Le chef de l'église maronite, Béchara Raï, a implicitement critiqué dimanche l'appel au dialogue lancé par l'émissaire spécial de la France au Liban, Jean-Yves Le Drian, pour tenter de débloquer la présidentielle, dans l'impasse depuis fin octobre 2022.
Emboîtant le pas à l'opposition, le cardinal a ainsi mentionné l'envoi, la semaine dernière, d'une lettre par M. Le Drian aux députés pour leur demander de dresser succinctement le portrait et les priorités du prochain chef de l'Etat.
"Vous entendez ces jours parler de questions et de réponses, de rencontre et de dialogue", a lancé le patriarche lors de son homélie dominicale, dans une référence au questionnaire envoyé par M. Le Drian. "Le dialogue véritable et effectif est le vote dans le cadre d'une séance législative constitutionnelle et démocratique", a-t-il ajouté, rappelant que "les candidats sont connus".
Douze séances électorales visant à élire un successeur à l'ex-président Michel Aoun se sont soldées par un échec, faute de consensus entre les groupes parlementaires. Le Hezbollah et le mouvement chiite Amal, dirigé par le président de la Chambre, Nabih Berry, soutiennent Sleiman Frangié, et le camp de l'opposition appuie l'ancien ministre des Finances et actuel responsable au Fonds monétaire international (FMI) Jihad Azour. L'allié chrétien du Hezbollah, le Courant Patriotique Libre (CPL, aouniste), refuse de soutenir M. Frangié jusque-là. Malgré les tensions entre les deux partis, le CPL et le Hezbollah ont entamé un dialogue en juillet dernier pour trouver une solution à la vacance présidentielle.
Dépêché à Beyrouth à deux reprises par le président français Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian est attendu de nouveau au Liban début septembre.
Critiques contre le tandem chiite
Mgr Raï n'a pas manqué de critiquer le Hezbollah et ses alliés, dont les députés se retiraient des séances électorales à l'issue de chaque premier tour de vote, afin de provoquer un défaut de quorum. "Nous n'avons pas compris pourquoi la séance électorale de juin a été amputée à l'issue du premier tour, dans une enfreinte flagrante à l'article 49 de la Constitution", a-t-il dit. Cet article dispose que "le président de la République est élu, au premier tour, au scrutin secret à la majorité des deux tiers (86) de la Chambre. Aux tours suivants, la majorité absolue (65) suffit". Or, le président du Parlement manœuvre en considérant qu’à chaque nouvelle séance électorale, on revient au 1er tour.
"Que cherchent les maîtres du blocage de la présidentielle depuis onze mois ? Sont-ils conscients qu'ils transforment le Parlement en un organe électoral uniquement, et accusent ceux qui boycottent les séances de ne pas vouloir élire de président, et ne respectent pas l'accord de Taëf ?", a-t-il demandé. "Sont-ils conscients que le gouvernement chargé d'expédier les affaires courantes ne peut procéder à des nominations ni prendre de décisions exécutives qui nécessitent la participation et la signature d'un chef de l'Etat ? Ils critiquent ceux qui boycottent les réunions pour préserver la Constitution et inventent la question de "nécessité" pour légiférer et procéder à des nominations, alors qu'il y a une nécessité unique et essentielle : l'élection d'un président de la République".
Les propos du patriarche interviennent alors que le Premier ministre sortant Nagib Mikati est accusé par ses détracteurs, notamment le CPL, dont les ministres boycottent les réunions gouvernementales, de vouloir s'accaparer les prérogatives présidentielles.
Le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Elias Audi, a aussi fustigé la crise politique au Liban, se demandant "comment les choses pourraient s'améliorer alors que l'Etat est sans président, en présence d'un cabinet démissionnaire et d'un Parlement éparpillé".
Dialogue CPL-Hezbollah
S'exprimant également au sujet de la présidentielle, le député du Hezbollah Hassan Fadlallah a rappelé dimanche que son parti mène "un dialogue avec le CPL". "Des rencontres ont été organisées au cours des derniers jours. Nous discutons d'une feuille avancée par le CPL (...) et échangeons des points de vue pour parvenir à des points communs et nous entendre sur l'élection d'un président. Nous voulons que ce dialogue aboutisse et œuvrons à cette fin", a-t-il poursuivi, faisant état d'une "flexibilité mutuelle qui pourrait établir un terrain d'entente pour assurer le quorum constitutionnel et légal afin d'élire un président autour duquel il y a une entente".
On est loin du temps ou un patriarche au Liban faisait la pluie et le beau temps.
21 h 06, le 21 août 2023