. Pourquoi M. Bou Habib, qui avait donc signé le document à la veille de son départ pour New York le 15 septembre, a-t-il attendu d’achever son séjour dans la Grosse Pomme (il s’est rendu par la suite en visite privée à Washington) pour que Jeanne Mrad soit informée de sa révocation ? Quels sont les motifs de cette mesure ?

« Un choc »

Une source du palais Bustros indique à L’OLJ, sous couvert d’anonymat, que M. Bou Habib voulait que le climat soit « tranquille » lorsque le chef du gouvernement sortant Najib Mikati allait arriver à New York, le 18 septembre, pour participer à l’Assemblée générale. Selon les informations recueillies, l’ambiance était en effet très « normale » tout au long de la semaine durant laquelle Mme Mrad a participé avec le chef de la diplomatie aux divers travaux liés à l’Assemblée générale, sans qu’aucun accroc n’ait été signalé.

La chef de la mission permanente a donc subi un « choc » lorsqu’elle a pris connaissance de sa mutation vendredi dernier, juste après le départ de M. Bou Habib pour Washington, et alors que, la veille même, le ministre lui avait fait ses adieux en l’embrassant affectueusement et lui demandant de prendre soin d’elle-même et de ses enfants en bas âge, affirme une source diplomatique. Aucun indice ne laissait prévoir un tel retournement de situation.

Divers observateurs supputent que c’est l’allocution prononcée par la chef de la mission permanente lors de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, le 31 août dernier, qui aurait piqué au vif le ministre des AE. Ce jour-là, le Conseil avait voté en faveur du renouvellement de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), sans satisfaire la demande du Liban (sous pression du Hezbollah) de limiter sa liberté de mouvement. La résolution finale adoptée a indiqué que la Finul peut continuer à mener ses opérations « de manière indépendante » et effectuer des patrouilles « annoncées ou inopinées », ajoutant simplement qu’elle doit « coordonner avec le gouvernement libanais ». Mme Mrad avait alors pris la parole en déplorant notamment qu’« un certain nombre d’éléments n’ont pas pu être pris en compte ». « Le texte ne reflète pas toutes nos préoccupations », avait-elle ajouté, jugeant que « la liberté de mouvement de la Finul doit certes être défendue, mais faire l’objet de contrôle ».

La source précitée du palais Bustros déclare à L’OLJ que Mme Mrad « n’aurait pas dû intervenir durant la séance ». « L’allocution était pourtant bien articulée et reflétait un travail cartésien, mené pendant les longs mois de négociations qui ont abouti au vote de la résolution », objecte un diplomate sous couvert d’anonymat. La source du ministère rétorque que le problème n’est pas dans le contenu de l’allocution, qu’il reflète ou non le point de vue du gouvernement, « mais dans le principe qui veut que dans certaines circonstances, un diplomate ne peut s’exprimer que si le ministère lui donne le feu vert ». Mais que faire si la présidente du Conseil de sécurité avait donné elle-même la parole à Mme Mrad, lors de la séance du 31 août ? Réponse de la source du palais Bustros : c’est elle-même qui a demandé à la prendre. En tout état de cause, ce n’est pas la première fois que la diplomate commet ce genre de faute, note-t-elle. Et d’ajouter que M. Bou Habib entendait d’ailleurs la sanctionner vers la mi-août, soit avant même la séance du Conseil de sécurité, parce qu’elle n’avait pas tenu compte de maintes remarques qu’il lui avait adressées directement ou par des circulaires, et également parce qu’elle agissait souvent à l’encontre de ses instructions. Un propos qui pousse un diplomate d’un pays occidental à dire que la plupart du temps, nombre de ses confrères et lui-même attendent « des instructions qui ne viennent pas ». « Or, lorsque des développements surgissent à la dernière minute, nécessitant souvent un minimum d’intervention de la part d’un ambassadeur concerné, comment celui-ci doit-il agir si, par exemple, en cas d’une différence dans les fuseaux horaires, il ne peut contacter le ministère des Affaires étrangères dans l’immédiat ? » s’interroge-t-il. « Ils veulent des représentants de l’État à la bouche cousue et aux mains menottées », note-t-il. Réaction de la source proche du ministère : « Nous avons 89 délégations à travers le monde. Imaginez que chaque chef de ces délégations prenne de la sorte ses libertés ! »

« Ôte-toi de là que je m’y mette »

