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Culture - Portrait

Qu’est-ce qui fait courir Fouad Yammine ?

Il promène avec « coolitude » sa dégaine de « boy next door » dans le paysage scénique et audiovisuel libanais, passant sans discontinuer d’un film à une pièce de théâtre, d’une émission télé à une comédie musicale... Mais derrière sa sympathique figure d’amuseur public se cache en réalité un grand sensible et un artiste multitalentueux.

Qu’est-ce qui fait courir Fouad Yammine ?

Fouad Yammine, un inquiet heureux. Photo DR

Il livre ce soir, dans le cadre du Festival du printemps de Beyrouth*, une lecture performative de White Rabbit, Red Rabbit, un texte engagé du dramaturge iranien Nassim Soleimanpour. « Je ne sais pas ce que je vais lire. On va me remettre le texte dans une enveloppe scellée une fois que je serai sur scène. Je vais découvrir le sujet en même temps que le public. C’est la règle du jeu, et je m’y conforme. Je n’ai même pas cherché à glaner quelques infos sur Google », explique Fouad Yammine, qui avouait, à quelques jours de cette performance encore inédite pour lui, ressentir une certaine fébrilité.

Et pourtant, en vingt ans de carrière, il a presque tout expérimenté, ce comédien que l’on voit partout aujourd’hui. À la télé, au cinéma, au théâtre, sur Netflix… D’abord confiné au registre de comique troupier – sans doute l’effet de la fameuse publicité pour la boisson Buzz qui l’a fait découvrir du large public en 2011 –, le sympathique rouquin à la dégaine de « boy next door » a révélé au cours de ces dernières années l’étendue de ses multiples talents d’interprète, d’auteur de théâtre, de scénariste, d’animateur humoriste et de metteur en scène.

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Rien que ces derniers mois, il est apparu dans quasiment tous les films libanais présentés en salle. Il a joué au théâtre dans plus d’une pièce, dont Khalliya baynetna (Gardons cela entre nous) qu’il a lui-même écrite, mise en scène, produite et interprétée avec sa femme, la comédienne Serena el-Chami. Il a décroché l’un des rôles phares du musical Chicago, Bil Arabi (dont il a cosigné la traduction en arabe) à l’affiche du Festival de Beiteddine début août et s’apprête à monter sur les planches du théâtre Monnot tout le mois de juillet, en duo avec Cynthia Karam, dans Ghammed eyn, fatteh eyn (Ferme un œil, ouvre un œil), une pièce de Karim Chebli et Sara Abdo. Sans compter ses apparitions en tant qu’animateur dans l’émission de divertissement Take Me Out, diffusée tous les mardis sur la LBCI, et ses participations régulières aux soirées d’improvisations à Aa Kaaba.

Fouad Yammine. Photo DR

« Je ne sais rien faire d’autre »

Mais qu’est-ce qui fait ainsi courir Fouad Yammine ? « C’est vrai que j’ai pas mal tourné et joué au cours des dix dernières années », reconnaît ce diplômé de l’Institut des beaux-arts de l’Université libanaise qui commence à se tailler une place de choix dans le paysage scénique et audiovisuel libanais. Il précise néanmoins « que la plupart de ces projets ont été enclenchés avant 2019. Et en particulier les films, dont la sortie a été retardée par la crise et la pandémie cumulées. Quant à l’émission qui passe sur la LBCI, c’est une rediffusion ». « Mais ce qui me fait courir, comme vous dites, c’est la peur de l’ennui et ma vision pessimiste de l’existence qui me poussent à m’échapper de la réalité en me réfugiant dans la fiction et l’action », concède ce boulimique du travail.

« Passionné par les histoires », cet ancien cancre a ainsi trouvé sa voie et sa voix aussi dans les arts de la scène. « Je ne sais rien faire d’autre », s’excuse-t-il presque en déclinant ses lacunes : « Je suis nul dans les chiffres, je ne sais rien faire de mes dix doigts, et en tant qu’employé dans une société je serais pitoyable… J’ai seulement une imagination foisonnante qui m’a amené à écrire, depuis mes 12 ans, de petits contes, des sketches, des récits. » S’il a pu en transposer certains sur scène, à l’instar de Khalliya baynetna à l’automne 2022, qui lui a valu les louanges de la presse comme du public, Fouad Yammine n’en a pas moins des tiroirs encore pleins d’histoires à développer.

