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S’essayer à tirer les leçons de cette première phase de la mission de Jean-Yves Le Drian, c’est un peu comme s’aventurer dans l’une de ces auberges espagnoles où les pèlerins, en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle, ne trouvaient souvent rien d’autre à se mettre sous la dent que les provisions contenues dans leur baluchon.


De fait, l’émissaire français s’est montré cette fois bien avare de déclarations publiques, nous laissant ainsi sur notre faim. À la limite, on pourrait même soutenir qu’en reprenant du service en tant qu’envoyé spécial du président Macron au Liban, l’ancien patron du Quai d’Orsay a paradoxalement redoublé, que dis-je, quintuplé de réserve diplomatique. Finies, en effet, les homériques remontrances auxquelles avait régulièrement droit une classe dirigeante libanaise corrompue jusqu’à l’os, incompétente et volontiers oublieuse de ses engagements. Or c’est avec l’indéracinable faune des lieux, plus que jamais jalouse de ses terrains de chasse, qu’est bien obligé de traiter à nouveau l’émissaire présidentiel. Et plutôt que d’administrer à la volée des leçons de morale politique et de bonne gouvernance, c’est à l’écoute des diverses parties qu’il a dévolu, selon ses propres termes, la première phase de cette mission de concertation.


Mais c’était sans compter sur les infinies ressources des habitués qui hantent l’auberge libanaise. Pour ne considérer que les extrêmes bouts de l’éventail politique, ce sont ainsi des positions et dispositions on ne peut plus contradictoires que l’on prête allègrement à la France. Candidat du Hezbollah à la présidence de la République et jouissant au départ des faveurs françaises, Sleiman Frangié peut se flatter d’avoir été seul à se voir proposer (on le lui devait bien) un long déjeuner de travail à la Résidence des Pins avec l’envoyé de Macron. Il s’est dit satisfait au plus haut point de l’entretien et l’on se plaît à affirmer dans son entourage que rien n’a varié dans les prédispositions de Paris. C’est pourtant un tout autre son de cloche que l’on se plaît à répercuter du côté du Courant patriotique libre de Gebran Bassil, à savoir, toujours en se référant péremptoirement à Jean-Yves Le Drian, que la France a définitivement tourné la page Frangié en raison des irréductibles oppositions que suscite sa candidature au sein de sa propre communauté.


Rien, dans ces carillons discordants, que des vœux (pas très) pieux, rien que des désirs pris pour des réalités ? Et puis comment, à ce stade, distinguer le vrai du faux en faisant table rase de toutes ces zones grises qui, de par leur nature, servent de terreau aux éventuels arrangements entre ces grands électeurs d’outre-frontière saisis de la question présidentielle libanaise ? Significative de la viscérale, de l’atavique fascination qu’exercent sur nous les chants de sirènes venus du large est le buzz qu’a fait dans les médias cette chaude accolade échangée jeudi soir par les ambassadeurs d’Arabie saoudite et d’Iran à Beyrouth. Or quoi de plus courant en Orient que ce genre d’effusion scellant toute réconciliation ? Quoi de plus normal que de voir des diplomates se faire des mamours quand leurs ministres ont déjà sacrifié au rite sur les écrans de télévision du monde entier ? La scène a pourtant enflammé les imaginations jusque dans la plus modeste des chaumières libanaises, le jeu national consistant à désigner lequel des deux partenaires va finir par amener l’autre à ses vues, pour ce qui est de doter le Liban d’un président…


On le voit bien une fois de plus, l’Espagne n’a guère l’exclusivité de ces chiches tables de jadis où l’on ne consommait que son propre pique-nique. On l’aura sans doute pressenti, le pauvre Liban n’est pas encore sorti de l’auberge.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

S’essayer à tirer les leçons de cette première phase de la mission de Jean-Yves Le Drian, c’est un peu comme s’aventurer dans l’une de ces auberges espagnoles où les pèlerins, en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle, ne trouvaient souvent rien d’autre à se mettre sous la dent que les provisions contenues dans leur baluchon. De fait, l’émissaire français s’est montré...