La rumeur court depuis quelques semaines : le marché immobilier à Beyrouth serait dynamique et les prix seraient en hausse. Sans doute véhiculée par quelques propriétaires intéressés, elle est malheureusement loin d’être exacte. En effet, l’évolution du marché ne se définit pas par rapport au nombre de personnes attablées aux terrasses des cafés ni par le nombre de visiteurs arrivant à l’aéroport, ni au décompte de Ferrari et de Maserati devant quelques restaurants à Mina el-Hosn, dans le centre-ville huppé de Beyrouth.
L’analyse de marché est beaucoup plus complexe que cela. En réalité, actuellement, la stabilité est de mise. Ce n’est ni alarmant ni rassurant, mais plutôt normal dans un contexte libanais politico-économique flou. En définitive, les ventes d’appartement stagnent. S’il y a bien quelques transactions ici et là, le volume est loin du raz-de-marée mentionné par la rumeur, qui laisse croire qu’à peine arrivés au pays les expatriés se mettent à acheter.
Même les appartements de luxe s’écoulent lentement. Pourtant, la demande existe. Par exemple, voilà six mois qu’un bel appartement de 400 m² à Furn el-Hayek est sur le marché à plus de 5.000 dollars le mètre carré dans l’une des tours les plus élégantes du quartier. Des dizaines de visites ont été organisées. Résultat : le logement n’a toujours pas été vendu.
Les acheteurs capables de payer en dollars ne sont pas dupes et estiment que les prix doivent être cohérents par rapport à la situation économique locale et par rapport au risque d’investir au Liban. Il est erroné de croire que les expatriés achètent à tout va et les yeux fermés.
Baisse des prix d’environ 10 % en un an
Cette réalité a ainsi contraint certains propriétaires pressés de vendre à revoir leur stratégie et à réadapter leur prix. Dernièrement, plusieurs baisses, d’environ 10 % par rapport à 2022, ont été constatées. Par exemple, le prix d’un bel appartement à Ras Beyrouth de 200 m² avec une terrasse d’environ 100 m² vient de passer de 850.000 à 700.000 dollars. Idem pour ce duplex de 200 m² à Achrafieh qui vient de perdre 5 % en quelques jours.
Parallèlement, le marché foncier à Beyrouth est quasiment à l’arrêt. Les rares transactions confirment pourtant que les prix sont à la baisse. Malgré le manque de parcelles disponibles, les investisseurs sont prudents, surtout que les taux de placement en Europe sont élevés. Le résultat est sans surprise : le secteur est pénalisé par l’attitude des promoteurs qui préfèrent construire sur des parcelles acquises il y a plusieurs années, hésitant à acheter de nouveaux terrains face à la volatilité du marché et aux prix injustifiés des propriétaires fonciers.
De son côté, la société Solidere n’arrive plus à vendre comme auparavant. Devant cette impasse, quelques propriétaires réajustent leurs tarifs. Une parcelle à Ras Beyrouth vient de passer de 12 à 10,8 millions de dollars, soit une baisse de 10 %, en l’espace de six mois. À Achrafieh, le prix d’un terrain de 500 m² est désormais annoncé à 3,3 millions de dollars. Il était de 4,6 millions de dollars en septembre 2022. Malgré ces baisses, ces deux propriétés sont toujours disponibles.
Ou des prix d’avant-crise
Néanmoins, la rumeur a requinqué quelques vendeurs qui, portés par un regain d’optimisme, en ont profité pour augmenter leur prix. Il n’est plus rare de voir des biens affichés aux mêmes tarifs qu’en 2019, soit juste au début de la crise économique d’octobre 2019 et du basculement des paiements en dollars libanais (bloqués en banque). Ce phénomène traduit surtout un bazar où beaucoup affichent leur tarif à leur guise et sans fondement. Ainsi, la barre des 7.000 dollars le mètre carré est souvent mentionnée pour des appartements dans le centre-ville. Le haut de gamme à Sursock et Furn el-Hayek dépasse parfois les 5.000 dollars le mètre carré.
La dynamique des restaurants dans certaines rues de Beyrouth et la multiplication des galeries d’art à Achrafieh ont contribué à une hausse des loyers commerciaux. Les propriétaires sont de plus en plus gourmands, mais cette stratégie peut les marginaliser. Le loyer affiché d’une boutique de 200 m² à Hamra, vide depuis 2019, est passé de 3.000 dollars par mois en 2022 à 3.500 dollars par mois en 2023.
Les propriétaires doivent réaliser que les commerçants ont besoin de limiter leurs coûts en raison de la crise du pouvoir d’achat des Libanais et cherchent des emplacements bon marché. Augmenter son loyer est une stratégie risquée, surtout que Beyrouth compte encore des centaines d’emplacements vacants comme au centre-ville, à Hamra et à Monnot. Une hausse générale des loyers n’est pas justifiée et devrait rester cantonnée à une poignée de rues où la demande est supérieure à l’offre.
Les loyers des bureaux à Beyrouth ont également connu un coup de chaud. Une relance de la demande, ces derniers mois, a poussé certains à hausser leurs tarifs. Pourtant, les récentes locations prouvent que pour attirer un locataire, le propriétaire doit accepter les loyers demandés en 2022.
L'immobilier à Beyrouth c'est un marché de mensonges et au mieux de rumeurs. Les mensonges vont des prix réellement pratiqués pour vous extorquer un prix comparable, jusqu'à la logique même des hausses de prix au motif "qu'il n'y a plus de terrains" alors que toute vieille bâtisse est un terrain en puissance dès lors qu'un promoteur s'y intéresse. Caveat emptor.
14 h 46, le 31 juillet 2023