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Le geôlier de l’Étoile

Par quelle malédiction la démocratie parlementaire libanaise, jadis citée en modèle dans cette partie du monde, a-t-elle pu se laisser dégrader, défigurer, dénaturer, abâtardir de la sorte ? À quels frustes médicastres, à quels calamiteux charcutiers doit-elle cette pitoyable stérilité qui fait du Parlement un machin incapable de produire un président de la République sans que soient, pour cela, remués ciel et terre ?


Ne répondez surtout pas en chœur Nabih Berry, ce serait bien trop facile. Et puis, comme on le lira plus loin, on aurait, du coup, fait l’impasse sur les légions entières de fossoyeurs subalternes, coupables autant par omission que par action. Vissé à son siège depuis trois décennies, le chef du pouvoir législatif doit certes assumer une gigantesque part de responsabilité dans l’effroyable dégénérescence du système. Le plus incroyable de ses exploits reste à ce jour celui d’avoir, des mois durant, interdit aux députés l’accès du Parlement. De ce haut lieu de la démocratie, de ce sanctuaire de souveraineté populaire, le monarque Berry n’a jamais cessé en réalité de faire sa chose.


Alors que son rôle consiste essentiellement à veiller à l’application du règlement interne, c’est ainsi lui, et nul autre, qui interprète à sa guise les dispositions de la Constitution, y compris (et surtout) celles relatives à l’élection présidentielle. Non content d’associer ses propres troupes parlementaires à cette hérésie démocratique qu’est le sabotage du quorum, le président de l’Assemblée se refuse, après quelques infructueux galops d’essai, à envisager un second tour du scrutin, et ramène systématiquement l’élection à la case départ. Il prolonge sciemment la crise quand il traîne la patte pour réunir derechef l’Assemblée : laquelle pourtant n’a aucun besoin de convocation. De la plus explicite des manières, elle est censée en effet, en cas de vacance présidentielle, se réunir sur l’heure – et de plein droit ! – à seule fin d’élire un chef de l’État.


Visiblement ébranlé par la toute récente menace de sanctions américaines, brandie contre les impénitents saboteurs de l’élection, voilà maintenant que l’indéboulonnable geôlier de la place de l’Étoile se dit tout disposé à lancer les cartons d’invitation. Mais il ne s’y résoudra que si s’affrontent, au minimum, deux candidatures sérieuses : étant bien entendu qu’il reste seul juge du sérieux de celles-ci. L’omnipotent numéro deux de la République ne se borne pas cependant que répondre au patriarche maronite qui avait sarcastiquement déploré les violations répétées de la Constitution : il écarte dédaigneusement de la main le vaste et fort rare consensus chrétien qui se cristallise en ce moment sur la personne de l’ancien ministre Jihad Azour face au candidat du tandem chiite, Sleiman Frangié.


À quoi tient finalement une aussi longue et outrancière tyrannie à la tête de l’organe législatif ? C’est un fait que la jalouse et énergique captation de la population chiite, opérée par ces deux anciens rivaux que furent le mouvement Amal et le Hezbollah, interdit aux personnalités de cette communauté toute velléité de contester sa charge à Nabih Berry. Cette culture milicienne fondée sur la possession des armes, Berry l’aura greffée sur la vie parlementaire libanaise, laissant à Hassan Nasrallah l’exclusivité des rodomontades guerrières. Mais il est tout aussi vrai que tout au long des législatures, des troupeaux bêlants d’élus ont fait preuve d’une honteuse complaisance envers les frasques constitutionnelles de Berry en le reconduisant régulièrement.


Pas d’autre prétendant au titre ? La belle affaire, des bulletins blancs en masse eurent été le plus éloquent des désaveux : le plus efficace des rappels à l’ordre, quand il en était encore temps.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com
Par quelle malédiction la démocratie parlementaire libanaise, jadis citée en modèle dans cette partie du monde, a-t-elle pu se laisser dégrader, défigurer, dénaturer, abâtardir de la sorte ? À quels frustes médicastres, à quels calamiteux charcutiers doit-elle cette pitoyable stérilité qui fait du Parlement un machin incapable de produire un président de la République sans que...