
Un plat apparemment simple, où tout est dans les dosages. Photo tirée du compte Instagram @cacioepepelove
Une spécialité culinaire de la ville éternelle, Rome, titille les papilles du monde entier. L’énorme succès de ce plat de pâtes contraste avec le peu d’ingrédients nécessaires à sa préparation, puisqu'il n'en faut que trois : des spaghetti, du fromage Pecorino et du poivre noir. Son nom est tout aussi simple, Cacio e Pepe (fromage et poivre), décrivant sans chichi cette spécialité romaine. Phénomène ou pas, partout dans le monde, on demande et redemande du Cacio e Pepe. Illustration de ce succès inattendu, sa présence sur Instagram et autres réseaux sociaux. Même la presse lui a ouvert ses colonnes. Tout récemment, le Wall Street Journal en a même fait un article sous le titre « For Thanksgiving, have a Cacio e Pepe in Rome », invitant ses lecteurs à troquer la dinde traditionnelle de cette fête américaine, le 23 novembre prochain, contre ce qui est devenu un réel délice.
Le Cacio e Pepe semble en passe de devenir l'une des recettes italiennes les plus cuisinées au monde. Selon le New York Magazine, « c'était le plat de pâtes le plus cool en 2016, et à cette époque, sa popularité ne faisait que commencer ». Puis, Cacio e Pepe a été élu l’an dernier « Plat italien de l'année » par le célèbre magazine alimentaire Gambero Rosso, couvrant les meilleurs restaurants italiens dans le monde. Et il suffit de faire un tour du côté de Google Trends, d’Instagram et de TikTok pour confirmer la tendance.
Plus difficile à faire qu’une carbonara
Si son goût, plus ou moins familier, flatte bien le palais, sa confection, ne semble pas aussi facile que ne le laissent penser ses ingrédients. « Une bonne carbonara n'est pas si difficile à réaliser, mais cuisiner un Cacio e Pepe, au moins passable, n'est pas une chose aisée, relève d'ailleurs le site Italy Segreta (Secret d’Italie). En plus de bons ingrédients et de patience, cuisiner ce plat nécessite de la dextérité manuelle et de solides connaissances en physique alimentaire. Il est très facile de se tromper, à moins que vous n'aimiez une sauce à la fois grumeleuse et filandreuse, l'erreur la plus courante que tout le monde essaie d'éviter. »
Il n’existerait donc pas de mode d’emploi spécifique à suivre pour marier, comme il le faut, ces trois ingrédients à la portée de tous. Le secret de la réussite du Cacio e Pepe résiderait dans la température de cuisson et dans le savant dosage des produits. Pour s'y frotter, il faut appliquer quelques conseils de base. Opter d'abord pour les formes de pâte classiques : spaghetti (de préférence), tonnarelli ou encore rigatoni. Exit donc les penne, fusilli ou autres pâtes aux œufs. Quant au fromage pecorino (pas trop vieilli), il doit être râpé. Enfin, une pincée de poivre noir aromatique sera la bienvenue. Tout le monde vous le dira, le reste, c'est de l'art.
Succès mondial du Cacio e Pepe. Photo tirée du compte Instagram @cacioepepelove
D’un repas de berger aux grandes tables
Cet engouement culinaire du moment a donné lieu à plusieurs détournements. La plupart jouent souvent sur les différentes saveurs de poivre. Les plus audacieux l’ont marié à des crevettes. Toutefois, les vrais connaisseurs n’apprécient pas du tout et restent des inconditionnels de l’authentique manière de faire. Selon la revue La cucina italiana, « Cacio e Pepe est un symbole de Rome et, comme le Colisée, une institution. Elle incarne l'âme d'une ville vouée à la grandeur et à la majesté mais qui n'oublie jamais le peuple et la simplicité de ses quartiers bruyants. » C’est là qu’ont été concoctées ces pâtes qui relèvent de la cucina povere (la cuisine pauvre) à cause de leur humble origine. Leur histoire est associée aux périodes de transhumance du bétail. Les bergers des campagnes romaines remplissaient leurs sacs d'aliments caloriques et de longue conservation. Aux côtés des tomates séchées et du jambon, ils rangeaient également quelques tranches de pecorino, un sac de grains de poivre noir et une bonne quantité de spaghettis séchés préparés à la main avec de l'eau, du sel et de la farine. Trois derniers ingrédients qui n'étaient pas le fruit du hasard. Le poivre noir, stimulant directement les récepteurs de chaleur, permettaient aux bergers de se protéger du froid. Le pecorino vieilli se conserve longtemps. Et les pâtes garantissaient aux bergers une bonne quantité de glucides et de calories. Avec pour résultat un repas simple mais consistant dont les tavernes romaines se sont inspirées, vers le XVIIIe siècle, en faisant leur spécialité. On raconte que les taverniers, pour faire marcher les affaires, servaient sciemment un Cacio e Pepe « sec » pour que les clients aient besoin de vin pour faire passer le plat.
Quant à son ascension vers les hautes sphères, il est dû à une comédienne romaine nommée Sora Lella, sœur du célèbre acteur Aldo Fabrizi (1915-1993) qui, sans être Gina Lollobrigida ou Sophia Loren, avait travaillé avec les grands du cinéma italien des années 60 et 70. En parallèle, elle avait ouvert une trattoria célèbre pour son Cacio e Pepe.