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Sport - Coupe du monde de basket 2006

Des bombes israéliennes à l’exploit contre les Bleus : la folle épopée des Cèdres

Avec deux victoires en poche, les basketteurs libanais peuvent repartir de la Coupe du monde de basket 2023 la tête haute, comme l’avaient fait en 2006 leurs glorieux prédécesseurs, vainqueurs de la France après avoir quitté, en bus, le Liban en guerre.

Des bombes israéliennes à l’exploit contre les Bleus : la folle épopée des Cèdres

Fadi el-Khatib (d.) dribblant face à Miroslav Raicevic lors du match du groupe A comptant pour le Mondial 2006 entre le Liban et la Serbie, le 21 août 2006, à Sendai, au Japon. Ken Shimizu/AFP

Vingt-neuf points. Au-delà de son côté flatteur, ce total inscrit par Waël Arakji contre la France, lors du troisième match de poule de la Coupe du monde 2023, s’apparente aussi à un clin d’œil fait à l’une des plus belles pages de l’histoire du basket libanais.

Deuxième génération de basketteurs à défendre les couleurs du pays du Cèdre sur la plus prestigieuse des scènes, l’équipe de Jad el-Hajj est irrémédiablement comparée à celle qui s’est hissée à trois reprises, en 2002, 2006 et 2010 , parmi le gotha du basket international. S’ils n’ont pas décroché la victoire, empochée sur le fil par les Bleus (85-79) mardi dernier à Djakarta, ces vingt-neuf points de Arakji rappellent, comme un symbole, ceux qu’avait empilé dix-sept ans plus tôt l’un de ses glorieux prédécesseurs, Fadi el-Khatib, contre cette même équipe de France lors du Mondial 2006.

Rien qu’en l’évoquant, cette édition au Japon doit normalement faire rejaillir un large éventail de souvenirs chez tout amateur de basket libanais en âge de l’avoir regardée à la télévision. Car le pays du Soleil-Levant, en particulier la ville de Sendai, fut le théâtre de ce qui reste jusqu’à aujourd’hui le plus grand exploit réalisé par une sélection libanaise de basket.

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« C’est sans aucun doute le match le plus important de nos vies », confirme Rony Fahed, meneur et membre émérite de la sélection du Cèdre pendant les années 2000, joint par L’OLJ, à propos de cette victoire (74-73) décrochée par le Liban le 23 août 2006 à la surprise générale. « Ce jour-là, nous avons écrit l’histoire et impressionné le monde du basket. Car personne ne s’attendait à ce qu’une équipe comme la nôtre, provenant d’un pays en guerre, soit capable de battre l’une des meilleures équipes du tournoi. Mais nous l’avons fait, et nous avons rendu fiers tous les Libanais à travers le monde », ajoute le meneur

Outre son aspect sportif, mais aussi historique étant donné la relation entre le Liban et la France, ce succès revêt une dimension toute particulière pour une raison simple : quelques semaines auparavant, Rony Fahd et ses coéquipiers ne savaient même pas s’ils seraient en capacité, ou non, de participer à cette Coupe du monde.

Quand la guerre rattrape le sport

« Au début, lorsque que nous avons entendu les nouvelles, nous pensions que cela ne durerait que quelques jours, relate Rony Fahed. Puis la situation a empiré : ils ont fermé l’aéroport, les ponts, les routes… et on a rapidement compris qu’il s’agissait bien d’une nouvelle guerre. »

En réponse à des tirs de roquette et à un commando envoyés par le Hezbollah sur le territoire israélien, l’armée de l’État hébreu lançait l’opération « Juste rétribution » le 12 juillet 2006, avant de franchir la frontière sud et de progresser jusqu’au sud de Beyrouth.

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Ce jour-là, la sélection libanaise se trouvait encore à Bikfaya, sur les hauteurs de la capitale, à quelques kilomètres au nord, où elle y avait entamé sa préparation pour le Mondial. Cette annonce d’une nouvelle invasion israélienne n’a pas mis bien longtemps à bouleverser la quiétude du petit groupe, réuni depuis cinq jours seulement.

« Notre premier réflexe a été de demander de pouvoir retourner dans nos familles. Nous avons mis le basket et la Coupe du monde de côté pendant quelques jours, car le plus important, c’était de retrouver nos proches », admet Rony Fahed.

