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Du nerf pour la course


Fort heureusement, il est encore de fugaces moments qui vous laissent espérer que la démocratie libanaise, pour décrépite et mutilée qu’elle puisse être, n’a pas encore dit son dernier mot. On a vécu lundi un de ces moments-là, quand deux députés, à l’aide d’adroits et énergiques coups de serpe, ont arraché aux naufrageurs du système les dernières feuilles de vigne dont ils persistaient à couvrir leur condamnable besogne.


C’est à une belle manifestation de droiture, de courage et de pragmatisme dans la dignité que s’est ainsi livré le candidat à la présidence de la République Michel Moawad. Après avoir affiché un score plus qu’honorable lors des premiers tours de piste, c’est de bon cœur, et animé du seul souci de servir la cause, que ce fils de président assassiné s’est désisté en faveur d’un Jihad Azour crédité, il est vrai, d’espérances plus concrètes et variées.


À ses côtés, on a vu le député Marc Daou proclamer, chiffres à l’appui, les consistants suffrages déjà engrangés par le nouveau champion de l’opposition. Du coup, il dynamitait de main de maître le dérisoire barrage prétendument légal que s’était bricolé le chef du législatif Nabih Berry pour se poser en seul juge du sérieux des candidatures en lice. Pour s’ériger aussi en unique et suprême recours quant à l’opportunité de toute convocation du Parlement, pourtant censé se réunir d’emblée tout seul, comme un grand, afin d’élire au plus vite un chef de l’État. À ce propos, la justice commande de saluer cet autre et fort éloquent témoignage de grandeur parlementaire qu’est le sit-in qu’observent, depuis déjà vingt semaines, les députés Melhem Khalaf et Najat Saliba dans l’enceinte de l’Étoile scandaleusement verrouillée par Berry. On se prend à imaginer (faut tout de même pas rêver !) quel cours différent eût suivi l’histoire si seulement quelques dizaines d’élus avaient agi de la sorte, il y a une quinzaine d’années, lorsque Berry entreprenait pour la première fois de cadenasser, de longs mois durant, le Parlement…


Désormais à court de prétextes, le numéro deux de notre fantasque République s’est résigné à convoquer la Chambre pour mercredi prochain ; mais en revanche, l’argumentaire du tandem Amal-Hezbollah n’a fait, lui, que gagner en inconsistance et déraison. C’est incontestablement un candidat de diktat qu’aligne ce duo en la personne d’un Sleiman Frangié récusé notamment par la quasi-intégralité de la chrétienté politique ; il refuse d’en démordre tout en appelant à une impossible entente sur la question ; c’est lui pourtant qui crie au défi à chaque fois que le camp d’en face avance un champion. Mieux encore, et après avoir usé et abusé de bulletins blancs et de torpillages de quorum, c’est lui qui accuse gratuitement le camp adverse de pratiquer l’obstruction !


C’est dire que, si l’opposition a révisé sa stratégie et changé de poulain, et si le Parlement promet de reprendre vie, la course d’obstacles est encore loin d’être engagée. Avant même d’avoir franchi la grille de départ, nombreuses et traîtresses demeurent en effet les haies jalonnant le parcours : bulletins blancs par exemple pour le premier tour du scrutin, rupture de quorum pour le second tour, et toute une gamme d’autres tours pendables que les saboteurs gardent au chaud dans leur sac. De toutes ces manœuvres, la plus lourde de conséquences serait de voir le bloc chiite boycotter purement et simplement l’élection au cas où il aurait perdu tout espoir de la remporter, cela dans l’idée de dénier d’office à tout élu son caractère de symbole vivant de l’unité nationale, du vouloir-vivre ensemble qui est l’essence du Liban.


Voilà d’ailleurs qui pourrait expliquer en partie la visite express hier à Damas de Michel Aoun. L’ex-président a dû intervenir en personne pour imposer aux contestataires de sa formation le ralliement à l’option Azour. Dès lors, il s’est vraisemblablement efforcé de convaincre Bachar al-Assad que son choix n’était en aucun cas un geste d’hostilité envers la Syrie, dont Frangié est le protégé. Aoun semble au contraire avoir sollicité la précieuse assistance du raïs syrien dans la gestion de son grave contentieux avec le Hezbollah.


De brouille en séparation de corps, en prélude à un tumultueux divorce, le CPL n’aurait, en somme, échappé au loup que pour se jeter dans la gueule d’un autre loup. Il est vrai que la maison ne recule devant aucun sacrifice pour assurer l’avenir du gendre bien-aimé.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Fort heureusement, il est encore de fugaces moments qui vous laissent espérer que la démocratie libanaise, pour décrépite et mutilée qu’elle puisse être, n’a pas encore dit son dernier mot. On a vécu lundi un de ces moments-là, quand deux députés, à l’aide d’adroits et énergiques coups de serpe, ont arraché aux naufrageurs du système les dernières feuilles de vigne dont ils...