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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour ne pas oublier

J’ai honte. Comme j’ai honte. Vous aussi ? J’ai tellement honte, honte d’avoir permis à ma mémoire pour un moment d’oublier cette date. J’ai honte pour tous ceux qui, comme moi, ont oublié ce que le 4-Août représente. Et représentera toujours. Ce jour est une tache rouge sang qui, lorsque je ferme les yeux pour y penser, retrouve son odeur âcre de détresse et de désespoir.

Mais ça semble si loin, comme si ce souvenir appartenait à une autre vie, à une autre réalité. Comme si c’était un autre peuple qui s’était estimé digne d’une révolte, comme si c’était un autre peuple qui, après avoir été victime de la plus grande explosion non nucléaire de l’histoire, avait endossé le rôle de l’État pour retrouver les blessés sous les décombres. Comme si c’était un autre peuple qui avait saigné le parterre des rues remplies de verre, et pleuré les victimes, les blessés, les survivants, les morts et les destitués.

Comme si c’était une autre Beyrouth qui avait été éventrée en plein centre, dont les immeubles se sont écroulés comme un château de cartes, aux rues vides et vidées qui n’ont jamais su retrouver leurs couleurs.

Comme si ce cauchemar appartenait à une autre mémoire collective, une mémoire lointaine qui s’efface derrière les bruits assourdissants du tous les jours, du Liban en août, de l’été, des vacances et des vacanciers. Comme si ce faux moment de répit pouvait effacer la terrible réalité qui sera à jamais associée à cette date.

Comme si c’était une autre Beyrouth, qui appartenait à une autre vie, à d’autres vivants, et pourtant… Comment oublier l’immonde couleur écarlate du ciel parmi les nuages gris de fumée et la puanteur du nitrate dans l’air ? Comment oublier les premiers instants de silence infernal qui ont précédé les centaines d’heures de cris agonisant et le paysage apocalyptique qui s’en est suivi ? Comment oublier la douleur de l’instant où nous avons compris ce qui s’était passé ? Puis la douleur encore plus terrible du moment où nous avons compris que, dans ce pays gouverné par des ignobles choisis par un peuple d’ignorants, justice ne sera probablement pas faite.

J’ai honte face aux parents des victimes, face aux survivants des décombres, face aux centaines de déplacés dont les toits se sont effondrés, de le dire, mais je n’ai plus foi en ce pays et en sa justice. Aujourd’hui, j’ai honte, et j’ai mal, et j’ai honte de nouveau.

Je pensais que le ciel écoutait nos douleurs et que nos prières sauraient être entendues. Que le sang des victimes, leurs morts atroces et la douleur de ceux qui survivent ne resteraient pas des horreurs sans réponse. Mais si le ciel écoute réellement nos douleurs, alors où est-elle, cette justice qui nous revient de droit ? Si le ciel écoutait réellement nos douleurs, nous ne serions pas aujourd’hui en train d’assister au deuil d’un pays qui n’est pas encore mort.

D’habitude, j’écris en sachant où je veux arriver à la fin, une sorte de morale, une petite flamme d’espoir. Mais là, j’ai simplement honte. J’ai aussi peut-être un peu perdu foi en les mots, ils ne semblent pas avoir la force que je leur attribue d’ordinaire. Aujourd’hui, je te pleure encore, Beyrouth, j’ai terriblement honte et surtout j’écris pour ne pas oublier.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

J’ai honte. Comme j’ai honte. Vous aussi ? J’ai tellement honte, honte d’avoir permis à ma mémoire pour un moment d’oublier cette date. J’ai honte pour tous ceux qui, comme moi, ont oublié ce que le 4-Août représente. Et représentera toujours. Ce jour est une tache rouge sang qui, lorsque je ferme les yeux pour y penser, retrouve son odeur âcre de détresse et de désespoir....

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