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Culture - Exposition

Wael Shawky, la mythologie, les cantiques et le grand déluge

L'œuvre de l’artiste égyptien « I am hymns of the new temples » (Je suis cantiques des temples nouveaux), exposée chez Sfeir-Semler à Beyrouth, est imprégnée de récits gréco-romains, d’imagerie inspirée de Pompéi et du Nil, et de personnages qui ne sont pas tout à fait humains.

Wael Shawky, la mythologie, les cantiques et le grand déluge

Wael Shawky, « I am Hymns of the New Temples », une vue de l'exposition à la galerie Sfeir-Semler, espace de la Quarantaine. Avec l'aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler.

Le coin à gauche du hall d'accueil de la galerie Sfeir-Semler est envahi de sable, comme si de nombreuses années de grand vent l’avaient soufflé jusqu'ici. Au centre du monticule émerge une amphore blanche, une de ces cruches en céramique que les Grecs et les Romains utilisaient pour transporter des marchandises autour de la Méditerranée. Mais le contenu de cette amphore est particulier. Une gerbe de pieds humains dépasse de son ouverture, certains petons minuscules dans leurs chaussures stylisées, d'autres nus, les orteils écartés.

« Il y a là un lien avec la mythologie égyptienne, que les Romains se sont appropriés lorsqu'ils ont occupé l'Égypte », déclare Wael Shawky en désignant sa pièce d'un signe de la tête. Il explique que la cruche renvoie à une série d'amphores d'inspiration romaine et grecque qu'il a récemment exposée à Milan. « Pour moi, elle reflète également l'idée du désert égyptien, qui est liée à la mythologie que nous sommes en train de développer. »

Wael Shawky, « Amphore », 2022, sculpture en céramique, 60 x 60 x 80 cm. Avec l'aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler

L'installation est le prélude à « I am hymns of the new temples », la plus récente exposition de l'artiste égyptien à l'espace de la Qarantaine de Sfeir-Semler. Shawky maîtrise un large éventail de médias, des croquis au crayon et à l'encre, aux objets (installations et sculptures sur divers supports), en passant par la performance musicale et l'image en mouvement (courtes œuvres vidéo non fictionnelles et fictions historiques plus élaborées utilisant des marionnettes, tournées sur film 35 mm).

Cette exposition s'articule autour du dernier film de l'artiste, qui dure une heure et qui donne son nom à l'exposition. D'une manière ou d'une autre, toutes les autres pièces – installation dans le foyer, toiles, séries de bronzes et masques en céramique – reflètent et reprennent les motifs du film et de la pratique de Shawky en général.

L'artiste a résumé la manière dont il perçoit son travail dans une interview autour de son exposition « Cabaret Crusades : Secrets of Karbala », présentée dans cette même galerie, en 2015.

« Pour moi, l'art est une question de traduction et de transformation », a-t-il déclaré. « Nous transformons une forme en une autre. Je traduis ce type de création – l'histoire écrite, le texte – en une nouvelle forme. »

 « I am hymns of the new temples »  est une nouveauté pour Shawky, dans la mesure où le sujet du film aborde la mythologie de la Grèce et de la Rome antiques. Ses travaux antérieurs étaient ancrés dans le monde arabe, reprenant des thèmes de la littérature arabe, des récits du Coran et des croisades – le sujet de la trilogie de films  Cabaret Crusades  (2010-14).

 Hymns  est également différent parce que, contrairement aux fictions historiques de Shawky, il n'a pas été réalisé dans l'objectif d’être « exposé » dans une galerie d'art.

« Je pense que la différence entre (Hymns) et les autres films est qu'il faut du temps pour regarder celui-ci en raison de sa narration », explique Shawky . Avec Cabaret Crusades, par exemple, vous pouvez entrer à la moitié du film, regarder cinq ou dix minutes et partir. Ce n'est pas grave, car l'histoire n'a pas de début et de fin. Ici, l'histoire est très différente. »


Des mythes et des films

Hymns raconte le premier acte de l'histoire de l'humanité : le passage du vide à la création de plusieurs générations de dieux, en passant par les humains, jusqu'à la décision d'une divinité mécontente de noyer tout le monde dans un déluge cataclysmique.

