À l’issue de la séance électorale de mercredi, un parlementaire sort de l’hémicycle, le sourire aux lèvres : Tony Frangié, député de Zghorta, a de quoi être satisfait. Le score de son père, Sleiman, dépasse toutes les attentes. Avec 51 voix sur 128, le candidat du tandem Amal-Hezbollah défie tous les pronostics, qui lui prévoyaient à peine 45 votes. Son rival, Jihad Azour, a réussi à rallier 59 députés (voire 60, un bulletin ayant été « perdu » par le président de la Chambre Nabih Berry), un score plutôt conforme aux premiers pointages. Six députés ont, quant à eux, voté pour l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud, un pour le chef de l’armée Joseph Aoun, un vote blanc et un vote annulé, au nom de Jihad el-Arab. Mais alors que le camp de l’opposition souhaitait voir Sleiman Frangié symboliquement disqualifié par son score, les efforts du tandem chiite pour réduire l’écart entre les deux hommes semblent avoir porté leurs fruits. À l’issue d’une séance riche en surprises, L’Orient-Le Jour vous propose une cartographie du vote des députés.
Votes pour Jihad Azour
À l’issue de cette 12e séance électorale, l’ancien ministre des Finances est sorti en première position, comme le prévoyait l’intégralité des observateurs. Il a pu compter sur le soutien des 19 députés des Forces libanaises et leur allié, Camille Chamoun, des huit voix du Parti socialiste progressiste, des quatre députés Kataëb, des quatre du bloc du Renouveau et au moins deux indépendants : Ghassan Skaff et Bilal Hochaïmi. En théorie, il a également bénéficié de 16 des 17 voix du bloc du Liban fort (aouniste) – Élias Bou Saab, un indépendant au sein du bloc, n’ayant pas respecté les consignes de vote de Gebran Bassil – et de 9 des 12 députés de la contestation. Toutefois, cela aurait porté son score total à 62, mais le directeur régional du Fonds monétaire international n’affichait que 59 points à son compteur. Comment expliquer cette différence ?
Alors que l’hémicycle affichait complet, seuls 127 bulletins (sur les 128 députés présents) ont été comptés lors du dépouillement. Un bulletin a donc été « perdu » par le président de la Chambre. « Le vote revient sûrement à Jihad Azour, sinon M. Berry n’aurait pas refusé de refaire le décompte », affirme une source parlementaire. Ainsi, seuls deux députés semblent avoir déserté le camp de Jihad Azour : l’un pour voter blanc, l’autre pour glisser le nom de Jihad el-Arab, ancien conseiller de Saad Hariri suspecté de corruption, dans une pique probable au candidat de l’opposition. Il pourrait s’agir de frondeurs au sein du Courant patriotique libre. Mais cela paraît assez improbable. S’ils avaient voulu envoyer un message fort à Gebran Bassil, les six frondeurs du bloc l’auraient certainement fait de façon coordonnée.
Le plus probable est qu’il s’agisse de députés de la contestation, certains d’entre eux n’ayant pas montré beaucoup d’enthousiasme à l’idée de voter pour le candidat de l’opposition. « Nous sommes neuf à avoir voté Azour », affirme pourtant Paula Yacoubian, députée de Beyrouth I.
Pour Sleiman Frangié
Le leader de Zghorta a créé la surprise en obtenant 51 voix. S’il était déjà clair qu’il pouvait compter sur l’appui de 15 députés du Hezbollah, 15 d’Amal, cinq de l’Entente nationale (sunnites prosyriens), quatre de son bloc du Regroupement national et de cinq indépendants (Haïdar Nasser, Jihad Samad, Jamil el-Sayed, Georges Bouchikian et Abdelkarim Kabara), sept députés semblent avoir rejoint son camp à la dernière minute. « Il a probablement obtenu les voix des deux députés du Tachnag, de Jean Talouzian, d’Élias Bou Saab et d’une partie des élus du bloc de la Modération nationale ou d’indépendants », affirme une source parlementaire. Composé de 10 députés, le bloc de la Modération nationale et leurs alliés étaient censés voter pour le « nouveau Liban », ne souhaitant pas prendre part à ce duel dans cette ambiance de polarisation aiguë. Toutefois, seuls huit bulletins portant ce slogan ont été comptabilisés à l’issue du vote, deux d’entre eux semblent donc avoir basculé dans le camp Frangié. « Il pourrait s’agir de Jamil Abboud, Neemat Frem ou Ahmad Rostom », révèle la source précitée. Contactés, Ahmad Rostom et Neemat Frem démentent ces informations, tandis que Jamil Abboud refuse de dire pour qui il a voté.
Pour Ziyad Baroud
L’ancien ministre de l’Intérieur et figure de la société civile, Ziyad Baroud, qui ne s’est pas déclaré candidat, a obtenu six votes : trois députés de la contestation opposés à la candidature de Jihad Azour – Halimé Kaakour, Élias Jaradi et Cynthia Zarazir – en plus du bloc de Saïda-Jezzine, composé de Oussama Saad, Abderrahmane Bizri et Charbel Massaad. M. Baroud est considéré comme un potentiel candidat de compromis, d’autant qu’il semble également être vu d’un bon œil par les aounistes et que son nom a été évoqué par Bkerké. « On ne peut pas élire un président à travers la confrontation. Il faut trouver une troisième voix, et Ziyad Baroud pourrait représenter ce consensus, n’étant aligné sur aucun camp », a déclaré Abderrahme Bizri à sa sortie du Parlement.
Pour... Joseph Aoun
Un bulletin au nom de Joseph Aoun, le chef de l’armée perçu comme la figure de compromis par défaut, a été déposé par le député de Tripoli, Ihab Matar. « J’ai accordé ma voix au patron de la troupe parce que c’est une institution qui rassemble tous les Libanais et pour signifier mon opposition au clivage actuel entre deux fronts », a expliqué l’élu sur Twitter.
Alors que l’impasse perdure et que la communauté internationale est censée, avec l’arrivée de Jean-Yves Le Drian la semaine prochaine à Beyrouth, redoubler d’efforts pour aboutir à l’élection d’un président, Ihab Matar a-t-il posé la première pierre d’un consensus ?
N. Berri a perdu un bulletin de vote ? Heureusement qu'il est là pour apporter un peu de légèreté et d'amusement dans ce pays à genoux ! Clown, voilà une reconversion toute trouver pour lui :((
12 h 46, le 15 juin 2023