Pour barrer la voie de Baabda à ses adversaires, Gebran Bassil est prêt à tout. S’il n’a pas hésité à converger avec son rival historique, Samir Geagea, et le reste des opposants pour faire face à un de ses rivaux, Sleiman Frangié, le chef du Courant patriotique libre vient de franchir un nouveau cap : il a usé du dossier des nominations au sein du conseil militaire (organe décisionnel de l’armée) pour décocher ses flèches contre le chef de l’armée Joseph Aoun, allant jusqu'à l'accuser de concocter « un coup d'État militaire ». Une attaque qui cacherait une crainte de plus en plus grandissante de voir le patron de la troupe s'imposer comme la troisième voie vers le palais de Baabda.
« Toute tentative de nommer (les nouveaux membres du conseil militaire) de manière contraire à la Constitution, et sans passer par le ministre de la Défense (Maurice Slim, proche du courant aouniste), sera considérée comme un véritable coup d’État militaire face auquel nous ne resterons pas les bras croisés », a lancé Gebran Bassil lors d’une conférence de presse, mardi, à l’issue de la réunion hebdomadaire du groupe parlementaire du Liban fort, dont le CPL est la principale composante. Ces propos interviennent alors que le spectre du vide total plane sérieusement sur l'institution militaire, après le départ à la retraite du général Joseph Aoun en janvier 2024. D'autant que le chef d’état-major, censé prendre la relève, n’a toujours pas été nommé. Il y a quelques jours, le patron de l'armée avait été on ne peut plus catégorique, en assurant que seul le chef d’état-major devrait lui succéder en l'absence d'un nouveau commandant en chef. C'est d'ailleurs dans ce cadre que s'inscrivent ses réunions récentes avec le président du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre sortant, Nagib Mikati.
Mais le leader du courant aouniste ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, il n'est pas question de procéder à des nominations en l’absence d’un chef de l’État. « Si d’ici à six mois, un nouveau président n’est pas élu, l’officier le plus haut gradé devrait prendre la relève, comme ce fut le cas au sein de la Sûreté générale », a-t-il dit, en référence à la nomination d'Élias Baïssari, directeur de la Sûreté générale par intérim à la fin du mandat de Abbas Ibrahim en mars dernier. Poursuivant sa diatribe, Gebran Bassil a lancé : « Celui qui prétend être soucieux (de la pérennité) de l’armée ferait mieux de mettre fin aux contrats de gré à gré et de respecter les lois régissant son action. » Des accusations similaires de corruption lancées contre le général Aoun par le chef du CPL avaient poussé des membres du parti, originaires de Aïchiyé (Liban-Sud), village natal du chef de l'armée, à en claquer la porte en janvier dernier.
C’est également en usant des nominations que le leader du CPL a renouvelé ses attaques contre Nagib Mikati et Nabih Berry. Gebran Bassil a dénoncé le fait qu’un « gouvernement illégitime ose penser à désigner un nouveau gouverneur de la Banque du Liban en l’absence d’un président de la République ». Des propos qui interviennent à une vingtaine de jours de l’expiration du mandat de Riad Salamé à la tête de la banque centrale libanaise, le 31 juillet. « Il y a des limites aux prérogatives du gouvernement et elles sont définies par la Constitution », a rappelé M. Bassil dans une référence à l’article 62 de la Constitution qui cerne les compétences du cabinet sortant (depuis les législatives de mai 2022) à l’expédition des affaires courantes dans le sens le plus strict du terme. Théoriquement donc, le cabinet de M. Mikati ne peut pas procéder à des nominations. Mais à un moment donné, Nabih Berry a donné son feu vert à cette option, en arguant du fait que la nécessité fait loi, une démarche que son allié de longue date, le Hezbollah, n'a cependant pas avalisé. Cette option s’est également heurtée au niet des partis chrétiens et de Bkerké, contraignant le duo Berry-Mikati à faire marche arrière. « Ils ont essayé de proroger le mandat de Salamé. Et cela est un crime commis à l’encontre de la justice internationale (le patron de la banque centrale étant poursuivi au Liban et dans plusieurs pays, NDLR), a lancé M. Bassil. Quant à la nomination, elle signifierait qu’on enterre la présidence de la République. » Le chef du CPL s'est, dans ce cadre, dit favorable à ce que le premier vice-gouverneur Wassim Mansouri (chiite, proche de Nabih Berry) succède à Riad Salamé. « Cette solution est légale, mais implique des responsabilités que certaines figures ne veulent pas assumer », a-t-il souligné, dans une critique au président de la Chambre, qui « veut éviter que l’on dise que les chiites ont pris la tête de la BDL et échoué à résoudre la crise ». À ses yeux, « il y a une autre solution pratique : nommer un tuteur légal vu que le dossier de la BDL est aujourd’hui devant la justice ».
Appel implicite au retrait de Frangié
Sur un autre registre, et lors de cette première prise de parole depuis la séance électorale du 14 juin dernier, Gebran Bassil a évoqué la crise présidentielle, renouvelant ses attaques contre le chef des Marada, Sleiman Frangié. « La séance du 14 juin a prouvé que le candidat du tandem chiite (Amal-Hezbollah) n’a pas frôlé le score qui lui permet de rester dans la course », a-t-il dit, en référence aux 51 voix récoltées par M. Frangié lors de son premier duel face au candidat soutenu par le CPL et l’opposition, Jihad Azour, ex-ministre des Finances qui a pu convaincre 59 députés. S'il a reconnu que le score de M. Azour ne lui permet pas non plus de remporter la bataille, il s’est toutefois empressé de rassurer l’opposition. « Que personne ne parie sur un changement de notre position à travers le dialogue parce qu’elle est axée sur des constantes liées au partenariat (…) surtout quand les choses dérapent vers une provocation à l'adresse des chrétiens », a ajouté M. Bassil. Il a révélé dans ce cadre que le dialogue a été rétabli avec le Hezbollah après des mois de froid, « tout comme avec les autres protagonistes de manière directe ou indirecte », en vue de trouver une solution « sans conditions préalables ».
Évoquant par ailleurs les efforts français pour débloquer le dossier, à quelques jours du retour de l’émissaire de l’Élysée, Jean-Yves Le Drian, à Beyrouth, il s’en est félicité « dans la mesure où ces efforts visent à aider les Libanais à s’entendre, et non à leur imposer un président ».
C est une sacré bonne idée ce coup militaire Pour une fois Iznogoud. A bien parlé par Toutatis
06 h 07, le 13 juillet 2023