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La République intérimaire

Nous nous targuons en toute occasion d’être les héritiers d’une civilisation vieille de six mille ans. Notre biblique terre de lait et de miel ne pouvait que susciter bien de dévorantes convoitises ; pour cette raison le sang y a également coulé en abondance. Et pourtant, les conquérants, envahisseurs et autres hordes de guerriers ont fini par se fondre dans les limbes de l’histoire. Le Liban, lui, demeurait, même s’il n’accédait au rang d’État qu’il y a seulement un peu plus d’un siècle. Et c’est encore et toujours la pérennité de ce sol qu’exalte inlassablement notre folklore national.


Par quel caprice du sort, en revanche, les Libanais semblent-ils invariablement voués au temporaire, à l’inachevé ? Rarement dans un passé pourtant jalonné de rudes épreuves, notre peuple n’aura vécu dans de telles conditions de précarité et à l’ombre d’une mal-gouvernance aussi portée sur les expédients. Toujours pas de président depuis plus de huit mois pour cause de grippages (pire, de sabotage délibéré) des institutions ? Nos dirigeants croient pouvoir reculer impunément les échéances constitutionnelles en s’en remettant d’abord à une baraka étrangère qui tarde à se manifester ; et ensuite, sinon accessoirement, aux bons soins d’un gouvernement démissionnaire censé expédier les affaires courantes, tâche dont il s’acquitte d’ailleurs fort mal.


Or, et ne serait-ce que par simple effet domino, les échéances reculées enfantent forcément d’autres urgences, non moins pressantes parfois. Déjà plombée, en pleine crise financière, par les déboires judiciaires de son propre gouverneur, la Banque du Liban devra nécessairement se doter fin juillet d’un nouveau détenteur du titre. Retenu dernièrement pour la direction de la Sûreté générale, le recours à l’intérim paraît cette fois exclu en raison de la menace de démission brandie solidairement par les quatre vice-gouverneurs. Non moins problématique, compte tenu des susceptibilités politiques et sectaires entourant ce poste, serait un acte d’autorité émanant, au prétexte que nécessité fait loi, d’un gouvernement non pleinement nanti. Le même problème se pose d’ailleurs pour les nominations d’officiers supérieurs ; il se posera avec plus d’acuité encore, quand il faudra, dans la même situation de vacance présidentielle, désigner un nouveau commandant de l’armée.


Toutes ces décisions en souffrance – y compris une hypothétique entente sur la personne d’un futur président – ne risquent d’être toutefois que grossiers rapiéçages plus ou moins heureux d’un tissu passablement élimé. Toute Loi fondamentale ne vaut que par le respect absolu, total, non fractionnable, ni négociable, qu’on lui doit. Si elle s’avère imparfaite on l’amende de manière à la rendre plus performante, à en éliminer les zones d’ombre prêtant à interprétation et à débat. Or non seulement la Constitution issue de l’accord de Taëf a subi, au fil des ans, les violations les plus flagrantes, mais ses dispositions les plus prometteuses de progrès (déconfessionnalisation politique, décentralisation administrative, création d’un Sénat) n’ont jamais connu même un début d’application.


C’est sur ce terrain précis que devraient se braquer toutes les énergies si l’on veut que le Liban émerge des sables mouvants où il se débat et se hisse à la hauteur des exigences du siècle. Provisoire, voulait-on croire, était l’afflux de réfugiés de Palestine. Provisoire de même, veut-on maintenant nous faire accroire, est le raz-de-marée de réfugiés syriens. Menacé dans son essence même par ce surréel scénario d’implosion démographique, de quels artifices bassement politiciens peut encore se satisfaire le Liban ? Jusqu’à quand une République elle-même intérimaire car s’adonnant au culte du temporaire, du transitoire, du passager : de ce provisoire dont on sait bien pourtant qu’il est seul à durer ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Nous nous targuons en toute occasion d’être les héritiers d’une civilisation vieille de six mille ans. Notre biblique terre de lait et de miel ne pouvait que susciter bien de dévorantes convoitises ; pour cette raison le sang y a également coulé en abondance. Et pourtant, les conquérants, envahisseurs et autres hordes de guerriers ont fini par se fondre dans les limbes de...