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Moyen-Orient - ANALYSE

Les investissements très politiques des pays du Golfe en Irak

Alors que la région tend vers une forme de stabilité, Bagdad attire des dizaines de milliards de dollars d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Qatar.

Les investissements très politiques des pays du Golfe en Irak

Le président émirati Cheikh Mohamed ben Zayed al-Nahyane accueillant le Premier ministre irakien Mohamed Shia al-Sudani à Abou Dhabi le 9 février 2023. Photo AFP

L’annonce a d’abord surpris dans un pays sortant de quatre décennies de conflits meurtriers. Un mégaprojet immobilier à un milliard de dollars, comprenant cafés, restaurants, mais aussi 4 000 appartements et 2 500 villas, va être construit par l’Arabie saoudite à proximité de l’aéroport de Bagdad. Le fonds souverain du royaume (PIF) a également créé en mai une unité dotée de 3 milliards de dollars pour investir dans plusieurs secteurs irakiens – les mines, les infrastructures, la finance, l’immobilier et l’agriculture – dans le cadre d’un plan de 24 milliards de dollars destiné à six pays de la région. Dans la foulée, la compagnie pétrolière Aramco s’est vu confier le développement d’un immense gisement de gaz dans la province de Anbar.

Depuis quelques mois, et particulièrement ces dernières semaines, les déclarations et les promesses d’investissements en provenance du Golfe pleuvent en Irak. Le Qatar a dévoilé, mi-juin, un plan d’investissement de 5 milliards de dollars, en plus des 9,5 milliards de dollars d’accords que des entreprises privées qataries ont signés dans plusieurs secteurs et comprenant la construction de deux centrales électriques dans un pays miné par les coupures. Un peu plus tôt dans l’année, les Émirats ont promis de débloquer 500 millions de dollars pour lancer la seconde phase d’un projet hydraulique à Sinjar, ville martyre de l’État islamique. Et, dernière annonce en date : le 2 juillet, Riyad et Abou Dhabi se sont engagés à verser 6 milliards de dollars (3 milliards chacun) pour renforcer le commerce international avec l’Irak, tout en soutenant les infrastructures dans le pays et en créant des comités d’affaires conjoints.

Des tensions historiques

Avec cette multitude de projets, une nouvelle page semble se tourner dans les relations irako-golfiques. Riyad et Abou Dhabi entretenaient avec Bagdad des relations tendues depuis la première guerre du Golfe et l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Ces tensions se sont accentuées après que la guerre en Irak menée par les États-Unis en 2003 a modifié le système politique dominé par le parti Baas en faveur de la majorité chiite, l’Arabie et les Émirats étant accusés de soutenir les oppositions sunnites. Les liens se sont davantage crispés ces dernières années quand l’Iran a consolidé son influence politique et la place des milices qui lui sont affiliées dans le pays. Un rapprochement s’était toutefois manifesté lors des mandats des Premiers ministres Haïdar el-Abadi et son successeur Moustafa el-Kazimi, plus proches des États-Unis. Mais l’arrivée au pouvoir de Mohammad Chia el-Soudani, nommé en octobre 2022 par les partis pro-iraniens dominant le Parlement, a réintroduit de l’incertitude.


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Alors que la priorité est donnée à la stabilisation du Moyen-Orient, dans le sillage de l’accord de détente irano-saoudien conclu le 10 mars à Pékin, les pays du Golfe semblent tendre vers l’apaisement. « L’Irak, compte tenu de son importance géostratégique, a le potentiel de semer le chaos dans toute la région s'il n'est pas renfloué, s'il n'est pas soutenu et s'il n'est pas secouru », prévient Sami Hamdi, un commentateur politique spécialisé dans le Golfe. « Le message que le Golfe veut faire passer à l’Iran est le suivant : nous donnerons à vos alliés (irakiens) l'argent dont ils ont besoin et, en échange, vous atténuerez les antagonismes dans la région », décrypte l’analyste, qui ne croit pas à l’efficacité de cette stratégie.

