Un narcotrafiquant italien, associé à un Libanais de Côte d’Ivoire, arrêté à Jounieh

Que faisait un membre de la ‘Ndrangheta, la mafia la plus puissante d’Italie, au Liban ? Un homme recherché par Interpol a été arrêté il y a plusieurs semaines en plein Jounieh, alors qu’il dînait dans une sandwicherie bien connue. Recherché par quatre procureurs italiens, son arrestation au Liban a été rendue publique le 7 juillet, à travers la presse italienne.

Bartolo Bruzzaniti, 46 ans, est le dernier recherché parmi les 76 membres de cette organisation criminelle interpellés dans le cadre du projet « I-CAN » lancé en 2020 (Coopération Interpol contre la ‘Ndrangheta, la seule organisation mafieuse italienne présente sur tous les continents).

Le suspect, qui résidait en Côte d’Ivoire, aurait quitté ce pays d’Afrique de l’Ouest en mars 2022. On ignore s’il se trouvait au Liban depuis, mais c’est durant son séjour au pays du Cèdre qu’il aurait appris qu’un mandat d’arrêt international avait été lancé par l’Italie à son encontre en octobre 2022. « Nous suivions sa trace depuis l’Afrique et nous l’avons localisé au Liban où nous avons pu procéder à son arrestation. Nous sommes en attente de son extradition», affirme à L’Orient-Le Jour le procureur général Giovanni Bombardieri, à la tête de la direction antimafia de Reggio de Calabre. Des soldats du commandement provincial de la garde financière de la région italienne précitée ont procédé à l’arrestation, en coopération avec la Sûreté générale libanaise, que le procureur Bombardieri « remercie ».

Une source de sécurité libanaise sous couvert d’anonymat a confirmé ces informations, signalant que Bartolo Bruzzaniti est toujours détenu au Liban et que les interrogatoires se poursuivent.

L’homme est considéré comme le principal intermédiaire entre les narcos colombiens et les importateurs calabrais, puisqu’il aurait été le responsable de la planification et de l’exécution d’un vaste trafic de cocaïne, avec des importations périodiques de plus de deux tonnes de stupéfiants. Il était en cavale depuis qu’il avait échappé à l’opération italienne « Troix croix », qui avait conduit l’an dernier à 36 arrestations et à la saisie de quatre tonnes de cocaïne, estimées à 800 millions d’euros. Parmi les personnes arrêtées et proches de Bruzzaniti, on compte tout d’abord Raffaele Imperiale, une figure-clé de la Camorra napolitaine, le supercartel européen impliqué dans des crimes de trafic de drogue et d’armes à travers les frontières internationales, qui avait été intercepté à Dubaï le 4 août 2021. Un autre partenaire, Bruno Carbone, broker privilégié de la Camorra, avait, lui, été arrêté le 15 novembre 2022, également à Dubaï, par les carabiniers de la cellule d’enquête de Naples. L’annonce de son arrestation aux Émirats arabes unis avait été contestée par le gouvernement syrien antirégime soutenu par le groupe jihadiste Hay’at Tahrir al-Cham, à Idleb, qui affirme que ce sont en réalité ses forces de sécurité qui l’ont appréhendé dans le Nord-Ouest syrien.

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Bartolo Bruzzaniti, un originaire de Locri (Calabre), plutôt discret, était connu des services de police pour des petits larcins, mais aussi pour son implication dans une fusillade en 1991, alors qu’il était âgé de 15 ans. Au début des années 2000, il est condamné à 10 ans de prison pour association de malfaiteurs visant au trafic de drogue. À sa sortie, Bruzzaniti se serait offert une virginité en travaillant pour des entreprises en Côte d’Ivoire, notamment comme gérant au sein de la Green Oil Energy Africa, basée à Abidjan, et appartenant à son frère Antonio, récemment arrêté aussi en Italie dans le cadre de l’opération d’Interpol.

Depuis 2016, Bartolo Bruzzaniti s’était reconverti dans la restauration et codirigeait l’enseigne Pasta e Pizza à Abidjan. Est-ce ce business qui aurait servi de couverture à des trafics illicites ? En 2019, la justice italienne se penche sur son patrimoine et ordonne la saisie de ses actifs en Italie d’une valeur d’environ quatre millions d’euros (appartements, voitures, bar…).

Depuis son installation en Côte d’Ivoire, Bruzzaniti était considéré par les autorités italiennes comme l’un des patrons de la filiale africaine de la ‘Ndrangheta. C’est dans ce pays qu’il se serait lié à des hommes d’affaires libanais. « C’est grâce à sa collaboration avec des Libanais de Côte d’Ivoire qu’il se trouvait au Liban et qu’il a pu s’y cacher pendant plusieurs mois », affirme la source de sécurité libanaise précitée, sans plus de précisions.

La presse ivoirienne et africaine relate depuis un an les liens entre Bartolo Bruzzaniti et un jeune homme d’affaires libano-ivoirien, Hussein Taan, qui n’est autre que son principal associé dans la chaîne de restaurants Pasta e Pizza, comme le mentionne un acte notarié portant sur le rachat de parts par l’Italien de la société Pasta et Pizza en juin 2016. Né en 1985, cet originaire de Tyr est notamment à la tête d’une chaîne de quatre boulangeries et pâtisseries réputées à Abidjan, appelées « Des gâteaux et du pain ». Dans une interview en avril 2021 dans le podcast « Conversations privés », le chef d’entreprise raconte qu’il fait partie de la quatrième génération de sa famille, des commerçants et entrepreneurs libanais arrivés dans les années 1950 en Afrique, et gravitant entre le Nigeria, le Congo et la Côte d’Ivoire. Il précise même avoir « remporté un championnat d’Afrique de boulangerie ».

Visiblement, les deux associés n’auraient pas eu qu’un penchant pour la farine blanche utilisée pour leurs pizzas ou leur pain. Selon Jeune Afrique, Bartolo Bruzzaniti figurait sur la liste des suspects dans le dossier dit « Spaghetti connection », une opération internationale qui a permis de démanteler en 2019 un réseau impliquant la mafia italienne en Côte d’Ivoire. À l’époque, il passe entre les mailles du filet. Mais en juin 2022, Hussein Taan figure parmi une vingtaine de personnes arrêtées par les autorités ivoiriennes, suite au lancement en avril d’une opération locale intitulée « Mains propres », après la capture de 2,5 tonnes de cocaïne d’une valeur de 38 millions d’euros à Abidjan et San-Pedro (Sud-Ouest). Les enquêteurs ivoiriens reprocheraient à Taan son partenariat avec Bruzzaniti et mettraient en doute certains investissements dont les revenus ne seraient pas justifiés, puisque son entreprise n’aurait pas encore atteint un seuil de rentabilité. Selon Jeune Afrique, Hussein Taan était toujours incarcéré à Abidjan en juin dernier, mais il « pourrait bénéficier d’une liberté provisoire (...) », après le paiement d’une « caution », et être « astreint à demeurer en Côte d’Ivoire ». L’OLJ n’a pas été en mesure de joindre l’avocat de Hussein Taan. Dans un article datant du 31 juillet 2023, publié en ligne quelques jours après notre publication, le média précité affirme qu'il est toujours en détention « malgré les demandes répétées de ses avocats ». Bartolo Bruzzaniti, quant à lui, pourrait être extradé du Liban vers l’Italie dans les jours ou semaines à venir pour y être jugé.