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Lifestyle - Mode

Birkenstock, la sandale brutaliste qu’on adore détester, joue dans la cour du glam

En 1963, le monde entier sait prononcer le nom de la marque  en chuintant le « s ».

Birkenstock, la sandale brutaliste qu’on adore détester, joue dans la cour du glam

Vitrine d’une boutique Birkenstock à Berlin. John MacDougall/AFP

Il suffisait d’y attacher une ou deux lanières. En 1877, le cordonnier allemand Johann Adam Birkenstock qui officiait à Langen-Bergheim en Hesse n’avait peut-être pas inventé la poudre, mais il fabriquait de bonnes semelles en liège dont on pouvait user à sa guise. Elles isolaient le pied du froid, ne se laissaient pas mouiller, et elles étaient surtout souples, silencieuses et légères, ce qui changeait de la bruyante rigidité des sabots en bois. L’affaire tourne gentiment, les clients sont fidèles, l’invention prend bien puisque, près de deux siècles plus tard, elle appartenait encore à la même famille quand l’un des descendants de l’ingénieux cordonnier fait plus ingénieux encore : il sculpte la première semelle adaptée à l’anatomie du pied, de ses creux, ses renflements et ses courbes. En 1947, la Seconde Guerre mondiale est bien finie et un autre descendant fait encore mieux. Carl Birkenstock s’intéresse à l’orthopédie, rédige un traité et développe la semelle anatomique pour en faire une semelle qui ne se contente pas de respecter la forme du pied mais aspire à le soutenir, voire le rectifier et en améliorer la configuration. La semelle a deux lanières à boucles ajustables, elle s’appelle Arizona et devient un nouveau basique des vestiaires, le degré zéro de la chaussure.

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En 1963, le monde entier sait dire « Birkenstock » en chuintant le « s ». C’est l’époque néo-bucolique où les filles rêvent de passer par la Lorraine, avec leurs sabots et leurs vastes robes à fleurs. Les garçons ne sont pas en reste qui vont à la conquête du pays perdu chaussés de leurs semelles à une bride, la Madrid avec ou sans chaussettes, réputée « sandale de gymnastique » et littéralement pied de nez à la société de consommation si honnie. La vague hippie passe mais rien ne se perd. La sandale Arizona à deux brides devient l’emblème du beauf européen, surtout allemand, surtout en bermuda flottant, pique-niquant de bière et de saucisses sous la tour Eiffel. La Birkenstock passe à la trappe de la caricature. Est-ce la fin de la semelle la plus durable de l’histoire des semelles ? C’est mal connaître la bête, et surtout la ténacité et la persévérance d’une dynastie dont elle est l’emblème et la fierté.

La marque Birkenstock vient de déposer son dossier d’entrée en Bourse à Wall Street. Photo tirée de la page Instagram de Birkenstock

Le modèle Arizona ne restera pas longtemps chez les beaufs. De nouvelles déclinaisons plus raffinées entrent en scène. La minimaliste Madrid à une bride et grosse boucle se décline en couleurs. La Guizeh, Salomé de la sandale avec son jumeau masculin, sans surprise baptisé Ramses, apparaît en 1983. Elle joue l’Antiquité contemporaine et s’offre avec peu d’effets une dignité pharaonique, au point de devenir une nouvelle icône. En 1979, Birkenstock pense que sa semelle ergonomique s’adapterait bien à la vieille tradition européenne du sabot. C’est ainsi que naît le sabot Boston, en référence à la ville américaine connue pour son style de vie décontracté et son attrait pour le confort. Mais il faudra attendre la fin des années 1990 pour assister au véritable revival de la Birkenstock qui monte en flèche tout au long des années 2000. On dit que c’est au milieu de la tech que les modèles Arizona et Boston doivent leur fabuleux destin. Ce n’est pas par hasard si en 2022, des sandales Arizona pourries, en suède camel, ayant appartenu au cofondateur d’Apple, Steve Jobs, ont été vendues aux enchères aux États-Unis pour 218 000 dollars. Tout au long des années 2000, la Birkenstock a fait partie de l’attirail de la frime. Le modèle Boston a conquis les lycées, compagnon rêvé de l’adolescent tantôt avachi, épuisé par ses hormones, et tantôt secoué par des montées d’adrénaline qui lui faisaient balancer le sabot au plafond, trahissant Birkenstock pour Nike le temps d’une partie de basket-ball. La Boston, c’est comme sortir dans la rue en pantoufles tout en se sachant chaussé.

En 2012, Birkenstock négocie un nouveau tournant : la marque, forte de son ADN artisanal, commence son grand flirt avec le luxe. La collaboration avec la marque de mode allemande Jil Sander va de soi. Elle donne naissance à une ligne minimaliste caractéristique de Jil Sander. Depuis lors, Birkenstock enchaîne avec notamment Valentino, Rick Owens, Proenza Schouler et d’autres. Ses créations s’ornent de bijoux, de chaînes et de fourrure à la suite d’un épisode Céline pour un modèle « Furkenstock ». La sandale s’offre un tapis rouge d’Oscars aux pieds de Frances McDormand et se fait immortaliser à ceux de Gwyneth Paltrow, Britney Spears ou Katy Perry. Et puis bien sûr, les voilà dans le film Barbie (on ne vous dira pas la couleur) glissés aux pieds de Margot Robbie fatiguée de ses talons.

Après être passée sous contrôle de fonds liés au géant du luxe LVMH, la marque Birkenstock vient de déposer son dossier d’entrée en Bourse à Wall Street. Quand la chaussure la plus laide du monde dégage un chiffre d’affaires de 1,22 milliard de dollars et un bénéfice net de 183 millions de dollars, c’est qu’elle a une beauté intérieure insoupçonnée.

Il suffisait d’y attacher une ou deux lanières. En 1877, le cordonnier allemand Johann Adam Birkenstock qui officiait à Langen-Bergheim en Hesse n’avait peut-être pas inventé la poudre, mais il fabriquait de bonnes semelles en liège dont on pouvait user à sa guise. Elles isolaient le pied du froid, ne se laissaient pas mouiller, et elles étaient surtout souples, silencieuses et...

commentaires (1)

La plus laide, peut-être, mais certainement la plus confortable! J'en porte depuis 30 ans à la maison, mais je ne ferais pas comme les Allemands. Eux la portent à l'extérieur, avec des chaussettes!

Renno Toufic / LYON UNICANCER

20 h 50, le 17 septembre 2023

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Commentaires (1)

  • La plus laide, peut-être, mais certainement la plus confortable! J'en porte depuis 30 ans à la maison, mais je ne ferais pas comme les Allemands. Eux la portent à l'extérieur, avec des chaussettes!

    Renno Toufic / LYON UNICANCER

    20 h 50, le 17 septembre 2023

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