Retraité et actuellement au Maroc, Ahmad Chammat, ex-ambassadeur du Liban en Arabie saoudite et au Soudan, souligne pour L’OLJ « les capacités et l’honnêteté » de Mme Mrad, qu’il a connue lorsqu’elle occupait le poste de chargée d’affaires à Rabat. « Son ambition a attiré l’attention sur elle et lui a vraisemblablement nui, d’autant que le jeu politique au Liban fait prévaloir la devise “ôte-toi de là que je m’y mette” », dit-il. Dans des milieux politiques, la sanction du ministère des AE a été vivement condamnée. Waddah Sadek, député de la contestation, l’a décrite comme « injustifiée et arbitraire », estimant, dans une déclaration, que M. Bou Habib se comporte comme si le ministère était « sa propriété privée ». « Le cabinet ayant, à l’heure actuelle, le statut de gouvernement sortant, le Parlement ne peut malheureusement pas poser la question de la confiance à l’égard de ministres qui exécutent leurs agendas personnels », a-t-il déploré.

Pour sa part, Inaya Ezzeddine, députée berryste membre de la commission parlementaire des Relations extérieures, ne connaissait pas Mme Mrad avant la tenue, mi-septembre, de l’Assemblée générale de l’ONU à laquelle elle a participé. Mme Ezzeddine a toutefois rapidement noté « son attachement à une belle image du Liban, son professionnalisme, sa discipline, sa moralité et sa profonde expérience ». « Mme Mrad a veillé à faire un suivi de tous les détails liés à la session de l’Assemblée générale, informant chaque membre de la délégation libanaise des travaux qui l’intéressaient et distribuant de manière perspicace les tâches aux membres de son équipe. » Si la députée assure que son ressenti en faveur de la chef de la mission permanente ne constitue nullement une attitude hostile à l’égard de son successeur, Hadi Hachem, qu’elle ne connaît pas, elle ne peut s’empêcher de s’interroger sur les raisons qui ont poussé le ministre Bou Habib à formuler sa décision de révocation de manière aussi « dure ».

À peine le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, avait quitté vendredi 21 septembre New York, où il participait à la 78e Assemblée générale des Nations unies, que la chef de la mission permanente du Liban à l’ONU, Jeanne Mrad, a été notifiée par le ministère de l’obligation d’abandonner immédiatement son poste et de rejoindre...

commentaires (6)

Ils se sont appropriés nos institutions et bientôt notre pays ces moins que rien au service des fossoyeurs. Ça n’est plus un secret mais une provocation continue pour voir jusqu’où ils peuvent aller

Sissi zayyat

14 h 58, le 26 septembre 2023

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Commentaires (6)

  • Ils se sont appropriés nos institutions et bientôt notre pays ces moins que rien au service des fossoyeurs. Ça n’est plus un secret mais une provocation continue pour voir jusqu’où ils peuvent aller

    Sissi zayyat

    14 h 58, le 26 septembre 2023

  • Bouhabib comme malheureusement tous nos dirigeants libanais n’assument pas leur incompétence après avoir lu ds vos colonnes je crois la réponse de madame l’ambassadrice du Liban à l’ONU (où elle explique bien les mécanismes des pourparlers) sur ses demandes d’instruction (qui ont duré des mois) au ministère des étrangères et au ministère Bouhabib sans avoir ni des directives ni des instructions et on lui demande la dernière semaine avant la session un changement de la résolution en question alors que toutes les nations s’étaient mis d’accord elle a donc du parer au pire ! Si nos dirigeants cessaient de ne vouloir rien assumer ou alors qu’ils cèdent la place aux plus compétents

    Bersuder Jean-Louis

    02 h 09, le 26 septembre 2023

  • Certains ministres se comportent comme si le Liban n'etait qu'une vulgaire dictature de troisieme ordre. Peut etre ont-ils raison d'ailleurs ?

    Michel Trad

    22 h 37, le 25 septembre 2023

  • BouHabib a t-il agi de façon délibérée ou sous pression. Le bisou qu'il a déposé sur la joue de Mme Mrad ressemble fort à celui d'un Judas.

    Esber

    20 h 15, le 25 septembre 2023

  • Il doit être bien peu épanouissant de travailler dans ce ministère, Mme Mrad mérite sans doute mieux que de rester assujettie à l’autoritarisme de petits chefaillons sans envergure, plus au service de l’agenda de leur clan que de leur pays failli qui n’a plus aucune crédibilité à l’international .

    AntoineK

    19 h 37, le 25 septembre 2023

  • Tel est le comportement honteux des libanais.

    Mohamed Melhem

    17 h 35, le 25 septembre 2023

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