L’art le plus honnête

C’est justement ce qu’il est en train de faire ce vendredi matin dans « son » bureau, dans la banlieue nord de Beyrouth, où il accueille L’Orient-Le Jour. Drôle d’endroit pour une rencontre avec un artiste ! « Cet ancien appartement est, en fait, un lieu de création et de répétition. Je l’appelle le bureau parce que, parallèlement à mon travail personnel, j’ai une équipe avec qui je crée du contenu pour des séries diffusées sur les plateformes régionales », indique-t-il en passant devant une salle occupée par des jeunes installés devant des ordinateurs. « Depuis la crise et l’argent confisqué par les banques, il a fallu trouver un moyen de survie. Et grâce à ce boulot alimentaire, je peux continuer à m’adonner, en parallèle, à ma passion des planches », justifie-t-il. Celui qui possède à son actif une trentaine de petits et de grands rôles au cinéma – notamment dans W halla’, la wein ? (Et maintenant, on va où ? ) de Nadine Labaki, Film ktir kbir (Un très grand film) de Mirjean Bou Chayaa, L’insulte de Ziad Doueiri, As’hab wala a’aaz (Perfect Strangers) de Wissam Smayra, Aa belkon, ya chabeb (Seul, marié, divorcé) d’Élie Khalifé ou La nuit du verre d’eau avec Carlos Chahine, qui sort bientôt en salle – avoue sans ambages sa prédilection pour le théâtre. « J’aime participer à des tournages et je rêve de réaliser un film moi-même. J’ai d’ailleurs entamé l’écriture du scénario. Néanmoins, mon endroit favori reste le théâtre. Sur les planches, on ne peut pas tricher. Les choses sont montrées dans leur vérité. C’est l’art le plus honnête, le plus transparent et le plus proche de moi, qui essaie, dans un monde dominé par les faux-semblants, de rester le plus sincère possible », confie ce grand roux à la barbe fournie et au regard candide.

Paternité et thérapie

Une sincérité qui transparaît dans le discours de cet « honnête (jeune) homme » qui n’a pas peur d’écorner son image de pince-sans-rire, à la répartie aussi affûtée que ses mimiques sont drôles, en exposant ses fragilités. À commencer par son attachement viscéral à son noyau familial. À savoir, sa femme Serena, sa complice depuis les bancs de l’université, dont le nom revient de manière récurrente dans sa conversation. Et son fils Wassim, dont la naissance, il y a 5 ans, a bouleversé sa vie… Au point de l’avoir amené à entreprendre une thérapie. « J’ai voulu fouiller en moi pour mieux me connaître afin de lui offrir le meilleur modèle de père possible », révèle ce grand angoissé.

« La paternité est la plus grande aventure de ma vie. D’ailleurs, nous avons longtemps hésité, Serena et moi, avant de décider de donner naissance à un enfant dans ce monde si dur. Je suis obsédé par l’idée que mon fils puisse souffrir. Et je vois déjà comment la vie le blesse. L’autre jour, Wassim m’a dit : “Papa, cette musique est tellement belle qu’elle me donne envie de pleurer.” Rien que ces mots m’ont remué le cœur. Mais je fais un travail sur moi-même pour dépasser cette ultrasensibilté », assure le trentenaire qui dit se sentir aujourd’hui « moins liquide, plus ancré et plus ferme ».

« En fait, quand j’y pense, je suis aujourd’hui un homme comblé », affirme Fouad Yammine. « Je suis content dans ma vie. Satisfait de mon parcours d’“entertainer” », assure-t-il. Un rôle que cet artiste multidisciplinaire revendique comme une mission qui consiste à « divertir et offrir aux gens un moment de détente, un espace d’évasion de leur quotidien. Ensuite, j’essaie de transmettre, en filigrane, des convictions et des idées qui me tiennent à cœur. J’avoue ne pas avoir toujours le talent nécessaire pour y arriver. Mais je persiste à le faire. Avec l’espoir que sur l’ensemble de mes performances, les gens puissent, plus tard, en retenir quelques-unes », conclut cet inquiet heureux.

* « White Rabbit, Red Rabbit », ce soir mardi 6 juin, au théâtre Monnot, Achrafieh, à 21h. En dialecte libanais, sous-titré en anglais. Entrée libre en fonction des places disponibles.

Son parcours en 7 dates

1986
Naissance le 21 février à Beit Chabab.

2003
Il intègre l’Institut des beaux-arts de l’Université libanaise en cachette de ses parents.

2004
Premier voyage. Il découvre l’Italie, la Sicile « et une autre façon de faire de l’art ».

2011
Apparition au cinéma (avec Nadine Labaki), à la télé (dans l’émission satirique « Chinn »), au théâtre et dans une publicité qui fait le buzz… Tout arrive en même temps. C’est le début de la notoriété.

2016
Il se marie avec Serena el-Chami, la femme de sa vie, sa complice rencontrée sur les bancs de l’université.

2017
Naissance de son fils Wassim. Et début d’une thérapie pour accompagner son rôle de père.

2022
Il produit « Khalliya baynetna », sa propre pièce qu’il met en scène et joue avec sa femme Serena el-Chami. Un succès total.

Il livre ce soir, dans le cadre du Festival du printemps de Beyrouth*, une lecture performative de White Rabbit, Red Rabbit, un texte engagé du dramaturge iranien Nassim Soleimanpour. « Je ne sais pas ce que je vais lire. On va me remettre le texte dans une enveloppe scellée une fois que je serai sur scène. Je vais découvrir le sujet en même temps que le public. C’est la règle du...

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