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Culture - Résidence socio-culturelle

Onze ans après, « Mansion » ferme ses portes à Zokak el-Blat

Cette maison d’artistes et ce lieu de travail ouvert à tous a accueilli plus de 500 résidents depuis fin 2012.

Onze ans après, « Mansion » ferme ses portes à Zokak el-Blat

Un habitué de « Mansion » répondant au téléphone quelques heures avant la fermeture de la villa, le 14 septembre 2023. Photo João Sousa

Elle a abrité des personnes issues de tous bords. Elle a accueilli des expositions, des concerts, des panels, des projections de films, des pièces de théâtre, des défilés de mode, mais aussi des réunions de travail et des rencontres politiques. Elle a vu ses quelque 500 résidents réussir, échouer, se reconvertir… mais elle ne fêtera pas son douzième anniversaire. Nichée à Zokak el-Blat, à gauche de la rue Spears, « Mansion » a définitivement fermé ses portes le vendredi 15 septembre. Du moins pour le moment.

Ouverte au public depuis fin 2012, cette villa bourgeoise de deux étages, à la façade jaunie et vétuste, est plus qu’un lieu de travail ou une résidence d'artistes. « C’est un espace de vie ouvert à tous », raconte le cinéaste Ghassan Halwani, qui a témoigné des débuts de « Mansion ».

Des tableaux exposés à « Mansion ». Photo João Sousa

Plus qu’un lieu communautaire...

Tout a commencé à la fin de l'année 2010. Ghassan Maasri (architecte) cherche à mettre à la disposition du public un espace communautaire où auraient lieu des activités culturelles et autres. Il tombe sur la villa quasi abandonnée depuis la fin de la guerre civile en 1990, et expose son projet à son propriétaire, un Beyrouthin de renom qui a requis l’anonymat et qui avait acheté le bâtiment en 1999 et renoncé à le rénover en raison du coût élevé des travaux.

À la deuxième visite, le deal est conclu : le propriétaire cède les clés de sa propriété et Ghassan Maasri et sa partenaire Sandra Iché se lancent dans une première remise en état sommaire de la villa afin d'en ouvrir gratuitement les portes et de démarrer pas à pas le projet, avec certaines normes à respecter. Les premiers spéculateurs débarquent, Ziad Bou Assi et Ayman Hassan, deux jeunes étudiants fraîchement diplômés, seront rejoints quelques jours plus tard par Ghassan Halwani. Sans s’être connus auparavant, les cinq personnes, de générations différentes, entament les travaux de réaménagement, qui marquent également les débuts de leur amitié et d'une nouvelle expérience. « Mansion » devient très rapidement un lieu de travail commun non lucratif, mais aussi un espace politico-socio-culturel ouvert à toutes les communautés.

Des personnes travaillant dans le jardin de « Mansion », quelques heures avant sa fermeture. Photo João Sousa

« Mansion prenait la couleur des personnes qu’il abritait », souligne Ghassan Halwani, non sans cacher sa nostalgie. Au fil des années, cet endroit a accueilli des artistes arabes et étrangers, mais aussi des projets d’architectes, d’agriculteurs et d’étudiants. « En 2015, beaucoup de Syriens en quête de soi et de leur avenir ont trouvé refuge dans la villa, alors que le conflit en Syrie battait son plein. Durant la thaoura (soulèvement populaire du 17 octobre 2019 au Liban, ndlr), l’endroit grouillait de personnes avides de changement », se souvient-il. « C’est dans nos locaux que les membres de la liste « L’ordre se révolte », une coalition de plusieurs groupes d’ingénieurs née dans le sillage du mouvement du 17 octobre, avait décidé de lancer sa campagne lors des élections de l’Ordre en 2021 », ajoute-t-il.

…un « espace de vie »

En ce jeudi 14 septembre, les habitués de « Mansion » s’activent pour vider le lieu, lors d'une vente aux enchères, le propriétaire souhaitant récupérer la villa. Myriam Prado, militante au sein de l’Alliance pour les travailleurs domestiques au Liban qui avait monté dans cette villa une pièce de théâtre en 2021, peine à dissimuler son amertume. « Mansion abrite notre cause. Tout le monde y était accueilli sans racisme ni préjugés. C’est dur de s’en dissocier », regrette-t-elle, espérant que l’Alliance trouvera un endroit pour poursuivre ses activités.

Des objets abandonnés à « Mansion ». Photo João Sousa

Accompagné de son fils, l’artiste syrien Majd el-Hamoui, peine aussi à plier bagage, après avoir « grandi » dans ce lieu. « Mansion a témoigné de mes identités plurielles, allant de la musique, aux documentaires et aujourd’hui au jardinage. C’est un endroit qui me ressemble et me permet de vivre autrement. Mansion est plus qu’un lieu de rencontre et de travail, c’est un espace de vie », se souvient-il, le regard égaré. Le jeune homme, qui va se relocaliser dans le quartier de Mar Mikhaël, regrette la pénurie d’espaces publics au Liban, qui met des bâtons dans les roues des dizaines de personnes que la villa accueillait. 

Elle a abrité des personnes issues de tous bords. Elle a accueilli des expositions, des concerts, des panels, des projections de films, des pièces de théâtre, des défilés de mode, mais aussi des réunions de travail et des rencontres politiques. Elle a vu ses quelque 500 résidents réussir, échouer, se reconvertir… mais elle ne fêtera pas son douzième anniversaire. Nichée à Zokak...

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