C’est quasiment devenu une mode. Depuis plus d’un mois, suite à un jugement invalidant une précédente interdiction en février 2023, des groupes de Suédois demandent à manifester en inscrivant à leur programme : « brûler un exemplaire du Coran ». Les autorités du pays d’Alfred Nobel, coincées entre la protection de la liberté d’expression et celle de la liberté de culte, ont choisi de favoriser la première au détriment des relations diplomatiques et commerciales avec le monde musulman. Comme toute nation de ce monde, la Suède a ses propres démons. Ces gesticulations à la croisée de l’offense à autrui et de la ridiculisation de soi s’enracinent dans un passé ultrareligieux. Jusqu’en 1940, seuls les Suédois luthériens avaient accès à la fonction publique, et il a fallu attendre 1951 pour que ceux qui le souhaitaient soient autorisés à quitter l’Église luthérienne. Le luthérianisme n’a cessé d’être une religion d’État qu’en l’an 2000. À cette lumière, on peut aisément comprendre que ce pays d’immigration se soit mis à craindre l’émergence en son sein d’un islam qui remettrait en question les acquis d’un long cheminement vers l’affranchissement religieux. Ce même cheminement aurait dû pourtant pousser à accepter la coexistence avec ce culte pas plus archaïque qu’un autre, dont l’impact, selon l’enseignement et l’interprétation qui en sont faits, produit sur ses ouailles le meilleur comme le pire. Et l’on ne peut s’empêcher, à l’aune des guerres de religions qui ont ensanglanté l’histoire, de voir en ces autodafés, aussi spectaculaires que forts d’autorisations officielles, soit une vertigineuse régression des libertés, soit un dérisoire rituel de conjuration contre la peur – et donc la haine – de la différence.
Certes, l’intégrisme islamique, ces dernières années, a donné de l’islam une image rigide, perverse, criminelle et grotesque. Le problème n’est pas le Livre, ce sont les hommes d’un seul livre de part et d’autre de la ligne de rejet. La montée des extrêmes, de l’extrême droite en particulier, ne présage rien de bon pour le futur de ce monde. L’autoritarisme et le populisme se manifestent bruyamment, un peu partout, notamment par un haro contre les minorités sexuelles. Russie, Pologne, Roumanie, Chine, Kenya, Égypte, Maghreb, la chasse aux sorcières, lancée depuis longtemps contre les homosexuels, fait rage en ce moment même. Les pouvoirs en perte d’autorité se faufilent dans la sphère privée pour mieux contrôler les populations. Ils sèment la terreur et caressent l’homophobie primaire dans le sens du poil. Au Liban, le chef du Hezbollah, dont le mouvement est essentiellement dédié à la résistance contre Israël et la diabolisation des États-Unis, a récemment réussi le parfait amalgame en accusant l’Amérique de répandre le « phénomène dangereux et démoniaque de la déviance pour modifier notre culture ». Vaste comme le monde, libératrice comme l’horizon, la culture est le nouvel otage d’une époque déboussolée.
Il n'y a pas de loi qui autorise l'indécence, l'injure et la diffamation et qui permet de bruler des livres. Le Gouvernement suédois s'est trompé en laissant faire. Il y avait des raisons sérieuses pour empêcher cet acte. Certains libanais ne devraient pas se montrer compréhensifs envers le bruleur juste pour afficher indirectement leur ras-le-bol d'hégémon.
13 h 46, le 02 août 2023