Rony Fahed (d.) posant avec Fady el-Khatib, lors de la Coupe du monde 2006. Photo fournie par Rony Fahed

D’autant que le départ de la délégation libanaise vers le Japon était à ce moment-là plus que compromis. Après la fermeture de l’aéroport de Beyrouth et de l’axe routier avec Damas, sortir du territoire libanais était devenu une véritable gageure. Pour ajouter des nœuds au problème, les visas des joueurs et des membres du staff étaient irrécupérables, puisque ces précieux papiers de voyage étaient justement stockés dans un bureau de l’aéroport fraîchement bombardé par l’aviation israélienne.

Autant dire que Paul Coughter et ses hommes n’étaient pas près de monter à bord d’un Boeing :« Au bout de deux jours, nous avons réalisé que si nous ne sortions pas rapidement du pays, nous n’y arriverions jamais », se remémore le coach américain nommé à la tête de la sélection à l’occasion de ce tournoi mondial. « C’était facile à dire pour moi par rapport à mes joueurs, qui laissaient derrière eux des parents, des femmes et des enfants dans un pays en guerre. Mais les gars étaient déterminés à jouer cette Coupe du monde coûte que coûte. S’ils avaient dû y aller à la nage, je suis sûr qu’ils l’auraient fait. »

Le bus de la dernière chance

Après une réunion générale entre joueurs, entraîneurs et membres de la Fédération libanaise de basket, la décision est prise : le Liban ira au Japon. Grâce à quelques connexions politiques, une expédition en bus est mise sur pied pour transporter les douze joueurs et le staff technique. Tout le monde est là, à l’exception d’un préparateur physique et de Paul Khoury, un des joueurs cadres de l’équipe, bloqué aux États-Unis.

« C’était très difficile pour nous de partir, mais ne pas y aller aurait été une défaite de plus pour le peuple libanais, affirme Rony Fahed. Au contraire, jouer cette Coupe du monde était un grand signe de détermination. Cela montrait que quoi qu’il arrive, nous étions prêts à tout pour représenter notre pays et redonner un peu de moral aux Libanais qui souffraient à cause de cette guerre. »

Le bus, « vieux et cabossé », fait cap vers le nord et sillonne les montagnes à la recherche d’un passage vers la Syrie. « On a connu plus confortable comme trajet, plaisante Paul Coughter. Nous n'avions presque rien à manger, il a fallu qu’on s’arrête dans des stations-service pour se ravitailler. À certains endroits, des gens nous indiquaient la route qu’il fallait mieux suivre. Puis nous retournions dans le bus, en essayant de nous convaincre que tout allait bien se passer. »

Joe Vogel en défense lorsque le Liban avait battu la France 74-73 au Mondial 2006 de basket. Ken Shimzu/AFP

Une fois tirée d’affaire, la diligence traverse la Syrie en direction de Amman, qu’elle finit par rejoindre au bout de quinze heures de route. Là, le contingent se voit gratifier de nouveaux visas qu’il utilise sans attendre pour rejoindre la Turquie, où un camp d’entraînement est prévu. Un retour à une « normalité » relative pour des joueurs qui, dès la fin des entraînements, se ruent sur leurs téléphones pour connaître les dernières nouvelles, ou plutôt dans l’espoir de ne pas en recevoir de mauvaises.

« On recevait beaucoup de soutiens de partout, mais il y a eu des moments très durs pour l’équipe dans les vestiaires. Nous essayions de rassurer ceux qui pleuraient après avoir entendu que leurs villages dans le Sud avaient été bombardés », raconte Rony Fahed. « Je passais la plupart de mon temps avec Koussay Hatem (le coach assistant), et il appelait chez lui au moins cinq fois par jour pour s'assurer que tout le monde allait bien », abonde Paul Coughter.

Le match de leur vie

Malgré toute cette charge émotionnelle et la « tentation constante de revenir en arrière », d’après Rony Fahed, l’équipe poursuit vaille que vaille sa préparation. Un dernier crochet par les Philippines, puis tout ce beau monde pose enfin le pied au Japon, où les attend l’équipe du Venezuela en ouverture le 19 août.

Les observateurs ne le savent pas encore, mais après un tel périple, ces Libanais ne sont pas venus faire de la figuration. Les Sud-Américains sont les premiers à l’apprendre à leurs dépens, défaits par les Cèdres sur le score de 82-72, soit la première victoire libanaise sur la scène mondiale à l’époque.