Un projet à 17 milliards

Car l’objectif des Saoudiens et des Émiratis est avant tout politique. D’abord, leur engagement de verser 6 milliards de dollars dans une même initiative revêt une dimension d’unité régionale, ce qui les renforce face à leurs concurrents et rivaux. L’annonce est intervenue plus de deux semaines après celle du Qatar d’investir 5 milliards de dollars, Doha visant ainsi à ne pas être exclu des dynamiques régionales après avoir été placé sous blocus par ses voisins pendant plus de trois ans (2017-2021). Et malgré la compétition accrue entre Riyad et Abou Dhabi, « l’Arabie et les Émirats sont toujours proches et collaborent étroitement sur les affaires régionales, même si des désaccords existent », fait remarquer Sami Hamdi. Les deux pays partagent en tout cas le même objectif de contrer l’influence de l’Iran en Irak.

« Les États du Conseil de coopération du Golfe considèrent l'investissement économique comme l'un des outils les plus efficaces pour éloigner l'Irak de l'influence de l'Iran », écrivaient le journaliste Mehmet Alaca et le chercheur Hamdallah Baycar sur un blog de la London School of Economics il y a deux ans.

En visant des secteurs comme l’immobilier, l’énergie, le transport, le commerce et les banques dans un pays qui compte 42 millions d’habitants, soit l’un des plus larges marchés régionaux, les pétromonarchies du Golfe espèrent bien aussi obtenir des retours sur investissement. « Les secteurs ciblés apporteront des rendements plus rapides, à l’heure où le profil de risque du pays change, car nous avons absolument besoin d'électricité, de routes et d'une infrastructure endommagées par des décennies de conflits », résume Ahmed Tabaqchali, chercheur à l'Université américaine de Souleimaniyé au Kurdistan irakien. Les fonds du Golfe doivent entre autres soutenir la construction d’infrastructures routières et ferroviaires qui traverseraient le territoire irakien sur 1 200 kilomètres. Avec ce projet à 17 milliards de dollars, baptisé « Route du développement », l’Irak espère se transformer en plaque tournante du transport de marchandises du Moyen-Orient vers l’Europe de par sa position centrale dans la région.

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Sanctions secondaires

In fine, si Riyad et Abou Dhabi visent à contrebalancer l’influence iranienne, ils tiennent tout autant à éviter la confrontation avec Téhéran. « L’Arabie et les Émirats pensent naïvement que Bachar el-Assad, les houthis et les autres alliés de l'Iran peuvent être achetés. Et donc qu'à court terme, l'Iran bénéficiera des investissements en Irak, ce qui les apaisera », souligne Sami Hamdi, alors que des sanctions secondaires ont été mises en place par les Américains pour cibler des entités étrangères traitant avec certains organismes iraniens. Bagdad dépend en effet de Téhéran, notamment pour ses approvisionnements d’électricité, et se trouve fortement endetté à son égard.

Une stratégie qui pourrait à terme se révéler payante, les dizaines de milliards d’investissements du Golfe pesant lourd face à ceux de l’Iran, dont l’économie est étouffée par les sanctions américaines. « L’Iran a investi dans certaines centrales électriques, comme celle de Bagdad, mais en termes de montant, je dirais que c'est presque de l'ordre de 10 contre 1 pour le Golfe », estime Ahmad Tabaqchali. À noter toutefois que les pays du Golfe ont par le passé fait des promesses qui sont restées lettre morte. Comme ce projet de raccordement électrique entre le Koweït et Bagdad, signé avec le Conseil de coopération du Golfe en septembre 2019 et qui n’a jamais vu le jour.

L’annonce a d’abord surpris dans un pays sortant de quatre décennies de conflits meurtriers. Un mégaprojet immobilier à un milliard de dollars, comprenant cafés, restaurants, mais aussi 4 000 appartements et 2 500 villas, va être construit par l’Arabie saoudite à proximité de l’aéroport de Bagdad. Le fonds souverain du royaume (PIF) a également créé en mai une unité...

commentaires (1)

Politique naïve… en effet… c’est la mentalité du gulf … pour eux tout s’achète… y compris les gens…ca peut marcher un moment avec certains….mais c’est toujours limité dans le temps cette politique.. Le socle n’est pas solide et les divergences de fonds toujours présentes.

LE FRANCOPHONE

09 h 24, le 07 juillet 2023

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Commentaires (1)

  • Politique naïve… en effet… c’est la mentalité du gulf … pour eux tout s’achète… y compris les gens…ca peut marcher un moment avec certains….mais c’est toujours limité dans le temps cette politique.. Le socle n’est pas solide et les divergences de fonds toujours présentes.

    LE FRANCOPHONE

    09 h 24, le 07 juillet 2023

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