Shawky a présenté le film au gouvernement italien en 2020 comme un projet pour le parc archéologique de Pompéi. Andrea Viliani a dirigé la production en collaboration avec Pompeii Commitment. Archaeological Matters – l'entité qui supervise la production d'art contemporain et de projets culturels pour le parc. La première a eu lieu sur le site archéologique de Pompéi au début de l'année.


Wael Shawky, « I am Hymns of the New Temples », une vue de l'exposition à la galerie Sfeir-Semler, espace de la Quarantaine. Avec l'aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler

Pompéi était une ville romaine avant que le Vésuve ne l'ensevelisse sous les cendres. Il n'est donc pas surprenant que les dieux, les déesses et les hommes du film de Shawky appartiennent à la mythologie gréco-romaine et que, dans les grandes lignes, les événements décrits soient familiers à tous ceux dont le programme scolaire ou les divertissements télévisés se sont penchés sur la Méditerranée orientale de l'âge du bronze et du fer.

L'histoire, comme le note Shawky, est bien plus universelle que la Grèce et Rome – les premières civilisations d'Asie du Sud et des Amériques, de l'Irak antique, de la Palestine et d'ailleurs ont raconté des histoires similaires de création, d'insolence humaine et d'extinction.

« C'est l'histoire de tout le monde, dit l'artiste, exactement la même histoire que l'on retrouve dans toutes les religions... » 

Shawky s'intéresse moins au début et à la fin – le vide et la noyade – qu'aux parties intermédiaires, lorsque le libertin Zeus a renversé son père Cronus pour devenir la divinité principale et que les humains sont apparus sur la scène. Certaines légendes suggèrent que l'espèce a été créée par Prométhée, la divinité surtout connue pour avoir donné aux humains le secret du feu, et donc de la technologie et de la civilisation. En représailles, Zeus punit Prométhée et offre à l'espèce un cadeau de son cru : Pandore, la première femme mortelle.


Wael Shawky, « Bearded man », 2022, céramique, argile et huile, 45 x 30 x 30 cm. Avec l'aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler

Selon ces mêmes récits, les dieux de l'Olympe ont explicitement conçu Pandore pour inciter l'espèce (auparavant exclusivement masculine) à commettre des méfaits. Pandore portait également avec elle un bocal (et non une boîte) contenant tous les maux qui ont affligé l'espèce depuis lors. 

« Il y a beaucoup d'autres histoires qui racontent comment la femme (Pandore ou toute autre appellation) a incarné la tentation », s'amuse l'artiste. « Zeus a créé les femmes pour punir l'humanité, mais Zeus lui-même est tombé amoureux d'une femme humaine, nommée Io. »

Au cœur de l'histoire de Io se trouve l'une des réflexions mythiques qui intéressent Wael Shawky.

Comme on pouvait s'y attendre, Zeus en est venu à désirer Io. Sa femme Héra, toujours vigilante face aux frasques de son mari, a cherché à punir la jeune femme. Pour la protéger, Zeus a transformé Io en vache. Sans se laisser tromper, Héra envoie alors un taon pour torturer la génisse, et la créature métamorphosée passe alors des années à errer à travers le monde en essayant d'échapper à ce parasite.

Io est finalement arrivée en Égypte, où elle a retrouvé sa forme humaine. Zeus a aussitôt fait l'amour avec elle et l'enfant né de cette union a été appelé Osiris. Dans la mythologie de l'Égypte pharaonique, Osiris était le dieu de la fertilité, de l'agriculture, de l'au-delà, des morts, de la résurrection, de la vie et de la végétation. Quelque part dans la chaîne de transmission, les humains en sont venus à associer le Io grec à la déesse égyptienne Isis.

« Il s'agit d'un mythe égyptien adapté à la consommation gréco-romaine », explique l'artiste. « Dans la mythologie égyptienne, l'amante d'Osiris est sa sœur Isis. Dans l'adaptation grecque, Io (Isis) est l'amante de Zeus, tandis qu'Osiris devient leur progéniture. En fait, cette version de l'histoire place la mythologie gréco-romaine au-dessus de la mythologie égyptienne.

