La polarisation au Liban s’accentue, rendant encore plus difficile l’élection rapide d’un président de la République. Mais les développements au niveau local peuvent difficilement être dissociés des dynamiques externes, d’autant que l’émergence d’une entente doit être accompagnée d’une dynamique étrangère favorable. Dans ce contexte, chaque partie mise sur son parrain à l’étranger : le tandem Amal-Hezbollah espère que l’apaisement régional, notamment depuis l’accord de normalisation entre l’Iran et l’Arabie saoudite et le rapprochement de Riyad avec Damas, va profiter à son candidat, le leader des Marada Sleiman Frangié. Tandis que les opposants à cette candidature, qui se sont accordés sur l’ancien ministre des Finances Jihad Azour, comptent sur un appui étranger pour faciliter l’émergence d’un compromis. Entre ces deux camps, le Courant patriotique libre, positionné au centre de l’échiquier, avec l’opposition mais pas tout à fait contre le Hezbollah. Dans ce contexte, la visite de l’ancien président de la République Michel Aoun hier en Syrie, pour souligner ses bonnes relations avec Bachar el-Assad, sonne comme une tentative de mettre des bâtons dans les roues à son grand rival, Sleiman Frangié.
Impliquer la Syrie
Michel Aoun a été reçu par le président du régime syrien alors que le parti qu’il a fondé vient de sceller une entente avec l’opposition autour de la candidature de Jihad Azour. À travers ce déplacement et ce timing précis, l’ex-président veut faire comprendre que son différend avec le parti de Dieu est uniquement lié au dossier présidentiel, et qu’il ne remet donc pas en question la convergence entre les deux alliés sur les questions stratégiques. Toutefois, le camp prosyrien estime que l’ancien chef d’État ne pourra pas tirer les bénéfices attendus de cette visite. « Michel Aoun est le bienvenu et Bachar el-Assad ne veut couper les ponts avec personne… Mais il est un peu en retard, il aurait dû se rendre en Syrie alors qu’il était encore président », lâche une figure proche du Hezbollah et du régime Assad.
Mais Michel Aoun tente sa chance. En se rendant à Damas, 14 ans après sa dernière visite, le fondateur du CPL vise à impliquer la Syrie dans la bataille présidentielle, alors que Bachar el-Assad affirme à tous ses interlocuteurs qu’ils doivent coordonner leurs actions avec le Hezbollah. N’ayant pas réussi à s’entendre avec ce dernier, pourtant son partenaire de longue date, Michel Aoun essaye d’ouvrir une brèche dans le mur érigé entre son parti et la formation de Hassan Nasrallah, par l’intermédiaire du président syrien et dans un contexte d’ouverture arabe en direction de Damas. « Au cours de son mandat, Michel Aoun a reçu plusieurs invitations du président syrien, mais il a préféré se rendre en Syrie après la fin de son sexennat pour éviter la polémique », affirme à notre journal le député Ghassan Atallah. Selon des proches de l’ancien président, le leader maronite prépare la visite depuis un moment et a chargé son conseiller Salim Jreissati et l’ancien ministre Pierre Raffoul de la préparer avec le pouvoir syrien. Pour M. Aoun, la visite en Syrie est l’occasion de souligner qu’il se retrouve avec le régime sur de nombreux dossiers et que le repositionnement de son parti dans le dossier présidentiel n’a pas d’incidence sur cela. Mais surtout de dire que sa bataille n’est pas contre Sleiman Frangié en tant qu’ami de la famille Assad, mais plutôt contre Nabih Berry, soutien inconditionnel du leader des Marada. Le fondateur du CPL mise sur les tensions entre le régime Assad et M. Berry. D’abord parce que, s’attendant à une chute du régime dans la foulée de la révolution syrienne de 2011, le leader de la Chambre a pris ses distances avec le président syrien, qui semble ne pas l’avoir oublié. Ensuite pour le rôle présumé du chef du mouvement Amal dans l’enlèvement et l’arrestation depuis 2015 de Hannibal Kadhafi, fils du défunt dictateur libyen Mouammar Kadhafi, une transgression qu’Assad a également du mal à pardonner.
Le dialogue... avec le Hezb ?
Sauf que si l’on lit entre les lignes du communiqué officiel publié par la présidence syrienne, Bachar el-Assad maintient sa position : le dialogue avec le Hezbollah reste un passage obligé. « La Syrie et le Liban ne peuvent regarder les défis auxquels ils sont confrontés séparément », a affirmé M. Assad, soulignant que « la stabilité du Liban est dans l’intérêt de la Syrie et de la région ». Il a également noté que « la force du Liban réside dans sa stabilité politique et économique », estimant que « les Libanais peuvent instaurer cette stabilité à travers le dialogue, l’entente et surtout en s’attachant aux principes et non pas en pariant sur les changements » dans la région. Et d’affirmer que « le rapprochement arabo-arabe se reflétera positivement sur le Liban et la Syrie », en allusion à la réintégration récente de Damas au sein de la Ligue arabe. Il a aussi affiché sa « confiance dans la capacité des Libanais à dépasser les problèmes et les défis et à consacrer le rôle des institutions nationales et constitutionnelles ». De son côté, Michel Aoun a affirmé que « les Libanais tiennent à leur unité nationale malgré tout », selon l’agence officielle syrienne SANA. Il a lui aussi estimé que « le redressement de la Syrie et sa prospérité se refléteront positivement sur le Liban et son peuple ».
Parallèlement à l’entrée en scène de Bachar el-Assad, les protagonistes libanais attendent des signaux externes concernant la séance électorale convoquée par Nabih Berry le 14 juin. D’autant que certains parlementaires mènent des contacts avec les chancelleries étrangères avant de trancher. Du côté du tandem chiite Amal-Hezbollah, on étudie l’option de participer au premier tour avant de se retirer au second, provoquant ainsi un défaut de quorum. Le maître du perchoir œuvre également à éviter à Sleiman Frangié une douloureuse seconde place derrière Jihad Azour. « L’opposition a déjà fait un pas en retirant Michel Moawad de la course et en s’accordant sur un candidat centriste, rappelle un diplomate arabe. Maintenant, c’est au tour de l’autre camp de faire un pas en direction du centre. »
commentaires (15)
La marmite a retrouvé son couvercle!
Marwan Takchi
18 h 55, le 08 juin 2023