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Moyen-Orient - ARABIE SAOUDITE

Le permis de conduire au féminin, symbole d’indépendance dans une monarchie autoritaire ?

Il y a tout juste cinq ans, le 24 juin 2018, les Saoudiennes étaient autorisées à conduire, et 37 % d’entre elles ont aujourd’hui un emploi. Une mini-révolution et des progrès indéniables, qui ne sauraient toutefois masquer les discriminations que les femmes subissent toujours dans le royaume wahhabite.

Le permis de conduire au féminin, symbole d’indépendance dans une monarchie autoritaire ?

Une Saoudienne s'entraîne à conduire à Riyad, le 29 avril 2018. Photo d'archives AFP

Boucles blondes tombant sur les épaules, t-shirt et baskets ou robe et talons, Rasha Zamzami passe le plus clair de son temps au volant d’une berline dernier cri. Sur le réseau social Tik Tok, @drive.rasha régale ses quelque 128 000 abonnés d’une Hyundai au tableau de bord tactile, ou vante les options numériques d’une nouvelle Nissan. L’influenceuse n’enchaîne pas seulement les partenariats, elle est aussi de tous les show-rooms automobiles en Arabie saoudite. Son histoire touche.

Après un accident de la route avec sa nièce, qu’elle a dû récupérer, indemne, sous les roues d’un véhicule, Rasha est traumatisée au point de devoir se couvrir les yeux à chaque fois qu’elle monte dans une voiture. Mais une fois l’autorisation de conduire accordée aux femmes en Arabie saoudite, le 24 juin 2018, cette mère célibataire et divorcée se résout à passer son permis, avant de devenir monitrice d’auto-école. « Je peux maintenant subvenir aux besoins de mes trois enfants, voyager et mener une belle vie en ne comptant que sur moi-même et mes capacités », a-t-elle déclaré au quotidien Arab News. Au fil des années, elle a conjuré son traumatisme en développant une passion pour l’automobile.

La success story, l'histoire de réussite de Rasha Zamzami est une parfaite vitrine de la modernisation à marche forcée du royaume wahhabite, qui s’emploie à casser son image ultraconservatrice en enchaînant les réformes sociétales. Au coeur de ce projet : les femmes. Depuis que Mohammad ben Salmane (MBS) s’est hissé au rang de prince héritier en 2017, la mixité a été introduite dans l’espace public, et les citoyennes saoudiennes peuvent désormais étudier, travailler, obtenir un passeport et voyager sans l’autorisation d’un tuteur masculin.

Bien au-delà du simple fait de conduire, le permis a généré des symboles : des showrooms, salles d'exposition automobiles 100 % féminins, et Rima Al-Juffali, première coureuse de Formule 1 du pays. Dans un autre domaine, le royaume vient d’envoyer la première astronaute arabe dans l’espace, Rayanah Barnawi. Des postes ont également été ouverts aux Saoudiennes dans la haute fonction publique (deux vice-ministres et six ambassadrices). L’objectif d’atteindre 30% de femmes dans la main-d’oeuvre d’ici à 2030 a été dépassé : elles étaient 37 % en 2022. Des fonds publics sont alloués aux femmes pour démarrer leur business et des quotas sont imposés dans les entreprises privées, punissant d’une amende de 4 000 dollars celles qui échouent à employer au moins deux femmes dans chaque équipe, selon la chaîne Al-Arabiya.

90 milliards de dollars

Plus qu’une liberté acquise, le droit de conduire est aussi une source de revenus. Lors de son entrée en vigueur, un rapport de Bloomberg Economics avait évalué les retombées économiques de la loi à 90 milliards de dollars d'ici 2030. « La levée de l'interdiction de conduire est susceptible d'augmenter le nombre de femmes à la recherche d’un emploi, la taille de la main-d’œuvre, ainsi que les revenus et la production globaux », avait déclaré Ziad Daoud, l’économiste en chef pour le Moyen-Orient de Bloomberg Economics.

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Mais en l’absence d’études ou de données officielles, il est difficile de connaître exactement la part de Saoudiennes qui a finalement adopté le volant. Les derniers chiffres remontent à 2020, lorsqu’un rapport conjoint de l’ONG Alnahda Society, Duke University et Uber, a conclu que seulement 2 % des femmes avaient obtenu leur permis de conduire, deux ans après la réforme. Les premiers obstacles cités sont le coût de la voiture (83 %), celui du permis (62 %) et la sécurité routière (25 %). Il est impossible de savoir dans quelle mesure ces taux ont varié depuis lors.

Régions rurales

Autre donnée difficile à évaluer, la popularité du permis au féminin parmi les différentes couches de la société. Son succès est facile à deviner auprès de la jeunesse, dans un pays ultraconnecté où les deux-tiers de la population ont moins de 35 ans. « Tout le monde conduit, j'ai été surprise de voir de nombreuses femmes des régions rurales du Sud qui partagent leur quotidien en voiture sur les réseaux sociaux, relate Najah Al-Otaibi, chercheuse associée au King Faisal Center de Riyad. Certaines gèrent leur entreprise et contribuent à leurs communautés ». Même si la réforme n’est pas au goût de tout le monde. « J'ai entendu tellement de remarques prétendant que les femmes sont incapables de conduire un véhicule, qu'elles sont des “reines” chez elles et que conduire n'est pas approprié pour toutes les filles, mais seules les personnes analphabètes et sans instruction diraient de telles choses », raconte Rasha Zamzami à Arab News. « Ces personnes n’ont de toute façon aucune influence, abonde Najah Al-Otaibi. Ceux qui soutiennent la réforme sont les vrais instigateurs du changement ».

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Ces changements à grande vitesse ne sauraient toutefois masquer un certain nombre de failles dans le narratif d’ouverture saoudien. « Seules les femmes qui ont une bonne relation avec leurs tuteurs bénéficient des réformes sociétales, explique Sarah Al-Yahia, militante féministe saoudienne réfugiée en Italie. Mais dans les faits, le gardien peut empêcher une femme d’étudier ou de voyager. L'activiste dénonce notamment l’existence de « Centre sociaux d’éducation », où les femmes peuvent être détenues sur simple plainte de leur tuteur pour désobéissance, fuite ou relations extraconjugales. Plusieurs cas de mauvais traitements y ont été reportés, et les autorités ont ouvert une enquête après le raid par les forces de sécurité dans l’une de ces maisons dans la province de l’Asir, en septembre dernier. Un rapport de Human Rights Watch publié en mars a par ailleurs épinglé les discriminations faites aux femmes dans la nouvelle loi sur le statut personnel de 2022, confirmant le maintien de la tutelle masculine sur le mariage, le divorce et les décisions concernant les enfants.

La répression des voix d’opposition se poursuit par ailleurs, sans épargner les militantes des droits des femmes. Manahel al-Otaïbi, une professeure de fitness de 29 ans, a été arrêtée et emprisonnée en novembre 2022 pour avoir réclamé la fin de la tutelle masculine sur les réseaux sociaux, a récemment rapporté le quotidien britannique The Guardian. La même année, la militante Salma Al-Shehab a été condamnée à 27 ans de prison par un tribunal pénal spécial, chargé des cas de terrorisme, pour avoir retweeté des publications en faveur des droits des femmes. Un mois avant l’autorisation du permis de conduire, en mai 2018, cinq activistes du mouvement Women to drive, dont Loujain Al-Hathloul, avaient été emprisonnées, après avoir manifesté pour le droit de conduire. Hors de prison aujourd’hui, elles se trouvent encore, toutes, sous l’interdiction de quitter le territoire. 

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