« Nous ne donnerons pas notre feu vert à la nomination d’un successeur à Riad Salamé. » Mohammad Afif Naboulsi, le porte-parole du Hezbollah, est catégorique : le gouvernement actuel, qui expédie les affaires courantes, ne peut pas nommer de successeur au gouverneur de la Banque du Liban, d’autant plus en période de vacance présidentielle. Les menaces des quatre vice-gouverneurs de la banque centrale, qui ont fait comprendre jeudi qu’ils pourraient démissionner pour éviter d’assurer l’intérim après la fin du mandat de Riad Salamé, n’ont pas poussé le parti de Dieu à revoir sa position. Plus surprenant encore, le président de la Chambre Nabih Berry, qui se dit favorable « aux nominations, quelles qu’elles soient », n’a pas non plus réussi à faire fléchir la position de son allié. Si le parti de Hassan Nasrallah cède souvent aux demandes du maître du perchoir, au risque de provoquer son autre grand allié, le Courant patriotique libre, la donne est cette fois-ci différente.
« Une alliance, pas un même parti »
L’annonce des quatre vice-gouverneurs ne pouvait pas tomber à un meilleur moment pour Nabih Berry, qui affirme que le gouvernement doit nommer un successeur à Riad Salamé « par nécessité », malgré le vide au niveau de la magistrature suprême. « Nous avons besoin d’un véritable gouverneur de la banque centrale pour éviter que la livre libanaise ne continue sa dégringolade », affirme à notre journal un proche de Aïn el-Tiné. Mais ces appels se heurtent au refus notamment du Courant patriotique libre, qui accuse le chef du législatif et le Premier ministre sortant Nagib Mikati de vouloir gouverner sans président de la République. Comprendre, sans partenaire chrétien. Pis encore, le poste de gouverneur de la BDL est réservé à un chrétien maronite, tout comme la présidence de la République. Les forces politiques de cette confession estiment donc qu’elles sont incontournables dans la nomination du numéro un de la banque centrale, et que cela ne peut donc pas se faire avant l’élection d’un président. « Ce n’est vraiment pas une question de prérogatives. Le pays a besoin de quelqu’un pour piloter la politique monétaire », rétorque-t-on à Aïn el-Tiné, alors que le vide présidentiel en cours depuis huit mois semble parti pour durer, faute de consensus sur un présidentiable.
Certes, après la fin du mandat de l’ancien président Michel Aoun, le Hezbollah a permis à Nagib Mikati (et à Nabih Berry, en coulisses) de tenir des réunions du Conseil des ministres au nom de la continuité du service public, au grand dam des chrétiens. Mais, alors qu’il est au bord de la rupture avec son allié aouniste, il ne souhaite pas pousser le bouchon trop loin, en permettant une nomination-clé sans son feu vert. Surtout que le parti de Hassan Nasrallah n’a pas envie de rompre complètement les ponts avec le CPL. « Une importante partie des chrétiens serait lésée si le gouvernement actuel, dont les chrétiens contestent la légitimité, nomme un gouverneur de la banque centrale », avance M. Naboulsi. « Dès lors, nous ne pouvons pas permettre cette nomination », abonde-t-il, tout en minimisant le désaccord avec Nabih Berry. « Nous ne sommes pas toujours sur la même longueur d’onde, notamment dans les petits dossiers », souligne-t-il. Du côté d’Amal, on rappelle que les deux formations forment « une alliance, et pas un même parti ». En mai, Hassan Nasrallah avait ouvert la voie à une accession du premier vice-gouverneur de la BDL, Wassim Mansouri, à la tête de l’institution pour une période intérimaire après le départ de Riad Salamé. « Nous ne sommes pas avec la désignation d’un nouveau gouverneur de la Banque du Liban… Donc la solution légale, c’est que le premier vice-gouverneur assure l’intérim », avait-il déclaré dans une allocution. M. Mansouri serait le premier chiite à diriger la banque centrale. Tout comme le général Élias Baïssari, un maronite, a été chargé il y a quelques mois d’assurer la direction par intérim de la Sûreté générale, prenant ainsi la succession du général chiite Abbas Ibrahim, parti à la retraite.
Que veut donc Nabih Berry ?
Mais l’annonce choc des vice-gouverneurs jeudi vient contrarier les plans du Hezbollah. « Pour le moment, ce ne sont que des menaces. Ils n’ont pas encore démissionné », relativise M. Naboulsi, pour qui la démarche de ces hauts fonctionnaires vise à trouver un prétexte pour maintenir Riad Salamé en poste. Ce dernier est dans le viseur de la communauté internationale, qui refuse catégoriquement son maintien à la tête de la BDL. D’abord, parce qu’il est soupçonné de corruption par de nombreuses capitales occidentales, la cour d’appel de Paris ayant confirmé en début de semaine les saisies opérées sur le patrimoine qu’il aurait « frauduleusement acquis ». Mais aussi pour son rôle dans le développement d’une économie parallèle de « cash » au Liban, qui profite notamment au trafic international de Captagon vraisemblablement piloté par le régime syrien et ses alliés régionaux. Dans ce contexte, le Hezbollah a-t-il intérêt lui aussi à ce que Riad Salamé soit maintenu dans le cadre d’une répartition des rôles avec Nabih Berry ? « Absolument pas, répond Mohammad Afif Naboulsi. Mais nous ne comprenons pas ce que veut Nabih Berry. »
Si de nombreux observateurs supposent que la démarche de M. Mansouri (proche de Berry) et ses collègues est motivée par le président de la Chambre, les intentions du chef du Parlement ne sont pas claires. Pourquoi ne voudrait-il pas qu’un de ses proches prenne la tête de la BDL ? Selon nos informations, une délégation des vice-gouverneurs de la BDL s’est discrètement rendue en début de semaine à Washington. Longtemps interlocuteur privilégié des Américains, qui souhaitent la nomination d’un successeur à Riad Salamé au plus vite, le chef du législatif pourrait avoir été « convaincu » par Washington de nommer un successeur avant la tenue de l’élection présidentielle. En effet, si la communauté internationale souhaitait la fin du vide au sommet de l’État avant la date butoir de fin juillet, ce scénario semble de moins en moins réaliste. Selon une autre lecture, la démission des vice-gouverneurs viserait à démontrer que le maintien de Riad Salamé est le seul scénario possible, les chrétiens n’étant pas d’accord pour lui nommer un successeur avant l’élection présidentielle. Nabih Berry l’imposerait ainsi comme un fait accompli. Une troisième lecture suppose que le président de la Chambre utilise le maintien de Riad Salamé comme un épouvantail pour faire pression sur les partis de l’opposition et le CPL, dans l’objectif de les pousser à accepter un compromis présidentiel permettant l’arrivée de son candidat, le leader des Marada Sleiman Frangié, à Baabda. Que veut vraiment Nabih Berry ? Même le Hezbollah ne le sait pas.
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Le désert des tartars
Robert Moumdjian
05 h 33, le 09 juillet 2023