« Cela n'a pas d'importance. Ce ne sont que des mythes », sourit-il. « En fin de compte, il s'agit de la création humaine, de la manière dont les êtres humains ont créé cette histoire. »


Formes hybrides

La narration du film marque également un nouveau tournant pour Shawky, mais dans sa conception formelle, l'œuvre présentée dans cette exposition est conforme à la pratique antérieure de l'artiste, qu'il s'agisse de l'utilisation de l'arabe classique pour raconter des histoires européennes ou proto-européennes (comme dans Cabaret Crusades), ou des airs que l'artiste compose pour les faire chanter (comme dans sa version arabe de La Chanson de Roland ). L'élément visuel le plus important est la figuration « transformationnelle » qui est apparue pour la première fois dans ses esquisses au crayon. 

Dans Secrets of Karbala, Shawky a exploré cette hybridité dans l'aspect extraterrestre de certaines des marionnettes en verre qu'il a conçues pour représenter les personnages historiques du film. Hymns s'inspire de l'hybridité que l'artiste trouve dans la mythologie elle-même.

Les personnages mortels et immortels sont joués par des interprètes humains qui peuvent ressembler à des Homo sapiens – si leurs masques stylisés sont conformes à ceux que portaient les acteurs de théâtre dans la Grèce et la Rome antiques – mais pas toujours.

« C'est comme une adaptation d'un certain épisode de la mythologie, peut-être, quand les êtres humains étaient incomplets », suggère-t-il. « C'est avant qu'ils ne deviennent des êtres humains... Ce que vous voyez n'est ni un être humain ni une marionnette. C'est quelque chose d'intermédiaire, qui essaie encore de devenir un être entier. »

Les formes hybrides et les paysages capturés dans les peintures à l'huile de l'exposition imitent les personnages et les lieux du film, mais ce sont aussi des interprétations colorées de thèmes abordés dans les dessins monochromes plus anciens de l'artiste.


Wael shawky, huile sur toile sans titre. Avec l'aimable autorisation de la galerie Sfeir-Semler

Dans l'une des toiles, un homme affalé et débonnaire, dont la tête en forme de pomme de terre est surmontée d'une colonne dorique, tend un pied non chaussé qui pourrait être celui d'un être humain si l'on fait abstraction de ses orteils en forme d'anémone. Ailleurs, un personnage à six jambes et deux bras semble pousser une voiture immobilisée dans un paysage. Contrairement au personnage lui-même, son véhicule a des yeux, des oreilles et une épaisse chevelure noire.

Il en va de même pour les sculptures de cette exposition. Comme les marionnettes que Wael Shawky a façonnées pour Cabaret Crusades, les traits du visage reproduits dans les bustes font écho à ceux des masques en céramique du film. Chacun d'entre eux semble porter quelque chose en équilibre sur sa tête, à la manière d'un chapeau : une grenouille, un couple d'oiseaux chanteurs, un petit sanglier.

Shawky se réjouit de la façon dont ses références mythiques résonnent avec les réalités humaines contemporaines, et pas seulement avec l'apocalypse de la montée du niveau des océans dans le monde.

« Les êtres humains soutiennent les dictateurs, l'injustice et les puissants plutôt que les pauvres, la bonté ou la justice... Mais tout ce qui se passe aujourd'hui aura des conséquences, même si cela prend 1 000 ans. ».

L’exposition « I am hymns of the new temples » de Wael Shawky est présentée à l’espace de la Quarantaine de Sfeir-Semler jusqu'au 29 décembre 2023. 

Le coin à gauche du hall d'accueil de la galerie Sfeir-Semler est envahi de sable, comme si de nombreuses années de grand vent l’avaient soufflé jusqu'ici. Au centre du monticule émerge une amphore blanche, une de ces cruches en céramique que les Grecs et les Romains utilisaient pour transporter des marchandises autour de la Méditerranée. Mais le contenu de cette amphore est particulier....

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