« Ce premier match nous a donné un gros coup de boost pour la suite de la compétition. À partir de là, nous étions convaincus d’avoir pris la bonne décision. Nous savions à quel point il était important que nous soyons ici pour représenter notre pays. »

Cependant, dans le sillage de cette entame réussie, s’ensuivent deux lourds revers face à l’Argentine (72-70) puis la Serbie (57-104), laissant présager une nouvelle déconvenue contre la France au sein de cette poule au niveau plutôt relevé.

Le joueur libanais Brian Bechara-Feghali s’élève au-dessus de son adversaire Boris Diaw lors d’une rencontre entre le Liban et la France, le 23 août 2006, aux championnats du monde de basket à Sendai, au Japon. Ken Shimizu/AFP

Sauf que les Libanais ne l'entendent pas de cette oreille. Profitant de la maladresse tricolore au tir, surtout à trois points, les Cèdres prennent rapidement les devants et font la course en tête tout au long de la rencontre. « Toute l’équipe était en feu ce jour-là », se remémore Rony Fahed, auteur de 13 points dont un panier à trois points venu d’ailleurs à 1 minute 30 du terme, alors que les Bleus étaient revenus à égalité (68-68).

Grippé, Paul Coughter a assisté à la rencontre depuis sa chambre d’hôtel, laissant le soin à son bras droit, Koussay Hatem, de les galvaniser sur le banc. Mais nul besoin de pousser des joueurs conscients d’être en passe de réaliser un exploit historique et de jouer « le match de leur vie ». En particulier Fadi el-Khatib, le capitaine, meilleur marqueur de la rencontre avec ses 29 unités.

Après deux paniers français, Joe Vogel, le pivot américain naturalisé libanais, redonne l’avantage aux siens grâce à un panier primé d’un lancer-franc (74-72). Plus que 24 secondes à jouer. Boris Diaw, le capitaine français, se saisit du ballon et pénètre dans la raquette libanaise. Il obtient une faute, et se retrouve à nouveau sur la ligne des lancers francs pour égaliser, et peut-être emmener la partie en prolongations. Plus que 6 secondes.

Diaw réussit sa première tentative, mais manque sa deuxième (74-73). Le ballon rebondit sur le cercle avant de finir, après une lutte acharnée, au niveau d’un autre joueur français, Laurent Foirest, qui a le panier de la gagne entre ses mains… Le reste appartient à l’histoire : « Lorsque j’ai vu le ballon rebondir sur le cercle et tomber par terre, je n’ai pas tout de suite compris que nous avions gagné, détaille Rony Fahed. J’ai croisé le regard de Fadi (el-Khatib), nous sommes restés figés pendant plusieurs secondes. Puis, nous nous sommes sautés dans les bras et avons couru dans tous les sens. C’était comme dans un film. »


Rony Fahed (en bas à droite) avec le n°6 lors de sa première slection avec l'équipe du nationale du Liban. Photo fournie par Rony Fahed

Vingt-neuf points. Au-delà de son côté flatteur, ce total inscrit par Waël Arakji contre la France, lors du troisième match de poule de la Coupe du monde 2023, s’apparente aussi à un clin d’œil fait à l’une des plus belles pages de l’histoire du basket libanais.Deuxième génération de basketteurs à défendre les couleurs du pays du Cèdre sur la plus prestigieuse des...

commentaires (4)

Des nouvelles encourageantes , de quoi être fiers de nos joueurs et de leurs exploits. Gardez le cap et faites vous plaisirs pour notre plus grand bonheur. BRAVO ?.

Sissi zayyat

16 h 05, le 10 septembre 2023

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Commentaires (4)

  • Des nouvelles encourageantes , de quoi être fiers de nos joueurs et de leurs exploits. Gardez le cap et faites vous plaisirs pour notre plus grand bonheur. BRAVO ?.

    Sissi zayyat

    16 h 05, le 10 septembre 2023

  • Bravo au Liban.

    Mohamed Melhem

    19 h 00, le 09 septembre 2023

  • Vive le Liban!

    Kinge Samy

    10 h 48, le 09 septembre 2023

  • Superbe histoire, surtout pour ceux comme moi, qui ne la connaissaient pas. Les larmes aux yeux. Quelle pêche.

    Marionet

    01 h 02, le 09 septembre 2023

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