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Culture - Liban

Quand la résidence de l'ambassadrice Shea devient une tribune pour les arts

La réalisatrice Nadine Labaki était la dixième invitée d’honneur de ce programme initié par l’ambassadrice Dorothy Shea. La cinéaste a évoqué son parcours devant un parterre d’étudiants attentifs. 

Quand la résidence de l'ambassadrice Shea devient une tribune pour les arts

La réalisatrice Nadine Labaki répond aux questions de l’ambassadrice Dorothy Shea. Photo DR

« Vous avez su rendre l’invisible visible », lance Dorothy Shea à Nadine Labaki. Et je peux vous avouer que Capharnaüm a changé ma vie ». Dans les salons de la résidence de l'ambassadrice des Etats-Unis au Liban, la voix de la maîtresse des lieux résonne clairement. Ses mots sonnent également fort à l’oreille d’une réalisatrice qui s’est battue pour atteindre les étoiles et hisser haut le nom de son pays sur la scène internationale. La lutte était ardue à double titre, dans un Liban qui accorde très peu d’attention à ses artistes et au sein d’un monde arabe où la femme n’occupe pas encore la place qu'elle mérite.

C’est la dixième fois que les salons de l’ambassadrice Shea accueillent un(e) artiste libanais(e) de grande renommée dans le cadre d'une série de conversations placées sous l'intitulé "Meet the artist", initiée par l'attachée culturelle Hermila Yifter et la responsable du programme Julie Mrad. Réalisatrice, scénariste, actrice et activiste, Nadine Labaki a été la première réalisatrice du monde arabe à avoir été sélectionnée aux Oscars dans la catégorie meilleur film étranger. 

Dorothy Shea, qui s'est improvisée modératrice pour l’occasion, lance le débat avec une question pertinente : "Pouvez-vous nous dire quelle a été votre recette du succès ?". « Il n’y en a pas, répond Nadine Labaki. Mais je voudrai commencer par vous remercier pour m’avoir accueillie ici et permise d’avoir cette franche conversation avec les étudiants car je comprends leurs inquiétudes, étant moi-même passée il y a quelques années par ces mêmes doutes. Je vais ainsi mettre l’accent sur le « pourquoi » de mon projet de vie. Pourquoi ai-je choisi la voie du cinéma ? Et pourquoi ai-je voulu parler spécifiquement de certains problèmes sociaux de mon pays ? Je pousse également le pourquoi dans tous les recoins comme par exemple pourquoi je choisis cette scène et qu’est-ce qu’elle signifie pour moi ? Et enfin, est-ce que je suis restée authentique et sincère quant à mon intention première ? »

« Mon parcours n’a pas été facile, avoue la cinéaste en s'adressant aux étudiants venus, entre autres, de l’Institut des études scéniques et audiovisuelles (IESAV) et de l’Université Libanaise. Quand je me suis mise à rêver de faire un film, j’étais totalement déboussolée. Je ne savais pas par où commencer. Notre pays manque d’institution nationale à laquelle les cinéastes peuvent avoir recours. Il manque aussi d’intérêt pour les artistes en général,", déplore-t-elle. "Il fallait se battre tout seul. J’avoue que la chance m’a souri et a mis sur mon chemin une productrice française que j’ai rencontrée lors du festival européen au Liban. C’est elle qui m’a propulsée dans ce milieu-là. Elle a été, je suppose, convaincue par mes propos et conquise par mon enthousiasme intarissable et m’a immédiatement encouragée à écrire. Elle a eu confiance en moi et m’a appris tous les rouages de la fabrication d’un film », se souvient la réalisatrice.

Nadine Labaki a atterri dans le monde du cinéma par tâtonnements. Elle commence sa carrière dans les clips publicitaires qu’elle qualifie de « laboratoire d’expérimentations." "Quand je me suis initiée au processus de l’écriture et de la réalisation, j’ai découvert mes propres outils et ma propre manière de faire. Souvent, dit-elle encore, l’idée naissait d’une colère, d’une frustration, des sentiments négatifs que j’ai réussi à transformer en énergie positive ».

Les participants à la dixième rencontre Meet the artists. Photo DR

Y a-t-il un label Nadine Labaki ?

Si nous devons donc parler d’une signature Nadine Labaki, d’une marque de fabrique qui s’est confirmée au fil des années, nous pouvons dire qu’elle s’articule sur trois grands piliers sur lesquels est basé son corps d’œuvre : un chaos organisé qu’elle crée sur le plateau de tournage, des improvisations, mais aussi une collaboration intime avec les acteurs et actrices professionnels ou amateurs. « J’aime ce mélange dans les personnages venus de différents milieux. Je ne leur dis pas de jouer des rôles ou de mémoriser des dialogues, mais d’être eux-mêmes, affirme-t-elle. C’est mon observation de la vie mêlée à leurs expériences qui se confondent au cours du tournage. »

Mais Nadine Labaki n’est pas simplement une fine observatrice des vicissitudes sociales, elle a su souvent aborder des sujets tabous et n’a pas craint de sortir des sentiers battus. C’est ce que Dorothy Shea a d'ailleurs relevé en lui posant une question sur ce sujet. La cinéaste répondra simplement que c’est le rôle de l’art, de provoquer, de révolutionner pour créer. "Ne dit-on pas mouvements artistiques ? Or qui dit mouvement dit évolution, avancée", précise l'artiste.

Nadine Labaki regrette pourtant, qu’à notre époque, la censure et le politiquement correct soient en train de gagner du terrain. « Il ne faut pas avoir peur et surtout ne pas perdre son innocence, prévient-elle. L’artiste ne doit pas rentrer dans un moule conforme aux désirs du public. Il faut qu’il s’accroche à ses propres valeurs et qu’il les défende ». A un étudiant qui lui demande comment faire face à cette censure, la réalisatrice répond que le seul moyen est de créer encore et toujours de l’art pour former un mur résistant et solide.

Enfin pour conclure ce ping-pong de questions réponses entre l’ambassadrice et les jeunes universitaires, la cinéaste s’étonne du qualificatif d’activiste qu’on lui attribue. « Je suis simplement un être humain concerné par les problèmes d’autrui. Je ne peux rester les bras croisés devant tant d’injustice. Aux détracteurs qui me disent que je n’ai pas le droit de parler de ce monde de défavorisés et de marginalisés car je n’appartiens pas à ce monde-là, je leur dis que je ne peux m’empêcher d’être concernée par leurs problèmes, surtout que j’ai la chance d’avoir l’outil du cinéma en main. Un outil catalyseur, rassembleur qui peut mettre des tas de gens sur la même fréquence émotionnelle et d’ouvrir ainsi des débats constructeurs ».

Une leçon non seulement de cinéma mais aussi d’humilité, d’humanité que la cinéaste a adressée aux générations montantes qui ont choisi d’embrasser ce métier.

« Vous avez su rendre l’invisible visible », lance Dorothy Shea à Nadine Labaki. Et je peux vous avouer que Capharnaüm a changé ma vie ». Dans les salons de la résidence de l'ambassadrice des Etats-Unis au Liban, la voix de la maîtresse des lieux résonne clairement. Ses mots sonnent également fort à l’oreille d’une réalisatrice qui s’est battue pour atteindre les étoiles et...

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